CUBA-USA : Le litige le plus long de l’époque contemporaine

dimanche 4 mars 2007
popularité : 4%

Le prétendu Plan d’aide à une Cuba libre du gouvernement de Bush n’est rien d’autre que le dernier morceau de bravoure d’une histoire de près de deux cents ans de voracité annexionniste nord-américaine. Cette synthèse, dont les éléments ont été puisés à diverses sources, pour la plupart des Etats-Unis, reprend à son début ce qui pourrait être considéré comme

Le litige le plus long de l’époque contemporaine

AU printemps 1995, un groupe d’hommes politiques, d’économistes et d’intellectuels dont je faisais partie se réunissait à New York, au siège du Conseil des relations extérieures, pour tenir un débat sur les aspects économiques, culturels et politiques des relations bilatérales entre Cuba et les Etats-Unis. Il s’agissait d’un exercice académique d’échanges de vues, sur le fond des différends aigus qui existaient entre les deux nations.

La partie nord-américaine était représentée par quelques sous-secrétaires du Département d’Etat qui avaient eu à voir avec la politique anticubaine des gouvernements précédents, des académiciens provenant de diverses institutions et des personnalités du Conseil.

Si le dialogue se déroula dans un climat de détente, dès le premier moment les désaccords furent marqués sur des sujets divers.

A mesure que les travaux avançaient le ton montait, et quand la discussion s’ouvrit sur le thème politique, la mésentente fut totale.

La partie cubaine avait insisté sur le manque de pragmatisme de la politique nord-américaine à l’égard de Cuba : A cette époque les Etats-Unis normalisaient leurs relations avec la Chine et le Vietnam et recherchaient une entente avec la Corée du Nord. Or, les Etats-Unis avaient été en guerre contre ces deux derniers pays dans la deuxième moitié du XXe siècle, ils y avaient laissé plus de cent mille morts et un nombre élevé de disparus. Les guerres contre la Corée et le Vietnam ont laissé de profonds traumatismes dans la société nord-américaine.

Par contre, à Cuba, il n’y avait eu ni guerres ni morts, on n’y brûlait pas de drapeaux nord-américains, la culture nord-américaine y trouvait sa place sans se heurter au mur de la xénophobie ou du nationalisme outrancier, un citoyen étasunien qui venait en visite dans l’île était bien accueilli malgré les énormes dommages occasionnés par la politique d’agression. Or, malgré tout cela, il n’y avait pas même de la part des Etats-Unis une volonté d’approcher une table de négociations, ne serait-ce que pour analyser les différends.

Un certain William D. Rogers, qui avait été sous-secrétaire d’Etat pour les affaires de l’hémisphère occidental sous les deux mandats de Kissinger, lui coupa la parole pour dire : « Tout ceci est vrai : la Chine, le Vietnam, la Corée, c’est vrai, mais les Cubains ne doivent pas perdre de vue une chose : pour l’immense majorité des politiques étasuniens, Cuba est une affaire différente ». Il s’interrompit un instant pour revenir à la charge : « Pour l’immense majorité des politiques étasuniens, Cuba, c’est une affaire sentimentale… »

J’en demeurai sous le choc. Ainsi donc, si Cuba reste à ce jour une affaire sentimentale, cela veut dire que le respect de l’autodétermination de Cuba passe par le surgissement d’une classe politique aux Etats-Unis qui serait disposée à entendre cette simple phrase de sept mots : « Cuba est un pays libre et indépendant. »

Je faisais part de mes réflexions sur cette réunion à un ami latino-américain. Du fond de son incompréhension des antécédents historiques, il attribuait le conflit à ce qu’il appelait l’attitude de défi de Fidel Castro. Pour lui, dès que le leader historique de la Révolution aurait disparu, c’en serait une bonne fois fini du conflit entre les deux pays.

J’insiste : il manifestait ainsi une incompréhension totale des antécédents historiques, car les dissensions entre Cuba et les Etats-Unis sont plus vieilles que Mathusalem…

Quiconque voudra bien se pencher sur des événements historiques qui datent de la fin du XVIIIe siècle constatera que le différend entre les deux pays ne relève d’aucune idéologie et se situe à la croisée de deux grandes causes : celle de l’indépendance et celle de l’annexionnisme.

