Nettoyage ethnique dans l’Himalaya

samedi 14 avril 2007
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Un aperçu guère réjouissant de ce petit royaume que l’on pourrait croire paradisiaque...

Le Bhoutan est l’un de ces royaumes pittoresques où l’anniversaire de la famille régnante sert de fête nationale. Mais, le 17 décembre dernier, au moment ou le gouvernement royal célébrait le 99e anniversaire de l’accession au trône de la dynastie Wangchuk, la police arrêtait à Phuntsoling un groupe de réfugiés qui voulaient rentrer chez eux. Il fallait s’y attendre. Comme tous les régimes despotiques, celui du Bhoutan a toujours été extrêmement hostile à toute forme de différence, de divergence et de diversité. Exilés depuis seize ans, les réfugiés lhotshampas [Bhoutanais d’origine népalaise] ont dû être très frustrés par l’attitude de la plus grande démocratie du monde. Car c’est la police indienne qui a contrarié pour la énième fois le retour des intéressés en les remettant à la police bhoutanaise.

Ce minuscule royaume himalayen est devenu membre de l’Organisation des Nations unies en 1971 à la demande de l’Union soviétique. Conscient de ses limites dans l’arène internationale, le roi Jigme Singye Wangchuk [qui a régné de 1972 à 2006] a utilisé à fond l’apparente vulnérabilité de son paradis terrestre pour charmer les Occidentaux et assurer son règne. Il a notamment accru l’attrait touristique de son pays en limitant le nombre de visiteurs étrangers à 6 000 par an. Monarque absolu depuis plus de trente ans, le roi Jigme a cultivé des liens et établi des relations qui protégeront et soutiendront sa dynastie quoi qu’il arrive.

Alors que la communauté internationale était sur le point de se pencher de plus près sur les rois et leur gouvernement à la suite de l’aventurisme de Gyanendra à Katmandou et du coup d’Etat royalo-militaire de Thaïlande [le 19 septembre 2006], le roi Jigme a réagi rapidement et déclaré qu’il abdiquait en faveur de son fils en décembre dernier. Tandis que celui-ci accédait à ces hautes destinées à Thimbu à la mi-décembre, la presse de Delhi se répandait en compliments sur cette manœuvre et sur l’intronisation du jeune prince formé à Oxford. Le fait que le Bhoutan jouit de la distinction douteuse d’être classé [par l’Asian Centre for Human Rights] à la deuxième place [après le Bangladesh] parmi les pays violateurs des droits de l’homme en Asie du Sud était à peine évoqué dans les dépêches indiennes.

Le royaume interdit la télévision par câble, contrôle la presse nationale et punit sévèrement toute opposition. Mais les médias régionaux et internationaux l’oublient et préfèrent s’étendre sur l’absence de feux de circulation à Thimbu. Mal informés par la presse grand public, rares sont les gens, y compris dans le sous-continent indien, à savoir que le Bhoutan est de tous les pays du monde celui qui a expulsé la plus grande proportion de sa population nationale.

Ce nettoyage s’est fait à si grande échelle que nul ne connaît le nombre des Lhotshampas qui ont été torturés, mutilés, tués et chassés de chez eux par le régime. Outre les 107 000 personnes qui croupissent dans les camps de réfugiés du Népal, il y aurait 100 000 personnes éparpillées en Inde. Et des milliers d’autres ont migré hors du sous-continent. Leurs malheurs et leur lutte sont cependant passés inaperçus auprès de l’intelligentsia de la région. Le silence de la société civile indienne, pourtant si volubile, vis-à-vis des réfugiés qui languissent dans les camps de l’est du Népal depuis quinze ans est tout aussi irritant.
Une génération est née, qui a grandi dans ces camps et qui est devenue adulte en exil. Ces gens ont vu la montée des maoïstes au Népal puis leur réhabilitation [1], qui s’est faite ouvertement, avec l’aide et le soutien des autorités indiennes. Les leçons qu’ils en ont tirées sont peut-être bien différentes de celles du ministère des Affaires étrangères indien. Pour le moment, les Etats-Unis, en proposant timidement de réinstaller au Bhoutan 60 000 réfugiés sélectionnés par leurs soins, ont réussi à semer la confusion chez un grand nombre d’exilés qui n’ont ni identité, ni emploi, ni avenir dans les camps provisoires. Ce genre de mesure n’a cependant aucune chance d’être un succès pour une raison simple : traiter les symptômes est inutile, voire contre-productif, tant qu’on ne s’attaque pas à la cause de la crise dans son ensemble.

Or la racine de tous les maux du Bhoutan, c’est la rigidité de la monarchie. Même la machine de propagande bien huilée qui opère à partir de la capitale indienne ne peut dissimuler le fait que Thimbu est l’un des derniers bastions du purisme racial. Or il n’est pas possible d’édifier une société tolérante et un pays solide sur cette base. C’est une leçon que le nouveau roi du Bhoutan, Jigme Khesar Namgyel Wangchuk, 27 ans à peine, ferait bien de tirer des deux cent cinquante ans de règne de la dynastie des Shah au Népal. Le Bhoutan se trouve actuellement dans la même situation socioculturelle que le Népal quand Birendra, le frère du souverain népalais actuel, est monté sur le trône en 1972. Bien que formé à Eton, puis dans les universités de Tokyo et de Harvard, le nouveau roi de l’époque avait choisi de marcher sur les traces nationalistes de son père et n’avait réformé la monarchie qu’en apparence. L’avenir de la dynastie des Shah est aujourd’hui menacé à Katmandou. Le père du nouveau roi du Bhoutan a peut-être agi plus intelligemment, mais sa politique ne se distingue pas vraiment de celle de Birendra. Ce que le régime de Thimbu a fait, c’est tout simplement du nettoyage ethnique.

Au cours des douze derniers mois, l’élite politique indienne a affiché une maturité rare vis-à-vis des soubresauts politiques du Népal. Reste à voir si une sagesse similaire mettra un terme aux épreuves des 300 000 Lhotshampas et de toutes les minorités du Bhoutan.

Article de C. K. Lal, dans Himal du 01/03/2007

Transmis par Linsay


Réfugiés
Face à des lois privilégiant les Bhoutanais de souche, de nombreux citoyens d’origine népalaise se sont repliés vers le sud du pays depuis la fin des années 1980 et sont désormais poussés à l’émigration. Mais l’Inde voisine les rejette et, au Népal, ils croupissent dans des camps du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux ont trouvé refuge aux Etats-Unis, au Canada et dans certains pays de l’Union européenne.


[1avec leur entrée au gouvernement en novembre dernier



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