Regards de novembre 2006

Droits des migrants, capitulation de l’UE devant les USA, censure à la commission européenne
dimanche 12 novembre 2006
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DROITS DES MIGRANTS BAFOUES

Dans plus de 50 villes d’Europe, diverses actions (manifestations, colloques) avaient été menées le 31 janvier 2004 et le 2 avril 2005, journées européennes d’action sur les migrations. Prenant appui sur cette mobilisation, le Forum Social Européen d’Athènes de mai 2006 avait, pour la première fois, consacré un axe thématique aux migrations et appelé à une journée européenne d’action le 7 octobre. La date avait été choisie en mémoire des événements de Ceuta et Melilla d’octobre 2005 qui avaient entraîné la mort de nombreux migrants et réfugiés africains victimes de tirs mortels et d’expulsions de masse vers le désert.

Force est de constater que, le 7 octobre, la mobilisation européenne n’a pas été à la hauteur des enjeux. En France, la longue lutte des 1000 de Cachan, qui a mobilisé des partis politiques, syndicats et associations, a été le symbole du sort réservé par les gouvernements de l’Union européenne aux migrants qui fuient la guerre ou la misère. Effectivement, chaque réunion des Ministres de l’Intérieur des 25 se conclut par des politiques répressives et sécuritaires qui se traduisent par des législations de plus en plus coercitives en matière d’entrée et de séjour des étrangers.

Des millions d’euros ont été inscrits au budget communautaire pour financer des charters européens de clandestins, pour renforcer la protection et la surveillance aux frontières avec des moyens de plus en plus sophistiqués. Le verrouillage de l’accès Maroc-Espagne a entraîné des centaines de morts par noyade au large des côtes marocaines ou mauritaniennes. Des processus d’externalisation sont mis en place avec l’installation hors d’Europe, en Afrique et en Europe de l’Est, de camps d’internement et de centres de rétention.

Au sein du Conseil, le gouvernement français joue un rôle moteur vers plus de contrôle et de répression. Au cours d’une réunion à Madrid le 29 septembre des ministres de l’intérieur des pays méditerranéens, Nicolas Sarkozy a demandé « l’interdiction de toute mesure de régularisation massive » (à l’exemple de l’Espagne et de l’Italie), l’immigration choisie adaptée aux capacités d’accueil sur le marché du travail, le renforcement des critères pour le regroupement familial, l’éloignement des migrants clandestins. L’Union européenne verrouille ses frontières et se barricade.

En même temps, cette « Europe forteresse » fait de grandes déclarations sur l’aide aux pays en développement. Mais les actes sont loin de suivre les paroles et ne correspondent le plus souvent qu’aux intérêts des puissances occidentales et de leurs firmes. L’aide publique au développement est toujours loin d’atteindre les 0,7% du PIB, objectif fixé par les Nations-Unies il y a des dizaines d’années. Les rapports de domination néo-colonialiste perdurent avec une dégradation continue des termes de l’échange au détriment des pays pauvres dont les richesses sont accaparées par les firmes transnationales. Les plans d’ajustement structurel imposés par les institutions internationales, Banque Mondiale et FMI, entraînent la casse des services publics, des coupes sévères dans les budgets de santé et d’éducation ainsi que la hausse des prix des produits de première nécessité. Sans oublier le détournement des « aides » vers la corruption politique et idéologique des dirigeants des pays pauvres.

Même l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’inquiète de cette situation : « Le désespoir bute contre des sociétés égoïstes ». Tout en proposant d’aider les pays d’origine, elle insiste pour que les pays de transit et « d’accueil » (souvent transformé en « écueil ») respectent « leurs obligations en terme de droits humains et d’aide humanitaire ». Dans la perspective du Forum Social Mondial de Nairobi en janvier 2007, qui pourrait déboucher sur une journée mondiale sur les migrations, la mobilisation doit se poursuivre et s’intensifier à tous les niveaux contre la criminalisation des migrants et la sélection des forces de travail, pour l’égalité des droits et la régularisation des sans papiers, pour le droit de vote et d’éligibilité des étrangers, pour l’arrêt des expulsions et du processus d’externalisation, pour la fermeture des centres de rétention, mais aussi pour l’annulation de la dette et l’instauration de véritables rapports de coopération dégagés de toute domination avec les pays pauvres.

DONNEES PASSAGERS : L’EUROPE CAPITULE DEVANT LES ETATS-UNIS

Le 30 mai 2006, la Cour de Justice européenne a annulé les décisions de la Commission européenne et du Conseil autorisant le transfert aux autorités douanières étasuniennes des données personnelles de passagers aériens à destination des Etats-Unis (voir « Regards d’Europe » de juin). Ces informations étaient demandées par les Etats-Unis sous prétexte de lutter contre le terrorisme.

