BNP : sous le vernis, le racisme...

jeudi 17 octobre 2019
par  Rouge Midi
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En ce jour anniversaire du 17 octobre 1961, dans un moment où le gouvernement tente d’exacerber le racisme et l’islamophobie pour diviser le monde du travail afin de faire passer sa politique de régression sociale, le cas d’Amal* à la BNP est un nouvel exemple de combat sur lequel il ne faut pas lâcher d’un millimètre.

La BNP qui a été dans un passé récent mise en cause dans des affaires de racisme, d’antisémitisme et pour son soutien au génocide au Soudan (soutien pour lequel elle a été sanctionnée) récidive avec cette « employée modèle » jusqu’au jour où...

1) Amal* tu es en litige avec ton employeur peux-tu nous expliquer pourquoi ? Comment as-tu ressenti les accusations qui ont été portées contre toi ?

C’est une histoire à peine croyable pour moi…surtout après quasiment 20 ans de boite ! Le litige qui m’oppose à mon employeur a pour point de départ un entretien avec mon supérieur hiérarchique direct N+1 datant du 13 avril 2018. Ce jour-là il me convoque de manière informelle. Quand j’arrive dans son bureau son ton grave me fait rapidement comprendre que ce qui va se passer ne va pas me plaire... Il est gêné... d’ailleurs il utilisera ce terme « je suis gêné de te recevoir mais je dois te demander si tu parles arabe » (gêné, arabe ces mots résonnent encore dans ma tête...). Je sens immédiatement un malaise mais je lui réponds que oui il m’arrive de dire quelques mots...Pourquoi ? ( à priori pas pour me proposer un poste à l’étranger ! )
" on m’a dit que vous auriez tenu une longue conversation en arabe toute une après-midi et que des gens se sont sentis gênés" (ça y est ! on y est ! les " on " les "vous"......)
Je suis abasourdie et je réponds immédiatement que je ne comprends pas la teneur de cet entretien... Je ne comprends pas ce qui m’est reproché et je conteste immédiatement la possibilité de parler toute une après-midi en arabe (puisque techniquement je ne suis pas en mesure de le faire !!!!) je me sens obligée de me justifier sur qui je suis.et là il me parle de confiance (mais qu’est-ce que la confiance vient faire ici ?)

Je sors de l’entretien tête baissée (« on » reniait mon identité ….on parlait de mes origines comme une tare...
J’ai à ce moment plein de choses dans la tête ...Mon cerveau fait le lien avec les faits historiques : délation, diffamation, racisme .... Je suffoque je suis écœurée et je pars sur une crise de larmes.
Quelque chose de grave venait de se passer. Je ne savais pas quoi exactement et je ne voulais pas y croire (pas sur mon lieu de travail !). Il venait d’appuyer sur un bouton sur lequel il ne fallait pas appuyer. Je rentre chez moi en évitant de croiser son regard.( d’ailleurs il s’est rendu compte de mon mal être ou on le lui a rapporté car le soir même il m’enverra un sms où il réitère la confiance et il me confirme qu’il est persuadé que c’est infondé ! ...Mais de quoi parle -t-il ? Confiance en quoi ?)

Le lundi suivant nous avons un entretien très dur pour moi et pour lui aussi je pense (beaucoup d’émotions il avait les larmes aux yeux et j’y ai décelé de la sincérité).
Je lui exprime mon mal être, le fait de ne m’être jamais sentie une étrangère avant vendredi. Je suis obligée de lui brandir ma carte d’identité...Je lui exprime que face à de tels propos diffamatoires de surcroît, je ne pouvais pas me contenter des « on » et des « vous » ... que c’était contraire à mes valeurs et à celles que je souhaitais inculquer à mes enfants... Je lui demande naïvement une confrontation (puisque qu’à ce moment-là le « on » devient une personne...) Je lui indique clairement que je souhaite que la direction assume ses responsabilités et qu’elle ait l’honnêteté de reconnaître le racisme (aussi sournois qu’il puisse être) et qu’elle ait le courage d’agir en conséquence...
Il compatit, il promet...Je lui fais confiance et je poursuis mon travail dans l’attente de réponses...
Toujours à cause de cette foutue dignité je me jure de ne rien laisser transparaitre, je me jure de ne pas céder à la facilité de faire les raccourcis et de spéculer...
Sans me rendre compte je viens au boulot la boule au ventre, je m’éteins peu à peu…et j’attends, j’attends, j’attends je me dis « Ils se sont rendu compte, ils vont réparer, on va m’apporter des réponses ... Mais rien. Le silence… Ce mépris, ce manque de considération ne fait qu’accentuer mon mal être...

