Ça va mal, ne changeons rien

jeudi 22 février 2007
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Le Conseil d’analyse stratégique et Valérie Pécresse viennent de rendre publics deux rapports, consacrés l’un au service public de la petite enfance, l’autre aux congés parentaux. Leur philosophie pourrait être résumée ainsi : « Ça va mal, surtout ne changeons rien. »

Le message principal, bien que parfois brouillé, apparaît pourtant clairement à ceux qui veulent bien lire entre les lignes : la prise en charge des jeunes enfants, qui incombe encore principalement aux mères, continue, en l’absence d’un développement normal des modes d’accueil et de garde, à pénaliser lourdement l’accès des femmes à l’emploi, la qualité de leur travail et leur maintien en poste. Dès lors, on pourrait s’attendre que ces analyses fouillées aboutissent à quelques propositions susceptibles de nous sortir de cette situation.

Si, comme tous les spécialistes le savent, le choix des parents entre travail et garde des enfants à la maison n’est pas libre, mais bien contraint par l’absence de structures d’accueil et la non-compatibilité des horaires de travail et des contraintes familiales, si la présence des femmes dans l’emploi est entravée par l’arrivée d’un enfant, si l’existence d’allocations désincitatives à l’activité féminine contribue à retirer les femmes les moins diplômées du marché du travail, alors mettons en oeuvre les mesures qui nous permettront de développer l’emploi des femmes !

Mais non ! Curieusement, ces rapports commandés par Dominique de Villepin nous appellent, malgré ce constat fort clair, à ne pas bouger. Pourquoi ? La chose n’est pas dite clairement, mais la même rengaine est connue : la mise en place d’un ambitieux programme de développement de la garde des jeunes enfants serait trop chère. Ce serait même « irréaliste ». L’emploi des femmes, dont on sait qu’il constitue non seulement une mesure de justice mais aussi le seul moyen de protéger les femmes des séparations, de lutter contre la pauvreté des enfants, de continuer à financer de hauts niveaux de protection sociale et d’avoir de forts taux de fécondité, serait trop coûteux. C’est le message désespérant de ces rapports : oui l’emploi des femmes est nécessaire, oui l’emploi des femmes est entravé, oui la société consent un énorme gâchis, mais nous ne pouvons rien y faire.

On peut formuler la conclusion exactement inverse. Si l’emploi des femmes est une nécessité absolue, nous devons nous donner les moyens de le soutenir. Si le libre choix n’est pas assuré, nous devons mettre en place les conditions de son existence. Si l’emploi féminin est pénalisé par la pénurie des modes d’accueil, c’est une ardente obligation de prévoir leur mise en place. Si les femmes peu diplômées sont incitées à se retirer du marché du travail et retrouvent, après plusieurs années d’absence, quand elles en retrouvent de l’emploi, des conditions de travail plus dégradées, c’est un devoir de remplacer ces dispositifs publics par des mesures moins néfastes pour l’emploi. Même la très sérieuse OCDE nous y invite, indiquant que, si l’on consacrait à l’accueil de nos enfants les sommes qu’y consacre le Danemark, les 13 points d’écart de taux d’activité entre hommes et femmes seraient bientôt comblés, et la croissance potentielle augmentée.

Oui, de telles mesures sont coûteuses. Si l’on voulait trouver une solution d’accueil pour tous les enfants de 0 à 3 ans, il nous faudrait mettre plusieurs milliards sur la table. Mais ce chiffrage est à normes inchangées : on peut sans doute revoir celles-ci. De plus, ce programme peut être étalé sur plusieurs années. Enfin et surtout, il constitue un véritable investissement dans l’avenir dont les retombées en termes de salaires féminins, mais aussi de cotisations sociales et d’impôts donc de recettes publiques, et de croissance, doivent être prises en considération.

Si nous dépensons pour l’accueil et la garde des enfants de 0 à 6 ans 1,3 % de notre PIB, le Danemark y consacre 2,7 % ! Mais il s’agit d’une organisation différente : au Danemark, toutes les sommes sont consacrées au financement d’un vaste service d’accueil, performant, attentif aux besoins individuels des enfants, instrument majeur au service de l’égalité des chances. En France, nous dépensons d’énormes sommes pour nos politiques familiales, dont seule une petite partie est consacrée à la garde des enfants. Au Danemark, les taux d’emploi féminin sont les plus hauts du monde et la société s’est organisée pour permettre aux parents, pères et mères, de travailler et de consacrer du temps à leurs enfants.

En France, notre réussite en matière de fécondité, bienfait public, est payée par le sous-emploi et la sous-valorisation des femmes dans le monde professionnel. Cette situation est injuste, mais elle est aussi, cela crève les yeux, économiquement inefficace. Quand nous déciderons-nous à sauter le pas et à transformer notre Etat en Etat social actif capable de faire des calculs à long terme et d’investir dans l’avenir ?

Source : Le Monde

Transmis par Linsay


Dominique Méda est sociologue et chercheur au Centre d’études de l’emploi.



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