New York, Madrid et Londres

samedi 16 juillet 2005
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En quelque sorte le pendant de notre édito du mois...

Auteur : Le docteur Moncef Marzouki, penseur arabe et dirigeant du comité arabe des droits de l’Homme, www.moncefmarzouki.net.
Traduit de l’arabe par : Taïeb Moalla, journaliste, tmoalla@yahoo.com. Article lu sur www.tunisnews.net.

7 juillet 2005

Des crimes contre l’Humanité, en premier lieu. Et contre les arabes et les musulmans en second

Suite aux événements du 11 septembre, L’Union des écrivains danois a réuni un petit nombre d’intellectuels arabes et occidentaux pour élaborer une prise de position commune et un ouvrage collectif en opposition à la notion de choc des civilisations (1). Notre dialogue avec nos confrères occidentaux était parfois vif et amer, sans masques ni complaisance. Bref, nous nous sommes dits ce que nous avions sur le cÅ“ur. Ce qui m’a le plus marqué, c’est le courage de Jalel Sadok Al-Adhem qui a reconnu que sa première réaction à l’annonce de la destruction des deux tours du World Trade Center a été de la chamata [terme intraduisible signifiant, à peu près, « bien fait pour eux »]. Et qu’il a dû se battre contre lui-même avant de se débarrasser d’un sentiment qu’il était le premier à reconnaître infertile et futile.

Il est certain que c’est ce que ressentent de nombreux arabes et de musulmans en voyant les arrogants pays occidentaux vivre ce que connaissent bien les peuples d’Irak, de Palestine et d’Afghanistan au milieu du silence et de l’indifférence généralisés. Le monde ne devient sans dessus dessous que quand les victimes sont des civils occidentaux. Soit ! Y a-t-il l’ombre d’un doute qu’il existe un « deux poids deux mesures », un silence sélectif d’un côté et un vacarme assourdissant de l’autre ? Certes, les rancÅ“urs des arabes contre la politique britannique remonte à l’occupation de l’Alexandrie, de Bessorah en passant par l’occupation de Jérusalem et de la sinistre promesse de Belfor.

Mais du malheur de qui allons-nous nous réjouir cette fois ? De celui du peuple britannique qui s’est opposé, encore plus que les peuples arabes, à la guerre en Irak ? Allons-nous exprimer notre chamata vis-à-vis les principes et les règlements qui permettent à des milliers d’arabes et de musulmans de fuir des dictatures qui occupent militairement et policièrement nos pays, pour se réfugier en Grande-Bretagne ? Et à quoi a servi notre chamata contre le peuple espagnol qui a été, lui aussi, un des peuples européens les plus opposés à la guerre en Irak et qui a profité d’une élection démocratique pour virer son premier ministre va-t-en guerre ?

Quoi dire de l’agression de New York ? Devait-on être content du meurtre de 3000 civils qui n’ont rien à voir dans les politiques de leur pays, comme si ce qu’ils avaient vécu allait venger la mort de milliers d’arabes et de musulmans, victimes de ces mêmes politiques américaines ?

New York, Madrid et Londres - et toutes les opérations qui visent des civils - à l’intérieur et en dehors du monde arabo-musulman, sont des crimes contre l’Humanité. Pas seulement au sens des principes de droits de l’Homme, mais selon des valeurs encore plus profondes et plus spécifiques de notre culture arabo-musulmane. À condition, bien sûr que les groupes qui revendiquent ces actes se réclament de ces deux versets coraniques : le premier stipule que : « personne ne portera la responsabilité des actes d’autrui » et le second rappelle que « quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don de la vie, c’est comme s’il faisait don de la vie à tous les hommes. »

Ces trois actes, et tous ceux qui ont visé des civils dans le monde arabe, sont des crimes contre l’Humanité et particulièrement contre les peuples arabes. Si la politique signifie la poursuite de grands objectifs - et pas juste l’accumulation de réactions absurdes ou de vengeances aveugles - elle doit être jugée sur ses résultats et non pas sur les intentions.

En voyant les résultats inéluctables des attentats de Londres - qui sont une poursuite d’actions militaires contre des cibles civiles et en dehors du terrain réel de combat - nous découvrons à quel point ces derniers sont néfastes pour toutes les causes que nous défendons.

Premièrement, ils contribueront à renforcer la mauvais image des arabes et des musulmans partout dans le monde. Ils compliqueront la vie à ceux qui vivent en Europe ou en Amérique qui seront toujours des suspects en puissance. Ils donneront plus d’échos aux groupes extrémistes en Occident qui haïssent les arabes et les musulmans et qui pousseront vers la guerre des civilisations, cette grande catastrophe qu’il faut absolument éviter. Ils conforteront les solutions sécuritaires des gouvernements occidentaux.. Et conduiront ces dernières à soutenir les dictatures les considérant comme leur dernière ligne de défense, alors qu’elles (les dictatures) sont la cause de la situation épeurante à laquelle nous sommes tous arrivés, arabes et occidentaux.

Ces attentats débiles auront donc servi les pires ennemis de la oumma (la communauté des croyants) en frappant de plein fouet nos meilleurs amis dans les sociétés civiles occidentales et toutes nos chances de casser l’alliance contre-nature entre nos régimes dictatoriaux et les régimes démocratiques.

C’est une stratégie sotte qui s’est toujours retournée contre nous comme individus, comme peuples et nations. La vraie lutte est et restera à l’intérieur même de nos pays et pas en dehors. Contre la dictature et non pas contre les civils occidentaux. En utilisant des méthodes pacifiques et non pas des tueries aveugles qui satisfassent certains esprits malades, mais ne changent rien à notre déplorable situation.

(1) The wrath of the dammed - An anthology from Danish -pen -Louisiana, Denmark - Novembre 2002.

Edité par Assawra



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