Les documents et les livres cubains ou nord-américains montrent à l’évidence que le litige le plus prolongé de l’histoire contemporaine remonte à l’indépendance des treize colonies anglaises et se poursuit jusqu’à la loi Helms-Burton et, plus récemment, au « pavé » de 450 pages qui prévoit plus de six cents mesures servant à tracer l’avenir de Cuba dans l’optique d’une « transition violente » conçue par l’administration de George W. Bush dans les conditions du « Plan d’aide pour une Cuba libre ».

Cuba est le seul pays du monde à devoir faire face depuis près de deux cents ans à une politique extérieure des Etats-Unis en vertu de laquelle cette nation n’est pas comme les autres, le « Destin manifeste » lui ayant confié la mission civilisatrice consistant à apporter aux autres peuples « le mode de vie nord-américain ».

La nécessité et le droit font que Cuba appartient aux Etats-Unis

« J’avoue en toute candeur, écrivait en 1807 Thomas Jefferson, un des pères fondateurs de la nation nord-américaine, que j’ai toujours vu dans Cuba l’acquisition la plus intéressante que pourrait faire notre système d’Etat. »

Un peu plus tard, en 1823, le secrétaire d’Etat nord-américain John Quincy Adams lançait sa doctrine du « fruit mûr » et du fatalisme géographique. « Tout comme un fruit arraché de son arbre par la force du vent ne peut pas ne pas tomber par terre, de la même façon, dès que Cuba aura rompu le lien artificiel qui l’attache à l’Espagne et s’en sera séparée, incapable de se maintenir seule, elle tombera nécessairement dans les bras de l’Union nord-américaine, à l’exclusion de tout autre, tandis que de par sa loi il sera impossible à l’Union de ne pas l’accueillir en son sein. »

A cette époque c’est James Monroe, le créateur de la fameuse doctrine « l’Amérique aux Américains », qui préside les Etats-Unis. Thomas Jefferson lui écrit : « L’annexion de Cuba à notre confédération est exactement ce dont nous avons besoin pour renforcer notre pouvoir national et le porter à son plus haut degré d’intérêt. »

En mai 1847, le journal New York Sun indiquait dans un éditorial : « La nécessité et le droit font que Cuba, de par sa position géographique, doit appartenir aux Etats-Unis, peut et doit être nôtre. »

Un an plus tard, le président nord-américain Polk devait approuver les premières démarches auprès de l’Espagne pour acheter Cuba. Le quotidien Creole de New York expliquait l’essence de cette démarche. « De par les destinées de la Providence, Cuba appartient aux Etats-Unis et doit être américanisée. »

Le processus d’« américanisation » de Cuba, qui prit forme pendant tout le XIXe siècle dans la pensée politique étasunienne, se basait sur le mépris le plus absolu des Cubains.

En 1852, le quotidien El Delta de La Nouvelle Orleans expliquait : « Leur langue (celle des Cubains) sera appelée à disparaître la première : la langue latine bâtarde de leur nation ne résistera que peu de temps à la concurrence de l’anglais robuste et vigoureux… Leur sentimentalisme politique et leurs tendances anarchiques lui emboîteront le pas et, petit à petit, l’absorption sera complète, car il est inévitable que s’impose la domination de l’esprit américain sur une race inférieure. »

Naturellement, l’aspect économique n’est pas moins primordial que la géographie. Vers 1828, 39% des importations cubaines proviennent des Etats-Unis, contre 26% seulement de l’Espagne. Dès 1860, les Etats-Unis absorbent 62% des exportations cubaines ; la Grande-Bretagne en absorbe 22% et l’Espagne 3% seulement.

En 1881, le consul nord-américain à Cuba est déjà en mesure d’affirmer dans son rapport : « Commercialement parlant, Cuba est déjà une dépendance des Etats-Unis même si, politiquement, elle continue de dépendre de l’Espagne. » En 1884, les Etats-Unis absorbaient 85% de la production totale de Cuba.

Assainir ce pays, même si ce doit être à la manière de Sodome et Gomorrhe

Dans les années 90 du XIXe siècle, les secteurs politiques nord-américains commençaient à arriver à la conclusion que le « fruit cubain » n’avait que trop mûri et devait être avalé.

