Orfèvrerie russe. Les morts qu’on ne pleure...

mercredi 16 octobre 2019
par  Dr Benjelloun
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Orfèvrerie russe.

Les morts qu’on ne pleure pas.
Une certaine presse, celle-là qui fabrique le plasma dans lequel nous sommes immergés
pollué de travestissements de la vérité tant elle nous la sert estropiée, invalide, sans
substance car elle se trouve tronquée de l’essentiel qui est tu, se lamente récemment sur
les Kurdes promis à une mort certaine.
Depuis 2014, une coalition dirigée par les Usa ‘contre Daesh’ opère en Syrie et en Irak et
mène des attaques aériennes sur ces deux pays. Airwars estime qu’elle a tué entre 8 214
et 13 125 civils au cours de 2 890 incidents distincts dont environ 2000 enfants et 1300
femmes. Le porte-parole du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies déclarait
pour sa part en début d’année que les 30 000 attaques aériennes conduites par la
coalition depuis auraient fait 11 800 morts parmi les civils syriens et irakiens. Pour lui,
ce nombre élevé est une violation claire des lois internationales et de la Convention de
Genève selon lesquelles les belligérants ont le devoir de protéger les populations civiles.
En avril 2017, une attaque aérienne sur un site densément peuplé à l’Est de Mossoul
avait tué près de 300 personnes en une seule fois, performance la plus meurtrière
depuis la guerre du Vietnam.
Les écrans risquaient de dégouliner bientôt du sang des pauvres Kurdes abattus par
l’armée turque auxquelles les forces étasuniennes ont fort obligeamment cédé les lieux
en se retirant. Un tel scénario a failli être joué déjà l’été 2016 et 2018, les Usa allaient
céder et les Kurdes se ranger derrière la bannière de l’Etat légal de Syrie, Ankara n’était
pas prête. Devant l’offensive turque, les forces démocratiques syriennes (YPG) acculées
par une certaine passivité de la coalition ont quasiment été incorporées à celles de
l’armée arabe syrienne. Elles avancent dans le Nord Est de la Syrie sans grande
difficulté. Elles se déploient autour de Manbij, de Tabqah vers Aïn Issa et de Hassaka
vers Qamishli sans avoir été confrontées à l’armée turque. Ce périmètre dessine à peu
près le contour du sandjak de Deir Zour pendant l’Empire ottoman et s’étend très
largement au delà des minces bandes de peuplement traditionnel kurde limitrophes de
la Turquie actuelle. Cette aisance implique l’existence d’accords préalables sans doute
négociés sous l’égide à la fois de la Russie et de l’Iran.
La diplomatie russe et l’ambivalence turque
La Turquie et la Russie ont mis en place à la veille de cette recomposition au Nord de la
Syrie un protocole qui va permettre le remplacement progressif des échanges
commerciaux entre les deux pays par leurs monnaies nationales respectives. Cette
volonté commune de s’affranchir du dollar, exprimée depuis quelque temps par les deux
partenaires, est en train de se concrétiser. Les ordres interbancaires vont emprunter un
circuit qui shunte le Swift étasunien et il sera fait usage de cartes de paiement de
conception russe (MIR) évitant Visa et Mastercard. La sanction proclamée par Trump
d’augmenter les taxes douanières sur les importations d’acier turc vont le renchérir et
impacter défavorablement le consommateur étasunien avant d’avoir un effet
improbable sur la relance de la production locale étasunienne. Les haut-fourneaux ne
redémarrent pas aussi vite qu’une écriture de quelques signes composant un tweet. Or
l’économie étasunienne repose sur la consommation elle-même étayée par le système de
la dette privée. Compromettre un équilibre déjà périlleux, ces derniers trimestres sont

