Carrefour : désinvolture ou arnaque…ou les deux ?

Rencontre avec le syndicat CGT de Marseille Le Merlan
jeudi 31 octobre 2019
par  Rouge Midi
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Décidément le dossier Carrefour va de rebondissements en rebondissements et les choses semblent s’accélérer. Pour en avoir le cœur net, Rouge Midi a rencontré, pour la 2e fois en quelques jours, quelques-uns et quelques-unes des délégués CGT du Merlan* qui ont accepté de répondre en plein feu de l’action. Les conditions de l’entretien qu’il n’est guère possible d’attribuer à un ou une en particulier tel ou tel propos aussi pour les commodités de la lecture avons-nous décidé de regrouper les réponses comme si elles émanaient d’un interlocuteur unique appelé CGT Le Merlan.

RM : On vous avait rencontrés à la veille de l’audience du 17 et on vous retrouve après on a l’impression d’une accélération et d’une amplification : le constatez-vous vous aussi ?

CGT Le Merlan : Ben oui ! Devant la violence de l’attaque sur l’emploi et la qualité du service dû à la clientèle, tout cela de la part d’une entreprise qui a reçu des milliards d’aide pour favoriser l’emploi, nous avions décidé d’utiliser les armes que nous avons : la mobilisation du personnel et la saisine de la justice. Le premier résultat de cette action a été de permettre aux salariés (et pas seulement celles et ceux du Merlan) d’être actrices et acteurs de ces actions puisque par exemple le 17 octobre , jour de l’audience, il y a eu grève massive au magasin mais aussi des débrayages dans d’autres Carrefour, une solidarité de la coordination nationale CGT Carrefour et de la fédération du commerce (qui s’est d’ailleurs ajoutée dans la procédure avec nous), des délégations qui sont venues nous accompagner au tribunal etc…On a senti un sentiment de fierté et de joie parmi nos collègues : on relève la tête et on force le 1er employeur privé de France à rendre des comptes et se justifier.

Puis il y a eu, en dehors des plaidoiries (et à cause d’elles) de nos avocats deux moment importants dans le procès. Le 1er moment c’est lorsque Carrefour a été obligée de donner des chiffres (qui recoupaient quasiment ceux de la coordination Carrefour) et ils sont énormes : on est bien à près de 2 milliards d’aide publique (dont 775 millions de CICE) pour un groupe qui a déclaré plus de 800 millions de bénéfices nets…et réduit les emplois. Il y a donc là une première arnaque à la loi et notre accusation de détournement de l’objet de la loi est donc bien fondé.

RM : mais le groupe dit qu’il a créé des emplois !

CGT Le Merlan : Oui il le dit mais... D’abord si on se fie à ce que dit la direction elle annonce la création de 259 emplois au niveau du groupe ce qui est invérifiable mais en plus comme l’a souligné la presse ce chiffre est grotesque et indécent quand on le compare aux 775 millions perçues pour la compétitivité et l’emploi : près de 3 millions par emploi créé !!
N’importe lequel d’entre nous ferait beaucoup mieux avec bien moins d’argent que les actionnaires qui nous dirigent !
Mais en plus Carrefour joue sur les structures. Il faut bien comprendre que le groupe, qui est dirigé par une poignée d’actionnaires, s’est découpé en une multitude d’entités juridiques et cela pour des raisons fiscales.
Tout en haut il y a le groupe Carrefour qui a tous les pouvoirs et en dessous il y a Carrefour France qui détient 81% de Carrefour Hypermarchés SAS et puis il y a Carrefour Property qui possède les terrains et les locaux….
Au procès Carrefour est arrivée en mélangeant volontairement les chiffres du rayon au centre de l’action juridique, ceux du magasin (qui n’est qu’un établissement), ceux de l’entreprise Hypermarché SAS…etc. Comme le dit Salah quand ils licencient c’est Hypermarché quand ils encaissent les dividendes c’est le groupe !! C’est tellement fumeux leurs arguments que, alors que l’entreprise a indiqué dans son bilan social, le document officiel qu’elle publie chaque année, la diminution 1875 emplois, elle a eu le culot d’annoncer que dans cette même période, elle aurait recruté 91 000 personnes !! Une fois et demie l’effectif national [1] : on aurait tous moins de deux ans d’ancienneté !!?

En fait et c’est le 2e moment important de cette audience, le moment où l’avocat adverse a été obligé de reconnaître que si il y avait « autonomie juridique, il n’y avait pas autonomie économique ». La direction fait passer les millions d’une structure à une autre au gré de ses choix qui jouent contre l’emploi et pour la poche des actionnaires. Les chiffres sont manipulés selon les circonstances et cela, la justice l’a déjà sanctionné dans un autre procès, celui des ex-Fralib contre UNILEVER le 17 novembre 2011 à la cour d’appel d’Aix.
Si le 21 novembre prochain la juge suit le même raisonnement et s’appuie sur cette jurisprudence, elle dira que Carrefour ne peut pas s’abriter derrière les soi-disant mauvais chiffres d’une société quand le groupe fait des bénéfices colossaux et que ses dirigeants et actionnaires sont grassement payés : Bernard ARNAULT actionnaire principal gagne 800€ par seconde et le PDG Bompard est à 20 000€ par… jour !!!