En novembre 1891, la publication Munsey Magazine insistait sur l’achat de l’île, sous le prétexte que sa position géographique en faisait une pièce essentielle de la défense des Etats-Unis et aussi la destination naturelle de leurs excédents de production. Elle ne dissimulait pas la volonté de tout mettre en œuvre pour faire main basse sur Cuba : « On peut d’ores et déjà affirmer que Cuba sera nôtre avant longtemps… »

Une autre publication, The American Magazine of Civics, citait en 1895 diverses opinions sur l’annexion de Cuba, et en particulier celles de personnalités en vue de Wall Street comme Frederick R. Condert, qui déclarait : « ‘J’en ai l’eau à la bouche quand je m’imagine Cuba Etat intégrant de notre grande famille. »

« Si nous ne nous emparons pas de Cuba, écrivait le 23 septembre 1897 Theodore Roosevelt, alors sous-secrétaire à la Marine des Etats-Unis, l’île restera aux mains d’une nation faible et décadente, et la possibilité d’obtenir Cuba partira pour toujours en fumée. Je ne crois pas que l’autonomie suffise à pacifier Cuba (l’Espagne l’avait alors promise à l’île) et j’ai espoir que dans un avenir proche, il s’y produira des événements d’une nature telle que nous serons forcés d’y intervenir. »

Les véritables objectifs de l’intervention sont exprimés de manière révélatrice dans un communiqué adressé le 24 décembre 1897 par M. Breckenridge, sous-secrétaire à la Guerre des Etats-Unis, au lieutenant général de l’armée nord-américaine N.S. Miles, nommé général en chef des forces destinées à l’intervention.

Que disait ce communiqué ?

« Cuba est un territoire plus grand et plus peuplé que Porto Rico. Cette population est faite de Blancs, de Noirs, d’Asiatiques et des fruits de leur mélange. Les habitants sont généralement indolents et apathiques. Il est évident que l’annexion immédiate d’un aussi grand nombre d’éléments perturbateurs serait une folie ; avant donc de l’envisager il convient d’assainir ce pays, même si ce doit être à la manière qui fut celle de la Divine Providence dans les villes de Sodome et Gomorrhe.

« Il faudra détruire par le fer et le feu tout ce qui est à portée de nos canons, renforcer le blocus pour que la faim et la peste, son éternelle compagne, déciment sa population pacifique et réduisent son armée ; quant à l’armée alliée (il parle de l’armée de libération cubaine), elle devra être affectée constamment à des missions d’exploration et d’avant-garde, de sorte que le poids de la guerre la prenne inévitablement entre deux feux ; toutes les expéditions dangereuses et désespérées devront donc lui être confiées. »

L’imminente victoire des forces patriotiques cubaines fut donc escamotée par l’intervention nord-américaine qui empêcha le surgissement d’un nouvel Etat, comme cela s’était déjà passé dans le reste de l’Amérique latine ; toutes les structures du pouvoir colonial furent maintenues, mais au service des Etats-Unis, pour mener à bien les plans de dépendance totale de l’île.

Sans doute à partir de cette conviction annexionniste préformée aux Etats-Unis, la première décision prise par Tomas Estrada Palma dès que commença l’intervention étasunienne dans le conflit cubano-espagnol fut de trahir la mémoire de José Marti et de dissoudre le Parti révolutionnaire cubain dont Marti avait fait le facteur unitaire de la lutte pour l’indépendance. Le mouvement révolutionnaire cubain se fragmentait ainsi en rien moins que… 57 partis et groupes politiques !

L’intervention ayant atteint ses objectifs, le général Leonard Wood, gouverneur militaire nord-américain à Cuba, écrivait au secrétaire à la Défense des Etats-Unis, E. Root : « Tous les Américains et les Cubains ayant une vision d’avenir savent que l’île fera partie des Etats-Unis et qu’il est donc de leur intérêt comme du nôtre de lui donner une position solide. »

Leonard Wood, gouverneur de Cuba de décembre 1899 à mai 1902, entendait tirer tout le parti possible de ses pouvoirs illimités ; il remit à des compagnies étasuniennes 223 concessions pour l’exploitation des ressources naturelles les plus précieuses de l’île.

Il promulgua également l’Ordre militaire N° 62, plus connu des Cubains de l’époque comme « Loi du pillage ». On assista à un incroyable paradoxe : le président des Etats-Unis McKinley avait plus de pouvoirs dans un pays étranger que dans le sien propre, puisqu’il pouvait modifier les taxes douanières cubaines alors qu’il ne pouvait pas le faire aux Etats-Unis, où il s’agissait d’une faculté du Congrès. Il fit usage de ce droit et causa la ruine des propriétaires cubains indépendantistes et la perte de leurs propriétés.

