Dans Marseille, première ville des Comores du monde, la fleur d’ylang ylang n’est plus…

vendredi 5 juin 2020
par  Charles Hoareau
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Il y a maintenant longtemps que je l’ai vue pour la 1re fois, étudiante ayant à peine fini ses études et désormais sans papiers selon la logique implacable qui guide la politique de notre « démocratie » depuis la fin des années 70.
Il y a bien longtemps et je m’en rappelle comme si c’était hier. C’est Moussa, qui me l’a présentée. Moussa le militant infatigable depuis le long conflit contre la fermeture de la PROMA en 1990, puis au comité chômeurs du 3e arrondissement, l’arrondissement le plus pauvre d’Europe…Il l’avait accompagnée à rouge vif, comme il avait coutume de le faire quand il y avait des personnes dont la régularisation paraissait particulièrement épineuse.

Djamila n’a dit que quelques mots pour décrire sa situation. Pas d’émotion apparente, juste quelques phrases calmes et sobres, émergeant à mots comptés et réfléchis de son silence intérieur que l’on avait envie de découvrir en entier afin d’en mesurer toute la richesse et la profondeur.
C’est donc comme ça que j’ai connu Djamila qui, à partir de ce jour-là, a « bien sûr » milité au comité chômeurs et au collectif sans papiers.
« Bien sûr » parce qu’il était évident pour elle qu’il ne s’agissait pas de seulement résoudre sa situation personnelle mais que cela faisait partie d’un combat collectif dans lequel elle prenait sa part.

Et quel combat…
Y a-t-il ici un combat plus dur que de se battre avec des sans-papiers pour le droit à l’existence, tout simplement ?
Elle l’a mené sans jamais se plaindre, toujours avec son sourire qui habillait sa calme détermination.

Je la revois aussi au cercle Manouchian dont elle avait suivi toutes les séances du cycle de formation de 3 ans. Elle suivait les cours attentivement, participait peu aux discussions sauf de temps en temps pour sortir un mot qui nous étonnait toutes et tous pour la réflexion lumineuse qu’il reflétait.

En toute logique elle s’est aussi investie à l’AAPPI [1] et enfin, à force de combats, son tour est venue d’être régularisée ce qui a permis que l’AAPPI l’embauche afin qu’elle poursuive pour d’autres cet accueil et accompagnement indispensables à la survie d’abord, à la vie ensuite. A peine embauchée elle a tenu à adhérer à l’ANC 13…en prélèvement automatique puisque « maintenant elle pouvait ».

Combien de manifs a-t-elle faites ? Les banderoles pouvaient changer, elle était toujours là pour les tenir…Toujours discrète, mais toujours là.

Je ne l’ai jamais observée dans son travail militant à l’AAPPI mais j’ai su par bien des retours que, au-delà de sa détermination à vaincre les obstacles que cette société dresse en travers de la route de tant de personnes dominées, exclues, discriminées, au-delà de son acharnement tranquille à ne pas laisser faire, son humanité, sa gentillesse, son écoute ont fait beaucoup de bien à beaucoup de gens…

A vivre et travailler avec elle on devait être apaisée et ce ne sont pas ses amies de l’AAPPI qui me contrediront…

Je me la rappelle dans d’autres circonstances que je ne détaillerai pas ici, où son sourire avait laissé la place à des torrents de larmes d’émotion, de compassion, de partage de souffrance. Jamais pour elle, toujours pour d’autres…

Et puis il y a eu mercredi cet appel de Boualem : 3 mots…ou peut-être même moins…

Djamila, l’ylang ylang, a été fauchée dans la fleur de l’âge, par une maladie foudroyante qui n’a pas été prise en charge à temps à cause de la gestion de merde de la pandémie et de la casse de l’outil public de santé.
Peut-être que cela aurait pu être évité ? Peut-être pas ?
Il y a des moments où on n’a même pas de ressort pour la colère. Ne reste alors que l’évocation du mektoub…et des pensées tristes pour son mari, sa famille, ses proches.

Je ne sais pas si je vais enfin finir un jour par aller à Moroni, Mitsoudje et surtout à Singani son village mais il me semble que si j’y vais les quatre îles des Comores me paraîtront bien vides…
Ou au contraire pleines de son absence, elle que je crois reconnaître dans la rue chaque fois que depuis mercredi je croise une Comorienne…

Ne me demandez pas d’en dire plus…
Kwaeri,
Lala unono, Djamila


Baptisée « la reine des Comores », la fleur ylang ylang est principalement cultivée par les femmes. Aussi appelée or des Comores, car ce pays en est le premier producteur mondial, elle est très prisée en parfumerie haut de gamme.


[1association d’aide aux populations précaires et immigrées, créée par le comité chômeurs CGT



Commentaires

Logo de Fairouz
samedi 6 juin 2020 à 08h24 - par  Fairouz

Tu es partie trop vite ma DjamDjam, pleins de souvenirs dans mon cœur à jamais.
Tu as pris un aller son retour.
Repose en paix ma chère amie et camarade.😢😢😢

Logo de ziani
samedi 6 juin 2020 à 07h31 - par  ziani

j’ai connu Djamila dans de nombreuse manif toujours la , toujours souriante , toujours discrète ,pour toujours tu nous manquera , repose en paix ma très chère camarade.

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