La révolte des travailleurs précaires gronde dans les pétromonarchies du Golfe

vendredi 17 novembre 2006
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Le boom immobilier aux Emirats arabes unis est réalisé grâce à la main-d’Å“uvre corvéable à merci des immigrés asiatiques. Mais depuis un an, cette population commence à donner des sueurs froides aux autorités. A plusieurs reprises, il y a eu des grèves, voire des émeutes. Et les pays voisins connaissent les mêmes problèmes.

Travailleurs immigrés au marché de Dubaï
DR

« Les Emirats connaissent un essor immobilier quasiment sans équivalent, mais les travailleurs sur les chantiers ne sont pas traités comme des humains », estime Sarah Leah Whitson, directrice de la section Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’organisation américaine des droits de l’homme Human Rights Watch. La solution préconisée par cette organisation dans un récent rapport est d’accorder des droits syndicaux. Car, en l’absence de négociations collectives, « il n’est pas étonnant que des manifestations, voire des émeutes, commencent à éclater » - au moins huit entre mai et décembre 2005. Et, plus récemment, à la fin du mois dernier, des émeutes ont éclaté sur un chantier de gratte-ciel et se sont propagées spontanément vers le chantier d’un nouveau terminal de l’aéroport. Une situation qui risque de déstabiliser gravement ce pays où 80 % de la population sont constitués de ces travailleurs sans droits.

Al-Quds Al-Arabi, quotidien panarabe édité à Londres, consacre un reportage à ce sujet : « La situation de ces travailleurs a de nouveau attiré les regards après une grève, fin mars, de 2 500 travailleurs pendant quarante-huit heures, lors de laquelle, pour la première fois aux Emirats, des voitures ont été renversées et du matériel dégradé. Cela s’est passé sur le chantier de Burj Dubaï, l’un des projets les plus prestigieux des Emirats, puisqu’il s’agit d’ériger la tour la plus haute du monde. La société anglo-émiratie qui finance le projet a expliqué ces incidents par des malentendus, précisant que les travaux n’en seront pas retardés. Selon le responsable des affaires sociales au consulat indien de Dubaï, des dizaines de plaintes arrivent chaque mois pour non-paiement de salaires. »

La presse émiratie a été plutôt discrète sur cette question. Ainsi, Al-Khaleej écrit : « Ces informations données par Human Rights Watch ont été démenties par le ministre. Elles ont également été démenties par l’Association des droits de l’homme émiratie, récemment créée [et contrôlée par le gouvernement]. D’où l’organisation tire-t-elle donc ses informations ? »

Il n’y a guère que le quotidien anglophone Gulf News qui donne régulièrement des informations sur la situation sociale de ces travailleurs : « Des milliers de personnes vivant dans la zone industrielle numéro 10 doivent supporter des températures de 30 degrés sans eau et avec de fréquentes coupures de courant. Des travailleurs qui avaient été gravement brûlés sur leur lieu de travail il y a neuf mois nous ont expliqué qu’ils souffraient le martyre parce qu’ils ne pouvaient pas calmer leur peau irritée. Un responsable a promis de remettre l’eau dans la journée, expliquant qu’il y avait un problème à la station électrique. Selon les travailleurs, c’est la réponse toute faite que l’on leur sert à chaque fois qu’ils se plaignent d’un dysfonctionnement. »

Or il n’y a pas qu’aux Emirats que grèves et émeutes commencent à montrer les limites de la situation de non-droit actuellement en vigueur dans toutes les pétromonarchies. Ainsi, le site arabe Elaph indique que, « au Bahreïn, 2 500 travailleurs immigrés se sont mis en grève le mois dernier dans une entreprise de sous-traitance de la compagnie nationale de pétrole BABCO. La grève s’est déclenchée quand un des travailleurs a été frappé par son supérieur. Rapidement, les revendications des travailleurs se sont concentrées sur la demande d’amélioration des conditions de travail et sanitaires. Elle s’est conclue au bout de deux jours d’arrêt total du travail par un accord sur une hausse de salaires de 5 %, négocié entre des délégués du ministère bahreïni du Travail et les ambassades des pays dont les grévistes étaient ressortissants, c’est-à-dire de l’Inde, du Pakistan, des Philippines, du Bangladesh et du Népal. Le ministère du Travail a fait part de sa désapprobation de la grève, qui est illégale, et aurait souhaité que les travailleurs s’adressent à leurs ambassades pour faire valoir leurs doléances. »

De même, au Qatar, le quotidien Al-Sharq rapporte que « la direction de la zone industrielle de Rass Laffan enquête sur les incidents qui se sont produits le 13 avril dans un camp d’hébergement de travailleurs immigrés, quand environ un millier de travailleurs ont provoqué des troubles à l’intérieur du camp, endommagé des véhicules, brisé des vitres et brûlé les bureaux de l’administration ».

Or ce journal est loin de vouloir expliquer les faits par les conditions sociales : « Ces incidents ont été provoqués par la mort d’un travailleur népalais d’une crise cardiaque durant son sommeil. Des rumeurs se sont alors propagées parmi ses collègues selon lesquelles le décès aurait été causé par des esprits qui hanteraient les baraques. La situation a été maîtrisée et le calme est revenu au bout de quatre heures sans qu’aucun des travailleurs ait été blessé. Un groupe parmi eux a néanmoins été arrêté. »

Quant à l’Arabie Saoudite, elle vient de promulguer une nouvelle loi sur le séjour des étrangers. A en croire ArabNews, « elle a été fêtée par les expatriés puisqu’elle protège leurs droits ». Elle prévoit des choses aussi fondamentales qu’un contrat écrit, bien que les responsables eux-mêmes reconnaissent que l’employeur fait souvent signer un premier contrat au travailleur recruté à l’étranger, puis le contraint à en signer un autre, moins favorable, quand il arrive sur le sol saoudien. De même, cette loi n’aborde pas le problème des abus commis sur les bonnes, fréquents de l’aveu de la Société des droits de l’homme saoudienne.

Toutefois, ce n’est ni cette loi, ni la situation sociale des travailleurs qui retient le plus l’attention de la presse saoudienne. Elle aborde la question sous un angle sécuritaire pour se féliciter que la police « nettoie » certains quartiers par des opérations coups de poing complaisamment mises en scène par la police. Ses articles sont souvent assortis de photos montrant les personnes arrêtées dans des situations humiliantes et les assimilent à toutes sortes de déviances. « Arrestation d’une Sri Lankaise directrice d’une usine de boissons alcoolisées », titre par exemple Okaz.

Ou « Sept Philippins ont reconnu l’assassinat de trois compatriotes dont ils ont déchiqueté les cadavres », lit-on dans Al-Watan, qui ajoute la photo des coupables, accusés non seulement de meurtre, mais encore d’« avoir organisé des jeux de hasard. »

Source Le Courrier international

Transmis par Linsay



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