Affaire Elf : l’amende impayée d’André Tarallo

vendredi 30 mars 2007
popularité : 4%

C’est le dernier tome de la tentaculaire affaire Elf qui s’est ouvert, jeudi 8 mars devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Cette fois, le procès concerne les emplois fictifs d’Elf Aquitaine International (EAI), filiale suisse de la compagnie pétrolière.

Le dossier Elf, considéré comme la plus grave affaire de détournements de fonds publics jamais jugée, reste emblématique des grandes heures de la justice financière. Lorsque, le 31 janvier, la Cour de cassation a validé la quasi-totalité des condamnations prononcées par la cour d’appel de Paris, la juge Eva Joly s’est exclamée : « Une victoire pour la justice ! »

Oui, vraiment, une affaire exceptionnelle : 305 millions d’euros de détournements de fonds publics, le « casse du siècle », avait-on dit ; des personnages hors du commun - l’ancien PDG d’Elf Aquitaine, Loïk Le Floch-Prigent, l’ex « Monsieur Afrique » de la compagnie pétrolière, André Tarallo, l’ex-directeur des affaires générales et célèbre fuyard Alfred Sirven ; un enjeu politique majeur - cinquante ans d’histoire de France à travers son pétrole, ses relations avec l’Afrique et le financement occulte de sa vie politique ; une audience d’une rare qualité ; et enfin, des sanctions exemplaires.

Mais une fois éteintes les lumières, quelque chose grippe dans l’autocongratulation généralisée. Le grain de sable est parti d’une interrogation toute simple. Où en est l’exécution de la peine concernant l’homme le plus lourdement sanctionné dans cette affaire, André Tarallo, dont la condamnation est devenue définitive à l’été 2006, lorsqu’il s’est désisté de son pourvoi en cassation ? A l’énoncé de cette question, le malaise est perceptible chez les autorités judiciaires.

Contre lui, le tribunal correctionnel de Paris avait prononcé, en première instance, quatre ans d’emprisonnement et 2 millions d’euros d’amende. Coup de tonnerre à l’audience, M. Tarallo, 76 ans, Légion d’honneur à la boutonnière, camarade de promotion de Jacques Chirac à l’ENA, qui, contrairement aux deux autres principaux prévenus n’avait jamais été placé en détention provisoire, s’était vu décerner un mandat de dépôt et avait aussitôt rejoint une cellule de la prison de Fresnes.

Quelques semaines plus tard, il en sortait « pour raisons médicales » et ne devait plus jamais y retourner. M. Tarallo avait fait appel. Un an plus tard, en mars 2005, le jugement était encore plus sévère : sept ans d’emprisonnement ferme et toujours la même peine d’amende, 2 millions d’euros. Or, cette forte amende n’a toujours pas été acquittée.

L’information n’est donnée que sous couvert d’anonymat. Elle ne figure officiellement nulle part et, surtout, elle échappe au contrôle de l’autorité judiciaire qui a prononcé la sanction.

Contrairement aux peines d’emprisonnement, dont l’exécution relève du procureur de la République, les amendes font l’objet d’un « relevé de condamnation pénale » adressé au Trésor public. A partir du moment où ce relevé est transmis, « l’administration judiciaire perd la visibilité et donc le contrôle du circuit du recouvrement de l’amende », reconnaît-on au parquet général. Chacun son métier, seuls les comptables publics peuvent manier des fonds et l’administration judiciaire ne dispose pas des moyens de l’administration fiscale pour recouvrer les amendes. Cette dernière, ajoute-t-on au parquet général, a en outre une culture du contractuel, de la négociation - notamment en matière de redressements fiscaux - qui n’est pas celle de la justice.