Un journal de l’Etat de Louisiane faisait remarquer à cette époque : « Peu à peu, la totalité de l’île passe aux mains de citoyens nord-américains, ce qui constitue le moyen le plus rapide et le plus sûr pour obtenir son annexion aux Etats-Unis. »

« L’Amendement Platt leur laisse une indépendance étroite ou nulle »

A la fin du XIXe siècle, les grandes puissances européennes entendaient se répartir le monde, et la diplomatie nord-américaine tenait à éviter les frictions ; or, la majorité du peuple cubain résistait à l’annexion ; c’est pourquoi les Etats-Unis recherchèrent une formule en vertu de laquelle les Cubains auraient leur république mais les élus seraient des hommes qui se plieraient aux diktats et aux intérêts nord-américains.

Dans cette optique, le 9 février 1901, le secrétaire à la Défense nord-américain E. Root adressa au gouverneur Wood une lettre dans laquelle il définissait les cinq conditions sur lesquelles devaient reposer les relations cubano-étasuniennes :

1. reconnaître le droit des Etats-Unis à intervenir dans les affaires intérieures de Cuba.

2. limiter le droit de Cuba à signer des accords et des traités avec les puissances étrangères ou leur concéder des privilèges sans avoir consulté les Etats-Unis.

3. limiter les droits de Cuba à obtenir des prêts de l’étranger.

4. reconnaître le droit des Etats-Unis à acheter des terres et à avoir des bases navales à Cuba.

5. Cuba doit reconnaître et se soumettre à toutes les lois promulguées par les autorités militaires nord-américaines et aux droits dérivant de ces lois.

Le sénateur Orville H. Platt incluait ces cinq points dans l’amendement qu’il présenta au Congrès étasunien et leur ajoutait trois clauses supplémentaires :

6. Le gouvernement de Cuba exécutera si nécessaire tous les plans déjà conçus et les autres à venir qui conviendront aux deux pays pour l’assainissement des populations de l’île, afin d’éviter le développement de maladies épidémiques ou infectieuses et d’assurer ainsi la protection de la population et du commerce de Cuba comme du commerce et de la population des ports du sud des Etats-Unis.

7. L’île des Pins est omise des limites de Cuba proposées par la Constitution, sa propriété devant être définie dans le cadre d’un arrangement futur.

8. Le gouvernement de Cuba fera figurer les dispositions antérieures dans un traité permanent avec les Etats-Unis.

Ainsi surgit, au sein du Congrès des Etats-Unis, cet Amendement Platt que les Cubains étaient obligés d’incorporer à leur Constitution républicaine en temps qu’honteux appendice.

Quelques jours après avoir approuvé l’Amendement Platt, le général Wood écrivait à Theodore Roosevelt, alors vice-président des Etats-Unis : « Bien entendu, l’Amendement Platt ne laisse qu’une indépendance étroite ou nulle à Cuba… Le plus pratique serait maintenant d’obtenir l’annexion. Mais cela demandera un peu de temps… Avec le contrôle que nous avons sur Cuba et qui finira par devenir possession, nous aurons bientôt le monopole du commerce mondial du sucre. J’estime que Cuba est une acquisition on ne peut plus souhaitable pour les Etats-Unis. »

Wood n’exerça pas seulement des pressions intenses sur bon nombre des constituants cubains pour arriver à ses fins, il manoeuvra aussi pour limiter la participation du peuple cubain aux élections partielles de juin 1900 :les conditions imposées par les forces interventionnistes étaient de ne permettre qu’à 7% de la population d’accéder aux urnes. Sur 1 572 797 Cubains, seuls 150 648 purent s’inscrire sur les listes électorales, conformément à la loi électorale promulguée par le gouverneur Wood, et 110 816 votèrent effectivement. Ainsi se déroulèrent les premières élections « démocratiques » cubaines organisées à Cuba par les Etats-Unis.