Le 7 juin 2018 (soit deux mois après), à l’occasion d’un entretien de bilan, n’en pouvant plus, je renvoie mon manager à ses promesses et lui demande des réponses. Il me répond que l’affaire a été classée, que la personne ne souhaitait pas de confrontation ! Comment c’est possible ? On m’accuse, la direction est informée, je suis convoquée et puis plus rien ? Je n’ai droit à aucune explication et encore moins à des excuses ? Je sens la colère qui monte en moi…

Le pire était encore à venir ... des allégations encore plus douloureuses et plus mensongères seront exprimées !
Je saisis donc les DP (délégués du personnel) qui rencontreront le chef d’établissement. Ce dernier leur relatera avoir été avisé par le directeur de mon service (n+2) ; il s’agirait d’une querelle entre deux religions (pardon ?). Je n’en reviens et en fait j’apprends à ce moment-là qu’une collègue aurait ressenti un mal être l’après-midi de l’attentat de Trèbes le 23 mars 2018. Mes discussions (supposées) en arabe dans ce contexte l’auraient mise mal à l’aise !
Mais c’est horrible ! De quelle discussion parle-t-elle ? Mais qui accepterait d’avoir son nom associé à cette barbarie...c’est impossible ! Ce n’est pas en train de m’arriver !....
Et comble de tout ! la direction a donné du crédit à ces divagations et à cet amalgame ignoble sans même me dire de quoi il s’agissait, ni entendre ma version et encore moins organiser l’entretien avec la délatrice comme je le demandais ! ...C’est un cauchemar ...

Tout ce que j’obtiendrai fin juin… c’est l’adresse électronique d’un référent discrimination dans l’entreprise !!!
Je suis méprisée souillée fatiguée ... je pars en vacances en juillet de plus en plus mal ..avec plein de questions dans ma tête : pourquoi cette boite où je me suis tant donnée pour réussir, pour être reconnue pour ma valeur, pourquoi cette boite réagit-elle comme ça ? Pourquoi ne pas avoir voulu faire le clair ? Le racisme (car il n’y a pas d’autre mot) ce n’est pas de la poussière que l’on jette sous le tapis ! Et tous ces collègues que je connais depuis des années ! Que pensent-ils derrière leurs silences et leurs regards en coin ? Lequel ou laquelle a pu inventer des choses pareilles ? Dans quel but ? Par peur que je commette un attentat à la BNP ? je reprends début août mais le ressort est cassé et le 27 je craque complètement ( psy, cachets....), arrêt de travail. Je ne comprends pas cette injustice ...
Je suis à genoux mais pas à terre ...je ne veux pas laisser passer, je ne peux pas ... je DOIS AGIR

2) Que décides-tu alors ?

Je rencontre l’inspection du travail en octobre. Là je me sens enfin écoutée et comprise comme cela avait été le cas avec mes camarades de la section syndicale. Suite à nos échanges j’adresse un courrier avec questions au responsable des ressources humaines au siège de ma société avec copie. En parallèle je demande une requalification de mon arrêt de travail en accident de travail.
Comme il fallait s’y attendre, la direction va contester la requalification ... et aujourd’hui je suis en procédure suite à son refus. Au passage je découvre dans une pièce du dossier qu’il est précisé qu’il était normal que l’on me rappelle qu’il est interdit de parler ARABE !!! ARABE (alors que souvent les managers au recouvrement par exemple, lorsque il s’agit de réclamer de l’argent aux personnes ne parlant pas français sollicite les conseillers pour faire les interprètes !!!!!! )
Et à part l’anglais quelle langue étrangère on a le droit de parler ?!!