L’efficacité devrait suivre, le Trésor public ayant tout intérêt à faire rentrer dans les caisses de l’Etat les sommes dues. Depuis la loi du 9 mars 2004, entrée en vigueur en octobre 2005, et afin d’accélérer l’exécution des décisions de justice, les condamnés qui le souhaitent peuvent même bénéficier d’une ristourne de 20 % sur le montant de leurs amendes s’ils en acquittent le montant dans un délai de 30 jours. A titre d’exemple, en 2005, pour 7 802 amendes prononcées à titre principal - c’est-à-dire sans peine d’emprisonnement associée - pour les infractions financières, le montant total s’élevait à 21 038 359 euros. L’efficacité serait chaque année plus grande dans le recouvrement des amendes pénales, mais la question du manque de transparence reste entière.

« Si le Trésor public décide ne pas faire exécuter une peine d’amende, nous n’avons rien à dire », constate-t-on au parquet général. Cette absence de contrôle, par la justice, des peines qu’elle a prononcées, ouvre donc la possibilité de décisions d’opportunité politique. Lorsque des personnalités sont concernées, à l’exemple d’André Tarallo, on peut imaginer que le dossier ne relève pas du fonctionnaire de base du service du recouvrement, mais remonte jusqu’au cabinet du ministre de l’économie et des finances, voire plus haut.

En janvier 2004, lorsque M. Tarallo avait déposé sa première demande de remise en liberté, le parquet ne s’y était pas opposé. En revanche, il avait souhaité qu’elle fût accompagnée du versement d’une caution du montant de l’amende prononcée en première instance, qui aurait pu plus tard en garantir le paiement. La cour ne l’avait pas suivi.

Le seul droit de regard de la justice concernant l’exécution des peines d’amendes intervient lorsqu’un condamné demande à un juge d’application des peines un aménagement de sa condamnation pénale. Le juge peut alors conditionner un aménagement du temps de détention au paiement de son amende. Dans l’affaire Elf, ce fut le cas d’Alain Guillon, ancien directeur du raffinage de la compagnie pétrolière, condamné à 3 ans ferme et 2 millions d’euros d’amende. Enfin, en bout de course, l’information du paiement de l’amende pénale revient à l’administration judiciaire via la notification qui en est faite au service du casier judiciaire.

L’enjeu d’un contrôle de la sanction par ceux qui l’ont prononcée est d’autant plus important que, ces dernières années, le parquet a très sensiblement augmenté les réquisitions de peines d’amende en matière de délits financiers. Confronté à la durée souvent excessive de l’instruction de ces affaires complexes qui amènent à l’audience des dossiers parfois vieux de sept ou dix ans, à l’énormité des sommes en jeu, et à la relative faiblesse des peines d’emprisonnement ferme encourues, le ministère public a en effet souhaité « prendre au portefeuille » les personnes reconnues coupables de ces délits.

Il est donc fréquent aujourd’hui en matière d’infractions financières, de voir les tribunaux prononcer des condamnations presque symboliques à des peines d’emprisonnement avec sursis, mais de les assortir de très lourdes amendes. De peines accessoires, les amendes sont ainsi devenues un véritable outil de politique pénale, mieux adapté à un certain type d’infractions (abus de biens sociaux, abus de confiance ou recel de ces délits) et au profil de ceux qui les ont commises.

Dans le procès Elf, Loïk Le Floch-Prigent s’est vu infliger 375 000 euros d’amende, Alfred Sirven, 1 million, le même montant que celui imposé à l’ex-épouse de M. Le Floch-Prigent, Fatima Belaïd. Pour André Guelfi, l’amende s’est élevée à 1,5 million, tout comme pour l’ancien agent des services secrets Pierre Lethier ou l’intermédiaire allemand Dieter Holzer. Mais lorsque l’exécution ne suit pas l’affichage, comme en témoigne le cas d’André Tarallo, c’est toute la question du sens de la peine prononcée qui se trouve posée. Et celle de ces grands procès financiers qui, dès lors, ressemblent à de trop clinquantes et finalement trompeuses vitrines.

Article de Pascale Robert-Diard dans Le Monde (Web) du 09/03/2007

Transmis par Linsay



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur