Nous ne pouvons pas obéir

samedi 13 août 2005
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Un très beau texte international...
Nichi Vendola, président (Rifondazione Comunista) de la Région Pouilles

Nous ne pouvons pas obéir, quand l’obéissance revient à accepter la brutalité et l’inhumanité de textes infâmes écrits avec l’encre de l’urgence et du mauvais réalisme politique.

Nous ne pouvons pas obéir, quand on nous demande de construire, à la périphérie de nos villes, derrière le coin de nos distractions, des bunkers blêmes pour une humanité entassée, des lieux sans règles pour des personnes assimilées à des rebuts à recycler, qui ne sont même plus des personnes mais simplement, haineusement, des « clandestins ».

Les CPT (1) sont les trous noirs de notre culture juridique et civile, qui engloutissent des visages et des fragments de vies dans la spirale d’une peine jamais prononcée. Ils ne servent pas à dissoudre les noeuds épineux de la clandestinité, mais à exorciser le fantasme de la clandestinité : en étouffant en nous la possibilité de nous interroger sur le comment et le pourquoi de la « production sociale » du phénomène que nous avons construit sous le nom de clandestinité.

Ces lieux ceints de barbelés et hermétiquement clos ne sontpas des aires de stationnement ou de parking, et surtout pas des lieux « d’accueil », comme le voudraient ces glissements sémantiques qui fonctionnent comme une mafia des mots. Ils organisent la séquestration « temporaire » des corps du délit, ces hommes et ces femmes qui n’ont enfreint aucune loi pénale mais qui, en tant que« clandestins », sont stigmatisés, pourchassés, privés de toute liberté.

Bien sûr, ils ne sont pas tout à fait blancs et ils sont plutôt pauvres. Ils devraient pourtant eux aussi profiter de ces droits que nous proclamons à grand bruit, fût-ce le bruit des bombardiers.

La liberté d’un indigent, d’un mendiant, d’un fou ou d’un clandestin ne vaut pas moins que la liberté des amis de Pisanu (2). Mais pour eux les droits sont dénaturés, les défenseurs des garanties disparaissent et les héritiers, pourtant si nombreux, de Beccaria (3) se taisent : ne sentent-ils pas qu’elle est insupportable cette blessure sur la peau fragile de nos principes ? Que pensent-ils de ce flou juridique, qui cantonne dans des limbes, vides de subjectivité et de citoyenneté, une part du monde, et qui opère sa disparition « temporaire », tâche évidente et banale pour la procédure grise d’une tranquille bureaucratie du « surveiller et punir » ?

Nous ne pouvons pas obéir, si c’est accepter la « détention administrative » comme remède ordinaire à l’excédent extracommunautaire ou à l’hystérie intra-communautaire. Si on nous dit, sur un ton vaguement biblique, que nous remettons en question l’Europe de Schengen, nous répondons que Schengen n’est pas les Tables de la Loi, que Pisanu n’est pas Moïse, et que nous remettons effectivement tout en question : parce que la politique d’immigration ne relève ni de l’ordre public ni du seul coût social, mais qu’elle est le miroir qui nous est tendu.

C’est l’Europe Forteresse elle-même que nous voudrions changer, casser, distordre, non pas animés d’un vague sentiment humanitaire, pour sauver un peuple de naufragés qui accostent sur nos côtes bénies, mais pour sauver l’Europe. Le vieux continent a cru s’unifier avec des politiques sécuritaires, mais, privé une âme forte et reconnaissable, il a buté sur le vote populaire et a risqué l’infarctus. Nous voulons aider l’Europe à retrouver sa mission et la dense pluralité de ses racines. C’est pour cela que nous voulons fermer les CPT.

Nous ne pouvons pas obéir : la dignité, la liberté et l’intégrité physique et mentale des personnes sont inviolables. Nous les avons violées de tant de façons : en les volant chez eux, en les exploitant chez nous ; entre leur maison et la nôtre s’étale une mer qui est aussi un immense cimetière à ciel ouvert d’étrangers qui ont fui leur terre.

Nous avons sali la Méditerranée et réduit l’Europe aux dimensions d’une caserne.

(1) Les CPT (Centri di permanenza temporanea e di accoglianza) sont, selon la terminologie officielle, des centres destinés à un « accueil temporaire ».

(2) Giuseppe Pisanu est le ministre de l’intérieur du gouvernement Berlusconi

(3) Cesare Beccaria, juriste et philosophe auteur d’un célèbre « Traité des délits et des peines » (1764), qui condamne l’arbitraire de la détention, la torture, le pouvoir discrétionnaire des juges


Non possiamo obbedire di Nichii Vendola
da Il Manifesto del 30 giugno 2005

http://www.meltingpot.org/articolo5629.html



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