Le 23 octobre 2018 : j’ai voulu rencontrer la médecine du travail (j’étais tellement mal que je ne savais pas vers qui me tourner ...)…Pitoyable !
D’après le médecin que je rencontrai j’avais de la chance d’avoir de tels patrons...Elle qualifie ma situation comme une erreur de management (je suis blessée et touchée dans ma chair mais c’est une erreur de management)..je ne dois pas rester longtemps en arrêt...Il ne faut pas que je me venge …Bref elle ne m’aidera pas ...
Finalement grâce au droit d’alerte diligenté par les DP j’apprends enfin, en novembre soit 8 mois après les faits supposés, QUI EST L’AUTEUR DES ALLEGATIONS !!!
J’apprends comment et de quelle manière a été initié mon entretien. J’apprends que nous étions trois mais que seulement moi et un autre collègue avons été convoqués Les faits sont complètements déformés.
Pour le reste on essaie de m’intimider, on m’’accuse de faire ma publicité et de traiter mes employeurs de racistes alors qu’ils m’ont donné à manger depuis plus de 18 ans.

Force est de constater que le racisme n’est plus l’apanage du RN. Il est là, il est sournois. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment on en est arrivé là. Ce que je sais c’est qu’à cause d’eux je ne peux retourner travailler dans mon service.
Après plus de 19 ans d’entreprise je suis contrainte d’assigner mon employeur aux prud’hommes pour obtenir une résiliation judiciaire de mon contrat de travail aux torts exclusifs de ce dernier. J’ai été victime de discrimination au sein de mon entreprise et mon employeur ne m’a pas protégée. Pire il y a donné du crédit !

3. Sonia tu es responsable de la section syndicale CGT penses-tu que ce soit une erreur de gestion des relations humaines comme l’a dit le médecin du travail ou cela révèle-t-il autre chose ?

Ce n’est pas erreur de gestion de la Rh .Au contraire , il y avait dès le départ de l’enquête une volonté de la direction de ne pas créer les conditions pour faire une enquête objective .Coûte que coûte, il ont voulu faire abstraction de la réalité du racisme qui existe dans notre banque , quitte à briser Amal . Tout a été fait par notre direction pour nous empêcher de mettre les mots (les maux) sur sa situation. La direction a freiné notre droit d’alerte Dp. Elle nous a caché le courrier de l’inspection du travail et sa venue sur les lieux que nous avons découverte après l’enquête. La lettre d’observation a été obtenue par injonction au tribunal. La direction, nous a mis la pression. D’ailleurs, l’un de nos camarades a été profondément atteint au niveau de sa santé par leurs attaques. On n’a jamais expliqué aux salariés pourquoi les salariés convoqués ne sont plus présent dans l’entreprise et en arrêt maladie. On fait tout pour qu’on les oublie.

Tous cela montre le refus de banques de briser le silence sur un sujet tabou : le racisme et la réalité des discriminations dans les banques. Pour Bnp et ses filiales, tout est fait au niveau marketing pour faire croire qu’il s’agit d’une entreprise qui promeut la diversité. Ils en ont plein des labels, des trophées...mais quand tu grattes le vernis, le quotidien des salariés et des clients est implacable : un client noir ou arabe reçoit un moins bon accueil qu’un client blanc (test fait à Lyon en 2017 dans les banques). Il n’y a pas de femme ou très peu, pas de personnes de couleur ou d’origine maghrébine au conseil administration chez nous. Et les injures racistes sont le lot quotidien de nos collègues : « carte de séjour », « radio gazelle », « coulibaly c’est ton cousin ? » « pd »…Et on n’a jamais une levée de bouclier des managers ..on essaye de faire croire que ce sont des maladresses ou comme pour Amal que c’est normal (de lui rappeler les « règles d’entreprise ») : elle doit se justifier sur son identité et c’est pas discriminant !
La direction a dit il fallait prendre en compte le malaise de la salariée qui s’est sentie exclue par la prétendue conversation en arabe (sic !) qui n’a pas eu lieu...Donc à chaque fois que quelqu’un se sent exclu de travailler avec un homo, un arabe ou un noir...il faut se justifier ...La direction n’a pas mis fin à la réflexion raciste non fondée de la salariée. Par cette attitude elle n’a pas commis une erreur, elle s’est rendue complice de discrimination raciste et donc d’un délit...
La direction a même osé dire qu’Amal faisait la publicité de sa situation, qu’avec l’enquête il y avait un risque de créer une ambiance délétère au travail.
Il ne faut pas être dupes : on peut appliquer à la BNP l’adage : je ne suis pas raciste , mon chien est noir !!

