Les illusions de la sécurité sociale professionnelle

texte paru dans Politis le 16 12 2004
samedi 5 mars 2005
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« Il faut substituer à la notion de salariat celle de sécurité sociale professionnelle ». Cette phrase a-t-elle été proclamée par la CGT réformée ou l’aile droite du PS ? Non, elle fut prononcée Jean- Louis Borloo, présentant son projet de loi de cohésion sociale à l’Assemblée Nationale. La gauche sociale libérale l’a rêvée, Borloo l’a fait !

La sécurité sociale professionnelle, tant vantée ces derniers temps à gauche, sera donc incarnée par « un contrat intermédiaire », signé auprès d’agences de reclassement (au statut indéterminé), financées partiellement par l’UNEDIC et garantissant un revenu équivalent au salaire pendant dix huit mois, le temps de proposer aux victimes des licenciements formation et emploi. Car en même temps, les règles de licenciement seront « assouplies » pour faciliter les « mutations des entreprises ».

Cette annonce s’appuie sur les conclusions du rapport Cahuc-Kramarz qui, partant du même diagnostic que le très libéral rapport Camdessus, propose des solutions plus douces que la déréglementation brutale du code du travail. Les auteurs proposent même de supprimer le CDD pour assurer l’égalité des salariés et de préserver le CDI avec taxation de 1,6 % des salaires bruts en cas de licenciement, moyennant la suppression de l’obligation de reclassement, transférée à une « sécurité sociale professionnelle ». Celle-ci doit organiser la mobilité des salariés et l’acquisition de nouvelles qualifications accompagnant les restructurations. Le droit du travail doit à la fois pouvoir assurer la mobilité, détruire les barrières à l’entrée dans les professions « protégées » et « sécuriser les trajectoires professionnelles » grâce au suivi individuel des chômeurs par le service public de l’emploi.

Récupéré par les moins hétérodoxes d’entre eux (c’est un euphémisme), le thème de la sécurité sociale professionnelle a en vérité mûri sous la plume de nombreux économistes plutôt classés « à gauche » et parfois même « très à gauche ». Il prolonge les conclusions de trois rapports (Boissonnat, Supiot, Belorgey), invitant à une refonte du droit du travail. Ce thème, très en vogue parce qu’il donne l’impression de donner des droits aux exclus, n’en reste pas moins extrêmement ambigu. Il part du présupposé que la flexibilité de l’emploi est une nécessité et que les travailleurs sont condamnés à devenir des intermittents, partageant leur temps entre l’emploi et la formation. Des « marchés transitionnels » doivent alors organiser la permanence des droits sociaux hors des périodes d’emploi et une formation individualisée visant à « égaliser les capacités » d’accéder à nouveau à l’emploi. Une telle discrimination positive en matière de politique sociale s’incarne déjà dans le Plan d’Action pour le Retour à l’Emploi (assorti, rappelons-le, de sanctions en cas de refus des emplois proposés aux chômeurs).

Rendons ici à César ce qui appartient à César. L’inventeur de la sécurité sociale professionnelle est Paul Boccara, le théoricien communiste du Capitalisme Monopoliste d’Etat, à travers le slogan de la « sécurité emploi-formation ». Ses réflexions nourrirent au PCF le débat sur le « nouveau statut de l’actif » devant se substituer au statut traditionnel du salarié. On comprend alors mieux que les dirigeants de la CGT, lointainement influencée par certaines influences de jeunesse, ait pu succomber aux charmes d’une « réforme » dont l’ambiguïté sera sans nul doute saisie telle une aubaine par la droite libérale pour défaire le droit du travail.

Nous restons pour notre part méfiant à l’égard de nouvelles modes qui, des fonds de pension « socialement responsables » à la sécurité sociale professionnelle, cherchent simplement à atténuer la violence sociale d’un capitalisme actionnarial qu’on éviterait désormais de condamner. L’expérience des intermittents du spectacle invite même plus qu’à la mesure. L’entreprise n’a en effet d’intérêt à la sécurité sociale professionnelle que pour autant que le travailleur contribue à lui procurer de la plus-value, a fortiori à la tâche ou au projet. Si tel n’était plus le cas (par exemple en cas de mévente), ou si le régime de sécurité sociale professionnelle devait s’avérer déficitaire, nul doute que la pression patronale conduirait à réduire la contribution des entreprises, à durcir les conditions d’accès au revenu permanent d’intermittent du travail et/ou à en abaisser le montant.



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