Les jeunes ruraux ont le sentiment que leurs « galères » n’intéressent personne

samedi 10 février 2007
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Le cadre de vie des jeunes de la Thiérache (Aisne) n’a pas la tristesse des cités- « ghettos » des banlieues sensibles. Mais dans ces villages tranquilles, les difficultés d’insertion sont les mêmes : une fois sortis de l’école, entre 16 et 25 ans, les jeunes de la mission locale vivent des situations de précarité et d’angoisse qui ressemblent étonnamment à celles décrites par les « jeunes des cités ».

VERVINS ET HIRSON (Aisne)

« On parle jamais de nous. Mais, ici, on vit les mêmes galères », résume Nathalie Delvas, 24 ans, titulaire d’une maîtrise de biologie, revenue vivre chez ses parents faute d’avoir trouvé un emploi.

Comme dans les zones urbaines sensibles, les jeunes de la région se heurtent à un marché du travail impitoyable pour ceux qui n’ont pas de diplôme ou qui ont fait des erreurs d’orientation. Nathalie Delvas dit ainsi avoir envoyé 200 CV depuis qu’elle a quitté l’université en juin 2006. Le bilan est désastreux : très peu de réponses et aucune proposition d’entretien. La faute, pense-t-elle, à un diplôme « trop général » qui n’intéresse pas les entreprises. Pour tenter de rebondir, elle s’est adressée à la mission locale et a trouvé un stage d’anglais.

Sur le plan financier, elle se contente de vivoter avec des missions d’intérim au supermarché du village et au centre de loisirs de la commune. « J’aurais dû faire un CAP, j’aurais un vrai boulot », se désole-t-elle. Son retour au domicile familial sonne comme une rétrogradation, un signe de l’impossibilité de devenir autonome et adulte à part entière : « J’ai 24 ans et je vis chez mes parents. Je ne peux pas m’installer, acheter une maison ou choisir d’avoir des enfants. »

A l’autre extrémité de la hiérarchie scolaire, Vincent Haingue, 16 ans, se trouve dans la nasse comme tous ceux qui n’ont aucune qualification. Lui a arrêté l’école très jeune pour commencer une formation par alternance, mais n’a jamais réussi à trouver de patron prêt à l’accueillir. Avec sa mère, qui le conduisait de village en village, il a parcouru des centaines de kilomètres dans la région pour rencontrer des chefs d’entreprise. Sans succès. « Ils seraient prêts à me prendre en stage. Ou même au noir. Mais pour bosser, être payé comme apprenti, j’ai rien », regrette le jeune homme, en essayant de relativiser : « Je suis pas malheureux, j’ai à manger. Mais c’est énervant de vouloir travailler et de ne pas trouver de patron. »

Le taux de chômage des jeunes demeure, en Thiérache, nettement supérieur à la moyenne nationale. Ici, contrairement aux banlieues, personne n’évoque de discriminations liées à la couleur de la peau ou à la réputation d’un quartier. Mais les jeunes pâtissent de problèmes innombrables dus aux difficultés de transport. Le réseau de bus est presque inexistant et il faut se débrouiller, tant bien que mal, pour ceux qui n’ont pas les moyens de passer le permis de conduire. Eté comme hiver, la mobylette reste donc le moyen de transport le plus courant. « On voit des jeunes faire des dizaines de kilomètres tous les jours », se désole la directrice de la mission locale, Marie-Danielle Saintes.

Officiellement, la plupart de ces jeunes sortis de l’école, mais sans emploi, se trouvent « en formation ». Davina Houd, par exemple, 21 ans, en recherche d’emploi, a suivi une multitude de programmes aux titres ronflants (« dynamique de choix professionnel », « mobilisation pour l’insertion », etc.), mais aux débouchés incertains. « Je vois pas trop où je vais », reconnaît-elle. Personne, surtout pas les jeunes concernés, n’ignore que ces formations servent avant tout à faire baisser les chiffres du chômage. Mais nul n’a intérêt à les refuser, car elles sont souvent accompagnées d’une aide financière.

Les conseillers de la mission locale ne comprennent pas pourquoi l’attention se focalise uniquement sur les banlieues alors que leurs jeunes subissent des difficultés comparables. Y compris sur le plan de l’ambition personnelle : « Le premier problème, ici, c’est l’autocensure. Nos jeunes ne sont pas poussés par leurs parents et ne sont pas incités à viser haut », explique Fabienne Ndao, 37 ans, conseillère à la mission locale. Au moment de s’orienter, beaucoup choisissent la formation la plus proche et pas la plus ambitieuse. L’exemple des grandes écoles qui viennent recruter en banlieue a marqué les esprits : on rêve, ici aussi, de disposer d’une expérience équivalente pour « booster » les jeunes de la région.

« La désertification des campagnes produit les mêmes phénomènes d’angoisse, voire de désespoir, que ce qu’on voit dans les banlieues », relève Jean-Pierre Balligand, député maire (PS) de Vervins. Certaines jeunes femmes choisissent d’avoir des enfants sans cacher à leurs proches qu’elles cherchent avant tout à obtenir des allocations et un statut social. Cette souffrance se traduit aussi par l’usage alarmant de drogues et d’alcool. Au point que, début janvier, le maire a dû prendre un arrêté interdisant la consommation d’alcool sur la voie publique.

Plus gênant encore : six incendies de voitures ont été comptabilisés, début janvier, en Thiérache, amenant L’Union de Reims, le journal régional, à s’interroger sur l’apparition, dans la région, du phénomène des... « violences urbaines ».

Source : Le Monde

Transmis par Linsay



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