La conception de la République cubaine fut ébauchée dans la dernière année du XIXe siècle par la publication Review of Reviews : « La nouvelle Cuba sera une nation, mais pas un pouvoir souverain. Au plan intérieur, elle jouira de l’indépendance que son peuple a voulue et pour laquelle il a lutté. Au plan extérieur,ce sera une dépendance placée sous la protection du grand pouvoir américain. »

Ceci était garanti par la composition du premier gouvernement républicain cubain. Parmi les ministres ou secrétaires du gouvernement qui partagèrent avec Tomas Estrada Palma la direction de l’Etat bâtard cubain, neuf avaient appartenu au Parti autonomiste disparu, dont les principales figures avaient déjà été récupérées par la métropole espagnole et mises au service de l’Etat colonial ; six étaient membres de grandes familles de l’oligarchie sucrière, et six autres, dont certains avaient participé d’une manière ou d’une autre à la Révolution de 1895, avaient occupé des postes importants sous le gouvernement d’occupation américain.

Le mépris dans lequel les Cubains étaient tenus parmi les gouvernants des Etats-Unis est évoqué en ces termes par Gonzalo de Quesada, ambassadeur de Cuba en Amérique du Nord dans les premières années du siècle : « On invoque aujourd’hui (aux Etats-Unis) notre incapacité à survivre sans l’aide de l’étranger. On met en relief nos erreurs, et nos hommes sont tournés en dérision… Les centaines de millions de pesos investis à Cuba sont à leurs yeux plus significatifs que notre avenir intellectuel et moral. L’or exige maintenant la stabilité, la tranquillité, la prospérité… et la paix, ne serait-ce que celle des sépulcres. »

L’avis des proconsuls

Le reste de l’histoire est le comportement des proconsuls et de leurs droits « autodécernés », dont je ne citerai que quelques exemples :

Charles Magoon, « gouverneur provisoire » de 1906 à 1909, définissait clairement, dans son rapport au gouvernement nord-américain, la nature du pluripartisme cubain, expliquant à ses supérieurs : « A Cuba, les liens des partis ne comptent guère. Rares sont les programmes, si tant est qu’il y en ait, qui touchent des points essentiels de la politique nationale ou abordent de véritables différences de principes politiques. »

Charles Magoon arrivait avec la première des interventions nord-américaines dans la vie politique de Cuba, conformément aux règles introduites par l’Amendement Platt, mais avec en outre l’intention de débroussailler rapidement le chemin au profit des hommes d’affaires yankees. Selon les historiens nord-américains Scott Nearing et Josep Freeman, qui publièrent en 1925 leur ouvrage intitulé La diplomatie du dollar, entre cette première intervention militaire et la troisième, en 1917, les intérêts économiques nord-américains prospérèrent dans l’île. En 1898, les investissements étasuniens se montaient à 50 millions de dollars ; en 1909, ils étaient déjà de 141 millions et au milieu des années 20, ils avaient fait un bond spectaculaire, passant à 1,25 milliard.

Il faut aussi citer le général Enoch Crowder, arrivé à La Havane en qualité d’envoyé des Etats-Unis en 1921, qui manipula totalement le gouvernement cubain à coups de mémorandums, au nombre de quinze, lui conférant davantage de pouvoirs qu’au président cubain et qui se dressa vigoureusement contre toute initiative pouvant suggérer la moindre aspiration à l’indépendance.

Dans les années 30, l’ambassadeur Summer Welles écrivait à ses supérieurs : « Le président me demande conseil jour après jour sur toutes les décisions qui concernent le gouvernement. Ces décisions vont de la plus pure politique intérieure aux questions relatives à la discipline de l’armée, en passant par la désignation du personnel dans toutes les branches du gouvernement. »

Plus tard vint l’ambassadeur Jefferson Caffery, représentant personnel du président Roosevelt. Son ingérence était telle que l’histoire cubaine a donné son nom à l’un des gouvernements de la République.

Les Etats-Unis étaient absolument certains de tenir en mains leur néo-colonie, comme le démontre cette phrase publiée par le Washington Daily News le 30 mai 1934, le lendemain de l’abolition de l’Amendement Platt :

« Economiquement parlant, Cuba restera le pupille des Etats-Unis. Tant que le capital nord-américain continuera de dominer dans l’île les industries, les terres et les banques et tant que les Cubains dépendront du commerce nord-américain, leur gouvernement et leur vie nationale demeureront sous l’influence des Etats-Unis. »

Il faut dire que trois cents compagnies nord-américaines s’étaient implantées dans l’île. La « libre entreprise » permit à 28 corporations nord-américaines de contrôler le quart du territoire productif de la nation cubaine, ce qui s’ajoutait à la possession de 36 usines à sucre, des compagnies des chemins de fer, des mines, du téléphone et de l’électricité, pour ne pas parler du maintien de la base navale de Guantanamo ni des engagements de réciprocité militaire.

