Regards d’avril 2007

vendredi 6 avril 2007
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La campagne de propagande de Bruxelles

Avec la « Déclaration de Berlin » adoptée de façon solennelle pour le 50e anniversaire du Traité de Rome après avoir été préparée en secret à l’écart des peuples, les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 ont essayé de faire entrer par la fenêtre d’ici 2009 le Traité constitutionnel que les peuples français et néerlandais avaient fait sortir par la porte en mai 2005. Le Parlement européen avait anticipé cette déclaration en réaffirmant son soutien au projet constitutionnel. Un rapport de sa commission des affaires constitutionnelles, élaboré par un socialiste espagnol et un démocrate-chrétien allemand (qui doit être adopté en juin 2007), demande la convocation rapide d’une conférence intergouvernementale afin que le processus de ratification soit finalisé avant fin 2008 et que le nouveau traité, qui doit préserver "la substance du Traité actuel", entre en application avant les élections européennes de juin 2009. Si le Parlement européen devenait une assemblée constituante comme le proposent certains, à l’instar de José Bové et Jean-Luc Mélanchon, le Traité constitutionnel s’appliquerait dès 2009 !

De son côté, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a reconnu que le Traité constitutionnel d’origine ne sera pas ratifié mais il a souhaité « qu’on en adopte un autre aussi proche que possible du premier » (« Les Echos » du 19 mars). Reconnaissant la profondeur du fossé entre les citoyens et la construction européenne, qui s’apparente à une véritable crise de confiance, il appelle à « un effort de communication permanent, en concertation avec les Etats membres. On ne peut pas se passer de l’échelon national pour faire la pédagogie de l’Europe ». Pour la Commission, il ne s’agit nullement de prendre en compte les aspirations des citoyens ou de répondre à leurs attentes ; son seul objectif, c’est de « faire de la pédagogie » pour faire avaliser sa politique par les citoyens et les convaincre des bienfaits et des avantages de l’Union européenne.

Pour mener à bien cette opération, qui s’apparente à une véritable propagande, la Commission utilise bien sûr les médias. Elle apporte un financement, direct ou indirect, à des reportages dans les journaux, à des émissions de radio ou à des documentaires à la télévision. Ce fut le cas le mercredi 21 mars sur Arte avec la projection du documentaire « Au cÅ“ur de l’Europe, l’année du non ». Après avoir regardé cette émission, j’ai protesté auprès de la direction de la chaîne :
« Au vu du titre, je m’attendais à des débats contradictoires avec des arguments pour expliquer et éclairer les raison du vote non en France et aux Pays-Bas et apporter des éléments sur l’avenir de l’Europe. J’ai dû subir une émission partisane sous la forme d’un long et pesant hommage à la Commission européenne et à son président José Manuel Barroso, qui n’a à la bouche que les mots de « marché, concurrence, compétitivité » (il serait d’ailleurs intéressant qu’Arte rende public le montant du financement communautaire pour la réalisation de ce documentaire).

Je n’ignore plus rien des voitures des commissaires, des salles de réunion (surtout des portes qui s’ouvrent et se ferment de façon lourdement symbolique), des couloirs et des restaurants de la Commission européenne et du Parlement européen. Mais je n’ai entendu aucun parlementaire européen favorable au non et à une autre conception de la construction européenne. Pourtant, ils existent, j’en ai rencontré ! Les peuples étaient également absents, uniquement représentés par quelques plans brefs de manifestations hostiles à la directive sur les services, mais sans que la parole leur soit donnée. Par contre, seuls les tenants du oui, notamment Martin Schulz, président du groupe socialiste, ont pu longuement et à multiples reprises s’exprimer. Une des rares références au vote non en France émanait de M.Barroso qui se moquait de la « peur » des Français.

Pour annoncer cette émission, la presse écrite a repris les termes, sans doute télécommandés, de « thriller ». Effectivement, c’était un « thriller » avec des victimes au sein des peuples. Qui dit victimes reconnaît des responsables également coupables ! Ils se trouvent au sein des gouvernements et des instances européennes, sans oublier les entreprises qui licencient et délocalisent ».

