Quelques leçons coréennes

lundi 26 mars 2007
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Le groupe des six (Chine, Corée du Nord, Corée du Sud, Etats-Unis, Japon, Russie), qui a mis au point l’accord multipartite signé le 13 février 2007 avec la Corée du Nord, s’est retrouvé lundi 19 mars à Pékin. En un mois, le paysage régional s’est éclairci, même s’il n’est pas sans nuage.

L’accord prévoit une aide énergétique équivalant à un million de tonnes de pétrole par an et la levée des sanctions financières en échange d’un démantèlement progressif des installations nucléaires nord-coréennes, notamment le site le plus important, celui de Yongbyon, et l’acceptation d’inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), alors que Pyongyang en avait expulsé le personnel en 2002.

Les principes commencent à se concrétiser. Le directeur de l’AIEA, M. Mohamed El-Baradei, a été reçu le 14 mars dans la capitale nord-coréenne. Une visite symbolique du changement de climat et d’attitude. « J’ai compris quels étaient leurs inquiétudes et leurs espoirs, a expliqué M. El-Baradei. Tout ce que nous pouvons faire maintenant c’est de nous assurer que le processus engagé ne déraille pas. » (AFP, 14 mars.) Rien n’est moins sûr : les autorités nord-coréennes peuvent à tout moment jouer la provocation et les Etats-Unis sont agités de forces contradictoires.

Si l’administration Bush s’est engagée à livrer du fioul et a levé la plupart des sanctions financières, elle est restée à mi-chemin en ce qui concerne celles touchant Banco Delta Asia (BDA), l’une des plus grosses banques de Macao (1). Washington l’accuse, sans la moindre preuve, de blanchir de l’argent issu d’activités illicites du régime de Pyongyang. Les 25 millions de dollars d’avoirs nord-coréens gelés depuis la crise ont pu être débloqués - ce qui était l’une des revendications majeures de la Corée du Nord -, mais les banques américaines n’ont pas le droit d’« ouvrir ou de maintenir des comptes pour ou au nom de la BDA ». Cette dernière est donc maintenue hors des circuits financiers mondiaux, et peut être acculée à la faillite. Or ce sont déjà les diktats financiers des Etats-Unis qui, dans le passé, avaient contribué à l’escalade nord-coréenne. Les autorités officielles chinoises ont donc immédiatement réagi, regrettant cette décision américaine « prise sans aucune consultation » du groupe des six et « peu favorable » à l’apaisement des tensions.

M. El-Baradei ne croyait pas si bien dire quand, quelques jours plus tôt, il soulignait que la mise en Å“uvre de l’accord serait « un processus progressif, complexe, qui va prendre du temps ». Celui-ci n’en est pas moins enclenché. Il appelle plusieurs remarques qui valent bien au-delà du cas nord-coréen.

1. Le dialogue est la seule voie réaliste pour stopper la prolifération nucléaire. Après plusieurs années de rodomontades, de sanctions censées étrangler la Corée du Nord et conduire le peuple à la révolte contre M. Kim Jong Il, M. George Bush a dû s’asseoir à la table des négociations et entendre quelques-unes des revendications nationales de celui qu’il considérait, voici peu, comme un « Etat-voyou ». Pour avoir choisi l’affrontement, il a non seulement perdu du temps et joué avec la sécurité mondiale, mais il a contribué à renforcer les positions les plus rétrogrades du régime dictatorial de Pyongyang.

Il serait bon de ne pas rééditer le scénario avec l’Iran, où les enjeux sont de même nature, mais où l’impact de décisions négatives serait bien plus étendu. Seule la négociation, qui n’exclut pas la pression, peut désamorcer - au sens propre et au sens figuré - les bombes brandies par des dirigeants autoritaires, d’autant plus enclins au surarmement qu’ils n’offrent aucune perspective à leur population.

