De la dollarisation à la dé-dollarisation

mardi 30 janvier 2007
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En août 1993, dans le pire moment de la crise consécutive à la disparition du bloc soviétique, le gouvernement révolutionnaire cubain avait décidé de dollariser l’économie, c’est-à-dire de dépénaliser la détention du dollar. Les objectifs étaient alors de favoriser les entrées de devises, de réduire les déficits extérieurs et de recouvrer la croissance, afin de sauver les piliers du système social : la santé et l’éducation gratuites, l’alimentation à bas prix par la carte d’approvisionnement (ou libreta)...

Le fait est qu’il y est parvenu, malgré toutes les difficultés. L’économie s’est en effet redressée à partir de 1994, et le processus a été techniquement bien maîtrisé. Néanmoins, la dollarisation ne comportait pas que des effets favorables. Les inégalités ont beaucoup augmenté. La dé-dollarisation vise à mettre fin à ces effets négatifs et à reconquérir la souveraineté monétaire.

En octobre 2004, la Banque centrale de Cuba annonçait que la circulation du dollar n’est plus autorisée sur le territoire national. Le dollar est désormais remplacé par le peso convertible, réévalué, grâce aux résultats satisfaisants de l’économie. Dé-dollarisation ne signifie pas interdiction de la possession de dollars qui restent une réserve de valeur (les comptes bancaires en dollars demeurent garantis par l’Etat).

Elle ne veut pas non plus dire que l’économie est totalement dé-dollarisée, puisqu’un rôle-clé est toujours joué par le peso convertible, équivalent interne du dollar (et exprimant le niveau et la dynamique de la productivité états-unienne). De façon pertinente, l’Etat a fait le choix d’associer à la dé-dollarisation une redistribution des revenus, volontariste, avec des hausses de salaires, des revalorisations de retraites, l’élargissement des produits incorporés dans la libreta...

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, même s’il existe des difficultés techniques pour comparer les revenus (exprimés en pesos cubains ou en dollars, par exemple) à l’échelle internationale, les pesos gagnés par un citoyen cubain ont un pouvoir d’achat supérieur aux dollars, dans la mesure où ils lui permettent de couvrir l’essentiel de ses besoins de base, que les services de sécurité sociale auxquels il a droit sont accessibles gratuitement et qu’une grande partie de l’alimentation, l’eau, l’électricité, le téléphone, le logement, les transports, la culture, le sport... lui sont fournis à prix modiques.

Ainsi, dire que le salaire moyen des Cubains est d’environ 20 dollars n’a pas beaucoup de sens, si l’on ne tient pas compte des prérogatives et des droits sociaux dont jouissent les travailleurs cubains grâce à la Révolution.

Mais le processus de dé-dollarisation n’est pas achevé, et ses difficultés ne sauraient être négligées. La Banque centrale doit conserver des réserves en devises pour garantir la circulation interne du peso convertible et maîtriser les évolutions des comptes extérieurs, du taux de change et des prix. Le gouvernement doit également convaincre les banques et investisseurs étrangers de lui conserver leur confiance, mais également le peuple cubain de l’importance du contrôle de la monnaie.

Cuba réaffirme donc sa volonté de reconquérir sa souveraineté monétaire. Cette dernière ne sera atteinte que si le peso cubain redevient l’unique monnaie du pays, ce qui passe par la poursuite de la modernisation de l’économie et le renforcement de la planification socialiste en monnaie nationale -et non pas par la libéralisation des marchés, la privatisation d’entreprises et le passage au capitalisme.


Rémy HERRERA
(CNRS, Université de Paris 1)

Pour plus de détails, voir :
Herrera, R. (ed.) (2006), Cuba révolutionnaire - Économie et planification, tome 2, L’Harmattan, Paris.



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