Cette émission présentait toutefois l’intérêt de montrer les tractations entre les groupes démocrate-chrétien et socialiste avec la participation du président de la Commission (qui jouait le rôle d’initiateur ou d’intermédiaire) pour dégager un consensus sur les amendements à la directive Bolkestein.

Pour tenter de redorer son blason, la Commission a considérablement renforcé sa politique de communication avec un budget annuel de 80 millions d’euros et 1000 fonctionnaires (à Bruxelles et dans le Etats membres). Des liens plus étroits ont été créés avec les journalistes qui sont l’objet de véritables entreprises de séduction.

La propagande de la Commission dispose aussi de relais dans toutes les structures associatives, nationales et européennes, mises en place pour « aider au développement d’une culture européenne ». En application de l’initiative lancée en octobre 2005 « Plan D comme démocratie, dialogue et débat », conçue comme un contre-feu au non français et néerlandais, la Commission finance des projets pour « aller à la rencontre et être à l’écoute des citoyens ». La Fondation belge du Roi Baudouin va recevoir 1,9 million d’euros pour quelques rencontres et colloques. Le Mouvement européen n’aura droit qu’à 720.000 euros....Quant à l’association française « Notre Europe », qui a été créée par Jacques Delors après son départ de la Commission, elle recevra 850.000 euros. Cette subvention exceptionnelle pour son projet « Tomorrow’s Europe » s’ajoutera aux 600.000 euros que l’association reçoit chaque année du budget européen ! Faut-il s’étonner que ces associations, qui bénéficient de la manne financière de l’Union européenne, aient mené une campagne acharnée pour le oui au projet de Constitution ?

Enlèvements et tortures sans frontières

Adoptée le 14 février 2007, le rapport du Parlement européen sur les vols secrets de la CIA était particulièrement accablant, tant pour les autorités des Etats-Unis que pour les gouvernements des Etats membres (voir « Regards d’Europe » de mars 2007).

Le Conseil de l’Europe (composé de 46 pays membres) est encore allé plus loin que le Parlement européen dans la dénonciation des responsables et des complices des enlèvements et vols secrets de la CIA en Europe. C’est à l’origine l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui avant lancé l’affaire en désignant le sénateur suisse Dick Marty comme rapporteur au titre de président de la commission des affaires juridiques.

N’ayant pas la possibilité de mener un véritable travail d’enquêteur, qui aurait pu permettre de citer ou d’arrêter des personnes, de saisir des documents, il s’est efforcé de faire un travail " d’intelligence ". Il a établi des contacts avec des ONG, des journalistes d’investigation indépendants et des professionnels de " l’intelligence " de différents pays. Comme il l’a reconnu dans son rapport, il a acquis la certitude que " nous étions en présence d’un système, d’une logistique sophistiquée, qu’il était impossible que tout cela puisse se passer sans la collaboration, à un niveau ou l’autre, des autorités locales et que le Pentagone ou la CIA ne pouvaient pas être les seuls services impliqués dans ces restitutions extraordinaires ".

Ces "restitutions extraordinaires ", c’est-à-dire le transfert puis la séquestration et les interrogations brutaux de personnes soupçonnées de lien avec le terrorisme sans intervention ou vérification de l’autorité judiciaire, supposaient l’existence de centres de détention intermédiaires. Prenant au mot la déclaration de Condoleezza Rice en décembre 2005 que « les Etats-Unis n’avaient pas violé la souveraineté des Etats européens », Dick Marty a montré que les « restitutions extraordinaires » et les prisons secrètes n’avaient pas pu avoir lieu sans « la collaboration des services de l’Etat concerné ».

Il en est arrivé à la conclusion que ce système était organisé au vu et au su, sinon avec la complicité, des Etats européens qui ont accepté le non respect des conventions de Genève et les violations du droit international : " Les gouvernements européens ont menti et continuent à mentir, activement ou par omission. Ils mentent ou, en tout cas, refusent de dire la vérité, en se donnant une très bonne conscience : c’est dans l’intérêt supérieur de l’Etat ». Dick Marty a la conviction que les gouvernements européens ont signé des accords secrets avec les Etats-Unis : « Il y a une politique, des intérêts qui prévalent sur les valeurs et les principes politiques ".

