A Marseille le lycée Victor Hugo porte si mal son nom...

jeudi 7 juillet 2022
par  Charles Hoareau
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A Marseille le lycée Victor Hugo est le théâtre d’une lutte de longue haleine pour le service public d’éducation et contre la précarité. C’est aussi une lutte contre les discriminations qui sont au coeur de ce combat. Elle illustre ce que l’ANC écrit dans son analyse des élections " les idées d’extrême droite pour partie dépassent largement son électorat classique et même ses forces organisées. Quand on entend employés par des gens censés être de notre camp les mots « d’islamo-gauchisme » ou de « populations radicalisées des quartiers » (...) on se dit que les idées d’extrême droite font des ravages au point de brouiller les repères "...Plus que jamais lutte pour le progrès social, pour le service public et contre toutes les formes de discriminations sont inséparables.
Entretien avec Myriam une des actrices de cette lutte au côté de Manu, le secrétaire de l’UL CGT Marseille centre et lui-même AED

Myriam tu es engagée dans la lutte des AED du collège Victor Hugo à Marseille. Peux-tu nous expliquer en quoi consiste le travail des AED et en particulier dans votre collège ?

Myriam : L’assistant d’éducation, plus connu sous le terme de surveillant a un rôle indispensable au sein d’un établissement, de surcroit dans un lycée tel que Victor Hugo.
L’AED, a un rôle d’éducateur auprès des élèves, tout en garantissant leur sécurité, l’application du règlement intérieur et des tâches plus administratives comme la gestion des retards ou des absences, enfin tout au long de l’année nous surveillons les élèves lors des épreuves anticipées du baccalauréat.
Toutefois, le profil de l’AED a évolué au fil des années et, s’il était réservé aux étudiants à une époque, ces derniers ne représentent plus que 30% dans notre profession.
Cette évolution sociologique semble mal assimilée par la hiérarchie et certains enseignants qui ont tendance à nous infantiliser, à nous traiter tels des subalternes plus que des collègues de travail, ou à manifester leur mépris de classe lors de situations de crise.

Au lycée Victor Hugo, les caractéristiques professionnelles de chaque AED au sein de la vie scolaire nous ont permis d’accompagner les élèves de retour au lycée après deux années marquées par des confinements périodiques et ayant creusé des inégalités déjà prégnantes. L’écrasante majorité des élèves est issue des quartiers prioritaires de la ville, il y a très peu si ce n’est aucune mixité sociale, l’absentéisme et le décrochage battent des records.

Nous avons très tôt pris à cœur nos missions auprès des élèves, nous sommes une équipe très soudée, majoritairement engagée voire militante, nous avons été dynamiques et n’avons pas hésité à soumettre des initiatives afin de faire vivre le lycée et palier certaines carences.

Les élèves savaient identifier les AEDs compétents dans certaines disciplines, Manu pour les maths, Djenab pour le droit, Lisa pour l’histoire ou moi-même pour les SES.
Manu et Bassekou ont organisé un tournoi de foot, un club d’échec, Louna et Lisa des ateliers d’information sur le consentement, et en fin d’année nous avons mis en place des créneaux pour les rédactions des lettres de motivation pour PARCOURSUP, enfin nous avons également collaboré avec un professeur lors des élections présidentielles afin de faire connaître leur droit de vote aux élèves en vérifiant s’ils étaient inscrits sur les listes électorales.

À mon sens en travaillant à Victor Hugo on se doit de conscientiser les stigmates que portent ces élèves -sans les réduire à cela bien sûr- dans une volonté d’avoir une pratique réflexive pour le respect et la dignité des élèves. Mais également par ce que travailler dans un établissement REP semble être une caution pour certains qui démissionnent en matière de veille professionnelle et sociale.
J’ai obtenu mon bac au lycée Victor Hugo, je suis issue des quartiers prioritaires de Marseille et j’ai moi-même eu des choses à déconstruire en arrivant.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées en particulier de la part de la direction ?