marqués par une baisse de création d’emplois très nette, comporte des risques pour
l’actuel POTUS en période pré-électorale.
L’offensive contrôlée en territoire syrien de l’armée turque cherche à éradiquer les liens
du PKK avec le PYD (parti de l’union démocratique, émanation politique du mouvement
autonomiste kurde syrien) et empêcher la formation d’une entité politique kurde
souveraine sur son flanc Sud. Elle a aussi l’ambition de ranimer un patriotisme panturc
autour de l’AKP boudé lors des derniers élections législatives et communales en raison
du marasme économique et de pratiques douteuses et corrompues de l’entourage du
pouvoir. La blessure jamais cicatrisée de la perte de l’empire ottoman trouve dans cette
communion de quoi être pansée.
Toujours membre de l’OTAN et continuant d’abriter la base étasunienne d’Incirlik et ses
missiles nucléaires, la Turquie bénéficie encore à ce titre de son assistance militaire.
Lors de la visite à Ankara de son secrétaire général Jens Stoltenberg deux jours avant le
début de l’invasion en Syrie, les dépenses de plus de 5 milliards de dollars en bases et
infrastructures n’ont pas été remises en cause. Le système de défense aérienne Samp-T
co-production française et italienne est toujours déployé pour défendre (contrôler ?) la
frontière méridionale turque.
A l’époque du démantèlement du Grand Homme malade de l’Europe, la Turquie
kémaliste ramassait ses débris et tout en acceptant les millions de roubles de l’URSS
nouvellement créée menait déjà activement des tractations avec le Foreign Office.
Erdogan joue encore des mêmes ambiguïtés.
Le Sandjak de Deir Zour
Le Moyen Orient continue de payer pour l’ordre établi au sortir de la première guerre
mondiale, issu de la concertation entre les deux puissances européennes alliées, la
France et le Royaume Uni. La création d’Etats centralisés sur le modèle des ‘nations
européennes’ construites au travers de guerres incessantes intra-européennes au fil des
siècles de l’émergence du capitalisme marchand puis industriel a rompu l’harmonie
relative préalable. Les provinces ottomanes moyennant quelque tribut à la Porte
jouissaient d’une relative autonomie administrative. L’ethnicisation de la lutte politique
est une question récente, actualisée par les puissances occidentales.
Il suffit de se référer à la manière qu’a eue la puissance mandataire en Syrie de traiter la
haute Djazira, cette région syrienne entre Hassakah et Ain Al Arab qui s’enfonce en bec
de canard dans la région frontalière entre l’Irak et la Turquie. Pour ‘stabiliser’ la zone
des ambitions turques, la France qui avait déjà cédé la Cilicie et Mardin entreprend de
modifier la démographie et l’économie de la région.
Elle accueille des Kurdes de Turquie surtout après l’effondrement de la révolte kurde de
1925, encourage l’installation de chrétiens, Assyriens d’Irak, Syriaques et Arméniens de
Turquie. Le Haut-Commissariat favorise la sédentarisation d’une région essentiellement
zone de nomadisme pour des tribus arabes et kurdes éleveurs de moutons. Il a initié les
élites urbaines qu’il a forgées en distribuant terres, mandats législatifs et autres
prébendes à des revendications d’autonomie selon des bases religieuses ou ethniques. Il
a pratiqué comme ailleurs au Maghreb le dialogue direct avec les chefs de tribus en les
élevant au rang de collaborateurs redevables de quelques privilèges. Le principe de la
pulvérisation de grands ensembles en confettis de principautés autonomes et sans
souveraineté de fait car toujours dépendantes d’une puissance externe qui entretient
leur division a été appliqué plus que de raison dans l’Orient arabe. Il était de plus
hautement morcelable car fait d’une mosaïque d’ethnies et de confessions. Ici n’a pas été

appliqué le ‘cujus regio ejus religio’ qui a anéanti les chrétiens ariens négateurs de la
consubstantialité du Père et du Fils, les cathares, les albigeois puis les protestants sous
le glaive du Prince unificateur des langues et des croyances.
Mosaïque plutôt que l’uniformité monochrome
Si cette opération de l’armée arabe syrienne réussissait définitivement, un foyer de
tension entre Syriens et Turcs se résorberait. L’avenir des Kurdes habitant la région
devra reposer sur une solution politique de type fédéraliste comme pourrait l’être la
solution ébauchée en Irak. Les Kurdes de Syrie sont loin d’être homogènes et présentent
une grande diversité. Certains y résident de longue date, ce sont les groupes sédentaires
Hassenan et Miran qui ont toujours été le moins sensibles au sentiment sécessionniste,
comme les tribus nomades des Milli, Dakkourié et des Heverkan. D’autres sont de
nouveaux venus installés par vagues successives et provenant de la Turquie ou de l’Irak,
leur arrivée fut facilitée par la France puis plus tard par un Hafez Assad soucieux de se
prémunir d’une alliance contre ses deux voisins. Si tous parlent le kurmanji, dialecte le
plus répandu (70% des Kurdes), certains l’écrivent avec l’alphabet latin, d’autres avec
l’arabo-persan. Si la majorité des deux millions de Kurdes syriens sont musulmans
sunnites, il en est des minoritaires chrétiens, shiites et yézédis.
Le gouvernement de Damas saura-t-il faire preuve d’originalité constitutionnelle et
admettre comme l’a fait la Bolivie être un Etat de plusieurs peuples ?
De toute évidence, cette séquence historique souligne de nouveau que les affaires du
monde échappent de plus en plus à l’hégémonie occidentale. Elle a sûrement été
préparée de longue date.
Le rôle que se prépare à jouer la diplomatie française consiste à assurer le ménage dans
les rangs des djihadistes mercenaires avérés de la coalition étasunienne, une basse
besogne de nettoyage en somme.
Badia Benjelloun

https://airwars.org/conflict/coalition-in-iraq-and-syria/

https://www.commondreams.org/views/2019/02/21/ihchr-11800-civilians-killed-us-
led-air-strikes-syria-iraq
https://www.rt.com/business/470452-russia-turkey-national-currencies/
http://www.wikistrike.com/2019/10/deux-jour-avant-le-debut-de-l-invasion-le-
secretaire-general-de-l-otan-est-venu-en-personne-a-ankara-pour-donner-le-feu-vert-a-
erdog

https://www.lexpress.fr/actualite/monde/jean-yves-le-drian-va-se-rendre-en-irak-
pour-discuter-des-djihadistes-etrangers-en-syrie_2103544.html



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