Les rapports du Conseil de l’Europe et du Parlement européen ont contribué à mettre en mouvement une " dynamique de la vérité " : limogeage de membres des services secrets en Italie, poursuite contre des agents de service d’espionnage étasunien en Allemagne, condamnation de la Suède par la commission contre la torture des Nations unies, versement d’indemnités à des personnes victimes de ces « restitutions » par le Canada, démarches de la justice espagnole qui réclame l’accès à tous les documents des services secrets sur les avions de la CIA....

Tirant les leçons de cette affaire, Dick Marty a insisté sur le rôle et l’indépendance de la presse vis-à-vis des pouvoirs politique et économique et sur l’indépendance de la justice. Même pour combattre le terrorisme, il ne faut pas renoncer aux principes des droits de l’homme et de la garantie de procès équitables. Dans une conférence donnée le 1er février 2007 en Suisse, il a repris une phrase prononcée par une juge étasunienne Sandra Day O’Connor dans un jugement de la Cour Suprême : " Nous ne pouvons pas combattre la tyrannie avec les instruments du tyran".

« CIEL OUVERT » : un accord déséquilibré en faveur des USA

L’espace aérien transatlantique représente 40% du trafic aérien mondial. En l’absence d’accord sur le transport aérien entre l’Union européenne et les Etats-Unis, les compagnies aériennes des Etats membres ont conclu des accords bilatéraux avec les compagnies étasuniennes. De nombreuses clauses de ces accords ayant été condamnées par la Cour de Justice européenne, un processus de négociation globale a été lancé au Sommet UE-Etats-Unis de juin 2003. Les négociations, menées par la Commission européenne sur mandat du Conseil, ont porté sur l’attribution des créneaux aériens, les routes desservies, la capacité, les fréquences, l’accès au marché, les règles de concurrence et d’aides d’Etat, les règles de sécurité et environnementales.

Après plus de trois ans de négociations, les Etats-Unis et Bruxelles sont parvenus le 2 mars à un projet d’accord dit de « ciel ouvert » (open skies) qui libéralise le marché aérien transatlantique à partir du 31 mars 2008. Comme l’écrit le quotidien « Les Echos » du 23 mars : « La concurrence promet d’être totale et tous azimuts(...). Cet accord devrait provoquer une nouvelle phase de dérégulation du transport aérien ». Contrairement au commissaire français Jacques Barrot qui a brossé un tableau idyllique des conséquences de cet accord, celui-ci ne va pas dans le sens d’un service public de qualité. Au contraire, il ne manquera pas d’accroître la concurrence entre les compagnies aériennes avec des risques pour la sécurité des passagers, une augmentation de la pollution atmosphérique et des conséquences négatives pour l’emploi dans le transport aérien qui a déjà perdu en vingt ans plus de 20.000 emplois en Europe (60.000 aux Etats-Unis).

Le Parlement européen a conclu le 14 mars un débat sur cette question en adoptant une résolution qui reconnaît l’importance de cet accord tout en soulignant qu’il est déséquilibré au bénéfice des Etats-Unis. Effectivement, cet accord maintient une partie des barrières posées par Washington pour le contrôle des compagnies étasuniennes et interdit aux transporteurs européens de réaliser des liaisons entre les villes aux Etats-Unis. Alors que les compagnies étasuniennes pourront effectuer ces liaisons entre les villes sur le territoire européen ! Autre déséquilibre, les transporteurs européens ne pourront pas détenir plus de 25% des droits de vote d’une compagnie étasunienne même s’ils détiennent plus de 50% de son capital.

En confiant un mandat de négociation à la Commission européenne, les gouvernements des Etats membres ont accepté de lui céder leurs prérogatives nationales en matière de droits de trafic. Le 22 mars, le Conseil des Ministres des transports a entériné l’accord sans le modifier bien qu’il avantage les Etats-Unis, comme l’a reconnu l’Association Internationale des Transporteurs aériens (IACA) en déplorant que l’accord n’apporte pas de bénéfices réels à l’Europe et qu’il traduit un « haut déséquilibre en faveur des Etats-Unis ».



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