Après l’annulation de la décision du Conseil par la Cour de Justice, la Commission européenne a signé avec les Etats-Unis un nouvel accord (soutenu par le Conseil) sur les données PNR (Passager Name Records). Ces données doivent être transmises par les compagnies aériennes (sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à 4700 euros par passager) aux autorités des Etats-Unis sur les passagers qu’elles transportent. Ces données, au nombre de 34, comprennent, entre autres, le nom, l’adresse, l’e-mail, le téléphone, la carte de crédit, l’itinéraire et même les préférences alimentaires. Transférées au plus tard 15 minutes avant le départ du vol, elles donnent la possibilité au FBI ou à la CIA de fouiller dans les transactions financières des passagers.

L’accord conclu par la Commission est encore plus restrictif quant à la protection des libertés individuelles. C’est une véritable mise en fiches sous le contrôle des Etats-Unis. Comme l’écrit le journal « Dernières Nouvelles d’Alsace » du 7 octobre : « Big Brother a gagné ! Les Européens ont capitulé en rase campagne devant les exigences américaines sur les données personnelles des passagers aériens à destination des Etats-Unis ». Cette critique a été relayée au Parlement européen ; son rapporteur, la députée néerlandaise Sophie In’t Veld a estimé que l’accord contient trop de données exigées, trop peu de garde-fous en matière de vie privée et un flou certain concernant l’exploitation des données par d’autres agences. De plus, en cas d’abus de l’utilisation de ces données, les citoyens européens n’auraient pas de possibilité de recours effectif devant un juge. Pour le député italien du groupe GUE/NGL, Guisto Catania, cet accord représente « une tentative sournoise de restreindre la liberté des citoyens européens et une violation inacceptable de la vie privée ».

Les Etats-Unis affirment même que l’accord permettra, en plus de lutter contre le terrorisme, de collecter des données pour lutter contre les maladies infectieuses et d’autres risques. Comme l’accord ne s’appliquera que jusqu’à juillet 2007, les Etats-Unis envisagent déjà lors de sa prochaine révision de garder plus longtemps les données collectées (jusqu’à 40 ans) et de demander des données supplémentaires concernant les passagers aériens auxquelles aurait accès la CIA « une agence dont les activités secrètes, de torture et d’enlèvement font actuellement l’objet des investigations d’une commission spéciale du Parlement européen », s’est indignée Yvonne Kaufmann, députée allemande du groupe GUE/NGL.

Au lieu de se battre sur le contenu de l’accord en vue de protéger la vie privée des citoyens, la Commission européenne et le Conseil sont déjà d’accord pour une révision plus flexible comme le demandent les Etats-Unis. Après avoir capitulé, ils veulent copier les Etats-Unis en préparant un système européen de transfert de données des passagers aériens provenant de pays tiers à destination de l’Union européenne.

Cette affaire, qui constitue une atteinte grave aux libertés individuelles, ne devrait-elle pas être l’objet d’un débat au sein de la population et dans les parlements nationaux qui n’ont même pas été consultés ?

CENSURE A LA COMMISSION EUROPENNE

Le 18 octobre, la « Fédération internationale des Comités Ingrid Betancourt pour la libération des otages en Colombie » a inauguré une exposition internationale dans les bâtiments de la Commission européenne sur le thème « Colombie : liberté pour tous ! ». D’après les organisateurs, au-delà du cas emblématique d’Ingrid Betancourt, cette exposition visait à alerter sur la situation de toutes les personnes séquestrées et de toutes les violations des droits humains en Colombie. Dans cette optique, Amnesty International Belgique avait ajouté à l’exposition un panneau consacré aux défenseurs des droits humains en Colombie, tous ceux qui sont harcelés, enlevés, assassinés.

La Commission a refusé la présence dans ses locaux de quatre panneaux concernant :

- les défenseurs des droits humains
- les groupes paramilitaires d’extrême-droite (responsables à 70% des violations des droits humains)
- les 3 millions de personnes déplacées
- les 8000 disparus, arrêtés pour nombre d’entre eux par la police, l’armée ou les groupes paramilitaires (syndicalistes, dirigeants paysans, responsables politiques et associatifs).

Raison donnée par les services de la Commission pour justifier ce refus : « ne pas choquer les représentants diplomatiques présents au vernissage » et adopter « une attitude constructive » dans la perspective d’éventuels progrès dans la voie d’une solution humaine pour certaines personnes séquestrées.

En imposant cette censure, la Commission européenne distingue entre les bonnes et les mauvaises victimes des violations des droits humains, celles qu’il faut dénoncer et celles qu’il faut taire. Elle ne veut surtout pas fâcher les autorités de Colombie inféodées aux Etats-Unis qui viennent de rejeter tout dialogue avec la guérilla.

Amnesty International Belgique a dénoncé cette censure en rappelant que la grave crise des droits humains en Colombie a notamment ses racines dans l’impunité dont jouit encore la quasi-totalité des responsables des violations des droits humains dans ce pays. Bien que cette impunité ait été dénoncée par la Commission des droits humains des Nations-Unies, le gouvernement colombien refuse toujours d’y remédier. Pour répondre à cette censure, Amnesty International a décidé de rendre accessible toute l’exposition, y compris dans sa version censurée, sur son site http://www.amnesty.be/expocolombie



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