Texte de la haine : deux réponses cinglantes et bienvenues

samedi 5 mai 2018
par  Rouge Midi
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L’appel des 300, frauduleusement appelé Manifeste contre le nouvel antisémitisme a suscité de nombreuses réactions. Le site de l’ANC a publié celle de Dominique Vidal. En voici deux autres émanant de deux associations juives. Elles suffisent pour dire ce que nous pensons de ce texte forcément vu comme une provocation révoltante.

Merci de prendre notre défense, mais pas de cette façon !

Par un manifeste, paru dans Le Parisien Libéré, 300 personnalités prétendent lutter contre l’antisémitisme.
En contradiction flagrante avec les conclusions des travaux commandés par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les signataires utilisent les mots manifestement outranciers de « terreur » et d’« épuration ethnique ». Ils tendent à faire de l’islam radical la cause principale de l’antisémitisme, ce qui est ignorer non seulement l’antisémitisme traditionnel, mais, au-delà de causes religieuses ou idéologiques, la désespérance provoquée par les discriminations de toute nature qui frappent les jeunes de banlieue comme l’attestent les travaux du Défenseur des droits.

Quant à la dénonciation d’un supposé antisémitisme de la gauche radicale, on cherche en vain dans ses principales composantes, qu’elles soient communiste, insoumise ou écologiste, le moindre fait concret permettant d’étayer une pareille accusation infâme.
L’assimilation entre antisionisme et antisémitisme, ne distinguant même pas la légitime critique de la politique du gouvernement israélien, relève de la même infamie outrancièrement simplificatrice. Opérant un parallèle fallacieux avec la modification d’une prière catholique abrogeant la mention du « juif perfide », ces signataires n’hésitent pas à demander, de façon totalement absurde, non pas la modification d’une prière, mais la suppression de textes du Coran, alors même qu’en l’absence d’autorité hiérarchique propre à l’islam, une pareille demande est dénuée de sens.
Le conflit israélo-palestinien est le grand absent de ce texte alors que l’instauration d’une paix juste au Proche-Orient contribuerait grandement à éradiquer l’antisémitisme.

L’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide (UJRE) remercie les signataires du Manifeste de vouloir lutter contre l’antisémitisme. Elle reste convaincue que la méthode adoptée est la pire de celles à disposition. Car la lutte contre l’antisémitisme, par des méthodes éducatives autant que répressives, est vouée à l’échec si elle est dissociée de la lutte contre tous les racismes.

Jacques Lewkowicz
Président de l’UJRE

* L’UJRE est une association créée en 1943 dans la clandestinité.

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Contre tous les bréviaires de la haine

A l’initiative de l’Union juive française pour la paix (UJFP), des intellectuels, des militants syndicaux et associatifs, et des organisations pensent qu’il est de leur devoir de combattre le fond de la tribune des 300 contre un nouvel antisémitisme afin de contribuer à apaiser le débat.

La tribune de Philippe Val contre le « nouvel antisémitisme », comme l’indique du reste l’adjectif qu’elle utilise, n’a pour objectif que de désigner une partie de la population de ce pays à la vindicte.

Il n’y a pas de « nouvel » antisémitisme dont la gravité éclipserait celle des autres. Serait-il plus néfaste que celui qui se manifeste au plus haut niveau de l’État, chez ces élites qui envisageaient d’un bon œil la publication des pamphlets de Céline ou l’inscription de Maurras et Chardonne dans le livre des commémorations nationales ? Édulcorerait-il celui, familier, d’une extrême-droite qui impose toujours un peu plus son agenda politique ? Non, bien évidemment, tout comme il n’y a pas un racisme plus grave qu’un autre. La lutte contre l’antisémitisme, l’islamophobie, la négrophobie ou l’antitsiganisme ne tolère aucune hiérarchisation. Tous ces racismes s’alimentent et se renforcent mutuellement.

La tribune de M. Val mélange à dessein la question de l’antisémitisme et celle de la détestable et criminelle politique israélienne, et ce point est lui aussi inacceptable. Nous refusons de valider cet amalgame qui est utilisé pour justifier les crimes de l’État d’Israël à l’encontre du peuple palestinien et le silence du monde entier.