RM : puis il y a eu la question des travaux

CGT Le Merlan : oui là on frise l’indécence que donne aux riches le sentiment d’impunité. Alors que, ayant saisi la justice, nous demandions à la direction de suspendre les travaux nécessaires à la mise en œuvre de son plan de liquidation des emplois, elle nous a fait savoir qu’elle continuait comme si de rien était…évidemment dans le but de rendre très difficile tout retour à la situation actuelle. Devant cet entêtement nous avons donc bloqué les travaux chaque soir et saisi une nouvelle fois la justice en extrême urgence et la justice vient de trancher : suspension de travaux avec une astreinte de 2500€ par jour !! C’est à la fois une décision sage et logique qui ne présume pas du jugement du 21 novembre, mais aussi une décision qui conforte nous conforte toutes et tous dans le sentiment qu’en face ils ne peuvent pas tout se permettre tout le temps !

RM et puis coup de théâtre sur les travaux !

CGT Le Merlan : oui et on ne s’y attendait pas ! Le centre commercial est au-dessus de la L2 [2] et la question de la solidité de la dalle avait déjà fait l’objet d’une mise en garde et même d’un procès de la part de la préfecture en 2015 : on imagine sans peine les conséquences d’un effondrement de celle-ci !
Aussi quand on a vu que du carrelage était enlevé et que des percements de la dalle étaient prévus, après les avoir stoppés on a interrogé la préfecture sur les études de conformité de ces travaux tellement les conditions de sécurité ne nous semblaient pas remplies.
On a d’ailleurs pris des photos et des vidéos particulièrement éloquentes

Et là surprise ! On a appris des services préfectoraux que la direction n’a pas reçu l’autorisation de la préfecture pour faire ces travaux sur une dalle qui en plus contient certainement de l’amiante !!! Là la direction fait preuve d’une totale irresponsabilité. La préfecture a immédiatement dépêché une commission d’enquête au magasin et on attend donc les résultats.
En somme la juge a, avec juste raison, ordonné la suspension pour « trouble manifestement illicite » de travaux pour lesquels en plus il n’y avait pas d’autorisation ce que nous avons appris après l’audience : le trouble est double si on peut dire…

RM et nouveau coup de théâtre du travail dissimulé ?

CGT Le Merlan  : Oui là aussi cela parait incroyable !! Une « personne » on ne peut pas dire salarié, travaille dans l’entreprise depuis des mois, remplit des rayons, conduit des engins de levage dans l’espoir d’être embauché et cela sans aucun salaire, ni papier, ni rien qui justifie sa situation !!! Il vient de témoigner avec un autre collègue de travail suite à un accident dans l’entreprise alors qu’il n’existe nulle part dans les registres !!! Evidemment on demande avec lui la régularisation immédiate de sa situation et le versement des salaires dus depuis son « embauche » ! Sans attendre la réponse de la direction on saisit immédiatement le conseil de prud’hommes.
Là on atteint des sommets en matière d’illégalité et de désinvolture !

Avec tout cela comment l’action de la CGT est-elle perçue ?

CGT Le Merlan  : Pour le syndicat du Merlan ce combat que l’on mène, les soutiens que l’on a de tous côtés (le reportage de France 2 sur notre action est devenu viral sur les réseaux sociaux), cette vérité qui transparaît enfin sur des groupes qui se gavent sur notre dos, évidemment cela nous porte et nous exalte. Après des années de combat dur et dans l’ombre, la décision, en pleine lumière, du référé d’hier a transporté de joie tout le monde et notre déléguée syndicale qui en a tant vu depuis des années en a eu les larmes aux yeux. Tous ces soutiens, cet espoir que notre action fait naître sont beaux à voir et nous motivent plus que jamais. Hier dans le magasin cela parlait d’ouvrir le champagne ! Pour autant on tient à le dire : on ne s’emballe pas et on reste lucides.

Malgré l’assurance que donne maintenant la direction de stopper les travaux jusqu’au 21 novembre, on continue à veiller sur le magasin jour et nuit.
Le 21 si on perd on continuera notre bataille pour l’emploi et on continuera à dénoncer une entreprise, propriété de quelques-uns qui s’enrichissent sur notre dos. Si on gagne, alors là bien sûr ce sera extraordinaire !!! Mais il faudra continuer aussi : quel projet d’entreprise à la place de leur massacre social ? De quel circuit de vente les producteurs, les consommateurs et les salariés ont-ils besoin ?
Par coïncidence le rendu du jugement tombe en même temps qu’une rencontre internationale initiée par la FSM à Paris à l’attention des salarié-e-s de la grande distribution dans le monde. Car bien sûr Carrefour n’est pas un cas isolé.
La réflexion est ouverte et nous avons des propositions mais d’ores et déjà nous savons que ce modèle capitaliste d’écrasement de toutes et tous au profit de quelques actionnaires ne peut pas perdurer !


* Aymen, Christelle, Claudia, Florence, Nicolas, Salaheddine et Yohann


[161000 salariés

[2rocade marseillaise récemment construite pour relier 2 autoroutes NDLR



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