2. Contrairement à ce que l’on a souvent entendu, cet engagement vers un règlement de l’affaire nord-coréenne doit beaucoup à la nouvelle diplomatie chinoise. Les autorités de Pékin ont à la fois exercé des pressions sur Pyongyang (tout en refusant la rupture que certains préconisaient) et poursuivi les discussions avec toutes les parties pour forger les conditions d’une négociation multipartite. Le président Hu Jintao, qui cherche avant tout à maintenir le statu quo régional et craint comme la peste tout affrontement direct avec Washington, en a profité pour prouver au monde qu’il fallait désormais compter avec Pékin dans l’arène internationale. Le pari est plutôt réussi. D’autant qu’il a, au passage, renforcé les liens avec la Corée du Sud, le vieil ennemi d’hier.

3. De leur côté, les dirigeants de Séoul, pourtant menacés directement par les armements nucléaires de leur voisin du Nord, ont, eux aussi, joué la carte de la responsabilité. Malgré les pressions très pesantes de son allié de toujours, les Etats-Unis, et une opposition interne forte et américanophile, ils ont maintenu l’équilibre entre les sanctions contre Pyongyang et la poursuite des relations diplomatiques et économiques. Séoul n’abandonne pas la perspective d’une réunification, mais refuse de tabler sur un effondrement de la Corée du Nord, difficile à absorber par un pays qui se remet tout juste de la crise financière des années 1990.

4. Le Japon, qui, comme Séoul, est directement à portée des missiles nord-coréens, s’est au contraire retrouvé en phase avec la politique de confrontation prônée par Washington contre le régime de Jong Il. Engagés dans une stratégie de réarmement, le premier ministre Junichiro Koizumi, puis son successeur Shinzo Abe, ont multiplié les déclarations fracassantes. Une façon de mettre en condition la population nippone, dont une grande partie refuse de passer d’une politique d’autodéfense (en Å“uvre depuis la Libération) à un engagement militariste affirmé.

Du reste, Tokyo, qui est partie prenante de l’accord du 13 février avec Pyongyang, refuse de participer à l’aide énergétique prévue. M. Abe se justifie en faisant valoir qu’il attend une réponse des autorités nord-coréennes sur le sort des Japonaises enlevées pendant la guerre froide (une dizaine) et dont les familles n’ont pas de nouvelles. Sa revendication légitime aurait un peu plus de poids si, de son côté, le Japon reconnaissait sa responsabilité dans l’esclavage sexuel de femmes (200 000 environ) enlevées durant la seconde guerre mondiale, dans les deux Corée et en Chine, et contraintes de se prostituer auprès des militaires - celles qu’on appelle les « femmes de réconfort ». Or M. Abe vient de déclarer que « jamais le Japon ne s’excuserait », ces femmes n’ayant pas vraiment agi sous la contrainte, selon lui. Non seulement Pyongyang, Séoul et Pékin ont réagi, mais, pour la première fois, la presse et des membres du Congrès américains ont protesté. En fait, révision de l’histoire et ambitions militaires nourrissent l’intransigeance nippone à l’égard de la Corée du Nord, contribuant aux tensions régionales.

5. Les nations qui cherchent avec raison à éviter la prolifération nucléaire auraient certainement plus de crédibilité si elles veillaient à l’application d’un principe unique pour tous. C’est loin d’être le cas, puisque l’Inde, qui n’a toujours pas rejoint le Traité de non-prolifération et qui n’accepte les inspections internationales que sur une partie de ses sites, vient d’être adoubée par Washington. Il serait encore mieux que les donneurs de leçons au monde entier commencent eux-mêmes à désarmer. Or, de Washington à Pékin en passant par Paris ou Moscou, on assiste plutôt à l’escalade des dépenses. « Faites ce que je dis, pas ce que je fais » ... La posture est difficilement tenable sur une longue durée.

Martine Bulard dans le Monde diplomatique du 19/03/2007

Transmis par Linsay


(1) Ancienne colonie portugaise, rétrocédée à la Chine en 1999 et devenue Région administrative



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