Au-delà de la description d’une situation largement fantasmée, y compris au niveau national, sur le plan de l’antisémitisme – le texte parle, et c’est glaçant, d’épuration ethnique à bas bruit –, il n’a aucun objectif pacificateur. Il n’est écrit et diffusé que pour renforcer le consensus islamophobe contre des gens, souvent pauvres et habitant les quartiers populaires, qu’il accuse en bloc d’être antisémites.

Pour notre part, si nous constatons avec effroi l’existence d’une hostilité grandissante chez une partie minoritaire de l’opinion dite « musulmane » et « radicale » à l’égard des Juifs, et que celle-ci est suivie de passages à l’acte comme dans le cas de la tuerie de Toulouse ou celle de l’Hyper Casher, nous ne pouvons pas faire l’économie d’une analyse exigeante de la conjoncture politique et sociale française, ni de la géopolitique internationale. Ces nouvelles formes d’antisémitismes ne peuvent pas se comprendre sans une lecture globale et objective des forces qui agissent et produisent ces situations, à commencer par la mise en concurrence par l’État des différentes communautés – une division qui permet de mieux régner et une diversion des questions sociales –, mais aussi par les amalgames terribles entre Juifs et politique d’Israël que ne cesse d’alimenter une partie des élites de ce pays à laquelle ces tristes pétitionnaires participent.

Pour nous, un pays se compose de tous ceux qui y vivent et nous refusons fermement de relayer les propagandistes de la guerre civile.

L’islamophobie d’aujourd’hui n’est pas plus reluisante que l’antisémitisme d’antan, elle n’en est même que le pendant conjoncturel. Et pour paraphraser Frantz Fanon qui avait déclaré : « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez les oreilles, on parle de vous », nous disons aujourd’hui : quand nous entendons dire du mal des Noirs ou des Musulmans, dressons l’oreille, car l’antisémitisme n’est pas loin.

Les signataires :

Alexis Cukier, philosophe
Nacira Guénif, sociologue Paris-8
Anick Coupé, militante associative et syndicale
Verveine Angeli, militante sydicale, Solidaires
Alain Gresh, directeur d’Orient XXI
Ivar Ekeland, ancien président de l’Université Paris-Dauphine
Nicole Lapierre, sociologue, directrice de recherche au CNRS
René Monzat, militant antiraciste
Marie-Christine Vergiat, députée européenne
Catherine Samary, économiste altermondialiste
Lila Charef, directrice du CCIF
Omar Slaouti, militant antiraciste, Collectif "Vérité et Justice pour Ali Ziri"
Alima Boumediene Thiery, avocate, ex-parlementaire, association Femmes plurielles
Laurent Levy, militant antiraciste
Said Bouamama, sociologue, militant du FUIQP
Ismahane Chouder, Participation et spiritualités musulmanes (PSM)
Tarek Ben Hiba, président de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives
Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République
William Bila, président de la Voix des Rroms
Fabienne Haloui, responsable lutte contre le racisme et pour l’égalité au PCF
Driss Elkherchi, président de l’ATMF
Michèle Sibony, militante à l’UJFP
Maxime Benatouil, militant à l’UJFP
Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue, professeure émérite à l’Université Paris-Diderot Paris 7
Sonia Fayman, militante CEDETIM, UJFP et IJAN
Gus Massiah, militant CEDETIM
Eric Hazan, éditeur
Sathis Kouvelakis, philosophe, King’s College, Londres
Eyal Sivan, cinéaste, professeur à l’Amsterdam University of Fine Arts
Christine Delphy, sociologue, féministe, chercheuse au CNRS
Sihame Assbague, journaliste et militante
Isabelle Stengers, philosophe
Mohsen Dridi, blog MIGRANT (E )S
Abderrazak Bouazizi Horchani, militant associatif
Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers
Mourad Allal, militant associatif
Moncef Guedouar, immigré tunisien
Michelle Guerci, journaliste
Philippe Marlière, professeur de science politique à l’University College de Londres
Alain Cyroulnik
Philippe Cyroulnik
Alain Job, retraité cadre territorial
Fabienne Marcot, graphiste

Organisations signataires :

Union Juive Française pour la Paix
Brigade Anti Négrophobie
Association des Travailleurs Maghrébins de France
La Voix des Rroms
La Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des Deux Rives
Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie

Texte paru sur le site de l’UJFP
vendredi 4 mai 2018



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