4. Que compte faire la section CGT de la BNP ?

La section cgt Bnp se mobilise pour faire d’une situation individuelle un combat collectif pour enfin éveiller les consciences et créer un précédent : la discrimination linguistique existe dans la loi de manière récente. Mais il n’existe pas de jurisprudence sur le sujet. On doit continuer l’action juridique pour changer le système. Et puis il y a notre souhait que la fédération banque et assurances et la cgt s’emparent du sujet et nous aident.
Combattre le racisme c’est dans l’identité de la cgt, c’est notre ADN, notre histoire. Nous appelons tous les militants et militantes de la cgt, les humanistes à nous rejoindre dans notre action de mobilisation pour dénoncer la situation qu’a vécue Amal. On ne lâchera rien ...nous on ne l’oubliera pas ! C’est un devoir que la cgt se mobilise pour dénoncer les discriminations. On a encore du chemin à faire. Par exemple moi ça me choque le manque de communication de la cgt sur certains sujets. Pas un communiqué de presse de la cgt bnp suite au dépôt de plainte contre bnp pour participation au génocide au Soudan. Bnp fait elle peur à la Cgt ? Les banquiers sont-ils au-dessus des lois ?

5) Henry tu es secrétaire de l’UL CGT de la BNP de Marseille que pensez-vous de cette affaire et que comptez-vous faire ?

Tout d’abord, un rappel important : C’est l’employeur qui a l’entière responsabilité du bien-être physique et moral de chaque salarié-e.
Au lieu de cela, de plus en plus de grandes entreprises, notamment du secteur tertiaire, font de la diversité une question de marketing.
C’est l’occasion de déjeuners entre hauts managers, qui n’ont d’autre objet que de se congratuler en faisant croire à une grande tolérance.
Mais dans la vraie vie, tout ce (Tous ceux…) qui n’entre pas dans le moule pour une raison ou pour une autre est un danger pour leur politique (pardon, pour la rentabilité, pour le profit)
Ils ne veulent voir qu’une seule tête...
Lutter pour l’égalité des salarié-es est la raison d’être de la CGT.
Refuser et combattre toute discrimination n’est pas facultatif, c’est une obligation, sinon nous ne sommes pas la CGT.
Un plan de travail de mobilisation est d’ores et déjà en route sous forme d’un tract et d’une pétition à signer, mais nous n’en resterons pas là.
Evidemment le soutien à Amal victime d’une direction raciste sera tout autant dans l’action collective avec l’ensemble des salarié-es, notamment des banques et assurances, que dans l’action judiciaire pour qu’Amal soit rétablie dans ses droits.

RM : En tout cas nous pouvons vous dire à tous les 3 que vous avez et aurez le soutien de l’ANC dans toutes vos actions. Dans une société où le « racisme sournois » comme dit Amal devient institutionnel, se répand sous nos yeux dans tous les interstices de cette république dont on nous chante les louanges ; celle là-même qui n’a toujours pas le courage de regarder en face les crimes qu’elle a commis tout au long de la colonisation et qui continue à piller l’Afrique, dans cette société où, aujourd’hui comme hier le racisme est d’état et déteint sur toute la société, votre action est de salubrité publique.

*Le prénom a été changé



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