Myriam : Nous avons très tôt compris que la direction s’était loupée dans son nouveau recrutement. L’an dernier, la mobilisation de la vie scolaire de notre lycée ayant pris une ampleur nationale, cette année, la proviseure et certaines CPE voulaient renouveler l’équipe, dans l’espoir que les nouvelles recrues soient plus dociles et moins engagées.
Or, dès le mois d’Octobre nous nous mobilisions en grande majorité lors des appels à la grève interprofessionnelle aux côtés des professeurs. Plus tard dans l’année, nous étions également une majorité d’AEDs mobilisés et nous répondions présents lors des appels à la grèves du collectif national des collectifs d’AED.
Dès le mois de janvier je dénonçais à la presse les dérives autoritaires de la direction et deux des 3 CPEs. Les entretiens informels se succédaient, prolongations des périodes d’essais sans motif pour d’autres, certaines collègues ont subi des brimades violentes d’une CPE, qui n’hésitait pas à prendre à parti les plus « craintifs », elle avait par exemple traité une de nos collègues de menteuse, ou interpellé violemment une autre à qui elle reprochait d’avoir parlé à la proviseure sans l’en avertir. La fin du mois de janvier a été marquée par un évènement, qui je pense, a été le point de départ d’une déferlante de violence institutionnelle dont nous ne nous serions jamais doutés.
La vie scolaire sur demande de Mme La Proviseure a rédigé un compte rendu de faits inquiétants rapportés par une dizaine d’élèves ; leur professeure tiendrait un discours ouvertement raciste et islamophobe en classe. Le document a été signé par 6 AEDs, mais mon nom a été jeté en pâture par Mme La Proviseure.
L’enseignante a polarisé la situation sur ma personne et n’a pas hésité à me salir auprès des élèves et des autres enseignants, discours teinté d’un mépris de classe vis-à-vis de mon statut, ce qu’on me (et plus tard nous) reprochait c’est d’avoir brisé la loi du silence concernant les faits de racisme au sein de l’éducation nationale mais également de ne pas être dans la logique du « sois AED et tais-toi », nous prenions trop de place pour de simples AEDs.
La salle des profs s’est scindée en deux, et la direction a tout fait pour incriminer la vie scolaire, la responsabiliser de tous les dysfonctionnements du lycée, et la mettre à l’écart de la communauté éducative.
Les mails vindicatifs écrits par la direction à notre égard se sont succédés, ils étaient adressés à l’ensemble des enseignants, nous pouvions lire par exemple « certains AEDs s’affranchissent des échelons hiérarchiques » ou encore que l’établissement fermait ses portes en raison « du mouvement de grève de la vie scolaire »... un jour de grève interprofessionnelle.

Avec la CGT vous avez fait des propositions non ? Elles n’ont pas été retenues ni entendues ?

Myriam : La CGT a été le premier syndicat a montré un soutien indéfectible à notre lutte et revendication première, à savoir le renouvellement de l’ensemble de l’équipe.
Tant en interne avec la section CGT de l’établissement qu’en externe avec le soutien de la CGT Educ’Action. La direction et deux des 3 CPEs n’ont cessé de nous mener en bateau, nous promettant par exemple des entretiens préalables lors desquels nos aptitudes professionnelles seraient les seuls critères de reconduction de nos contrats de travail. Elles ont menti, aucun entretien n’a été mené et nous avons été virés par courrier. Ces personnes n’ont que faire de nos statuts précaires et ont décidé de manière totalement arbitraire de rompre nos contrats.

Comment se déroule la lutte et quels soutiens avez-vous eus ?

Myriam : La lutte bat son plein, nous maintenons fermement notre demande de réhabilitation du personnel de vie scolaire. L’UD CGT et CGT Educ’action nous accompagnent, SUD Education a apporté son soutien, nous avons également le soutien du député de la circonscription, Manuel Bompard, qui était présent lors de notre première mobilisation et qui a écrit au rectorat.
La deuxième mobilisation fut marquée par la présence de la CGT d toutes branches professionnelles, telecom, dockers, cpam, portuaires ou les femmes de chambre du golden tulip grévistes.

Comment tu vois l’avenir non seulement pour les AED mais plus largement pour les personnels de l’éducation nationale ?

Myriam : L’application de la CDIsation de nos contrats et la prime REP obtenues suite aux mobilisations sociales dès la rentrée 2022 sera d’ores et déjà une avancée importante.
Il est nécessaire de revaloriser les statuts des AEDs voire de requalifier le métier, le terme d’éducateur scolaire a été évoqué, cela inclurait bien sûr une formation initiale et continue pour ces professionnels.
Me concernant et comme beaucoup d’AEDs, 5 au sein de notre vie scolaire, j’ai pour projet de passer le CAPES et donc m’orienter dans l’enseignement.
Plus globalement et d’autant plus depuis la réforme Blanquer, l’école publique pâtit des politiques de démantèlement du service public, les résultats des derniers concours de l’enseignement en sont l’illustration. Les personnels de l’EN et plus particulièrement les enseignants doivent se préoccuper des questions d’intérêts collectifs, rappelons qu’en 2017 38% d’entre eux ont voté pour Emmanuel Macron.

Nouveau rendez-vous de lutte ce jeudi 7 juillet devant le lycée



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