Il faut aussi préciser que l’abolition de l’Amendement Platt n’avait été qu’un battage publicitaire, purement symbolique.

Dans son éditorial du 18 juin 1934, le Washington Post assurait à ce sujet : « Les Etats-Unis ont renoncé à toute responsabilité quant au maintien de la loi et de l’ordre à l’intérieur de l’île, mais notre droit à intervenir pour assurer la protection des vies et des propriétés américaines subsiste. »

Dans le nouveau traité permanent sur les relations bilatérales, il était clair que les règles du jeu n’avaient en rien changé, comme l’indique l’article 2 de cet accord signé dès 1934 : « Tous les actes réalisés par les Etats-Unis à Cuba pendant l’occupation militaire de l’île, jusqu’au 20 mai 1902, date de l’établissement de la République de Cuba, ont été ratifiés et demeurent valables, et tous les droits légalement acquis en vertu de ces actes seront maintenus et protégés. »

Le status quo résultant de l’Amendement Platt demeura en vigueur. La preuve en est l’aveu que fait un des derniers ambassadeurs étasuniens des années 50, M. Earl Smith. Il reconnaît dans ses Mémoires, rédigées des années plus tard, que pendant sa mission et jusqu’aux premiers jours du triomphe de la Révolution, l’ambassadeur des Etats-Unis était le deuxième homme de l’île et jouait parfois un rôle plus important que le président de Cuba.

Le gouvernement nord-américain fut sur le point de recourir en 1958 au « droit d’intervention » contenu dans l’Amendement Platt, au vu de l’avancée des forces rebelles conduites par le commandant Fidel Castro, qui parvenaient à battre à plates coutures l’armée du dictateur Fulgencio Batista, l’individu qui avait pris le pouvoir par un coup d’Etat quelques années plus tôt avec le soutien des Etats-Unis et qui bénéficia jusqu’au bout de leur aide militaire. Une note du Département d’Etat annonça même la possibilité de l’intervention dans le conflit armé, tout comme en 1898. Mais cette fois, les choses devaient tourner autrement…

La neutralité de Fidel Castro est un défi

On cherche aujourd’hui à tout déformer aux yeux du monde, mais les faits sont les faits et l’histoire du litige est écrite noir sur blanc. La victoire de janvier 1959 est encore et toujours celle de la cause de l’indépendance nationale, soutenue par les patriotes cubains depuis plus d’un siècle.

La Révolution cubaine prend le pouvoir le 1er Janvier 1959. Fidel Castro et l’Armée rebelle entrent dans La Havane une semaine plus tard. Dès le 15 janvier 1959, soit juste une semaine après son arrivée à La Havane, le commandant Fidel Castro donnait une interview au News and World Report où il se montrait clair et précis : « Nous voulons de bonnes relations avec les Etats-Unis, mais la soumission, à aucun prix. »

Depuis la position de la souveraineté, Fidel annonçait que le pays n’était pas disposé à permettre l’ingérence ou la violation de l’autodétermination, et cela même était perçu comme une agression par les gouvernants des Etats-Unis.

Quelques mois devaient encore s’écouler avant que Cuba n’adopte la première loi révolutionnaire, celle de la Réforme agraire (en mai1959), les idées du socialisme n’avaient pas encore pris racine dans les mentalités cubaines, mais dès janvier 1959, la défense du droit à l’autodétermination avait suscité la colère des politiques nord-américains.

Dans son numéro du 6 avril 1959, la revue Time exprimait le mécontentement que partageaient les gouvernants nord-américains, affirmant que « la neutralité de Castro est un défi lancé aux Etats-Unis ».

Le gouvernement cubain ne pouvait même pas être « neutre » face aux Etats-Unis !

A partir de là s’engageait une guerre sans pitié qui a échoué dans ses multiples tentatives de subversion de la nation cubaine et qui, avec la loi Helms-Burton et le nouveau plan de mesures de Bush, a épuisé l’arsenal des représailles politiques, économiques et diplomatiques.

Et tout ceci, de la part d’un pays gigantesque qui à sa naissance, le 4 juillet 1776, approuvait une Déclaration d’indépendance où figurait en bonne place le droit naturel de chaque peuple à décider de ses propres destinées.

source : CUBA SOLIDARITY PROJECT

http://www.granma.cu/frances/2007/febrero/mier28/9litigio-f.html



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur