Il était une fois...

mercredi 2 mai 2007
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J’aurais bien aimé que mon histoire commence ainsi, qu’elle soit un conte d’apprentissage, mais ce que je vais vous conter est une histoire vraie qui m’est arrivée avant-hier dans un commissariat de quartier dans le Nord-Est de Paris.

Qui dit commissariat de quartier dit commissariat de proximité où vous avez de fortes chances de croiser des gens que vous connaissez ou que vous croisez dans la rue. Retenez bien cela, car c’est important dans l’histoire.
J’attendais comme de nombreuses personnes pour faire une procuration de vote, heureuse de voir que le message citoyen de l’importance du vote était bien passé. Les agents chargés de ce travail supplémentaire dans leur tâches quotidiennes nous recevaient gentiment, avec un brin d’humour pour l’un d’entre eux, ce qui rendait l’attente moins pénible.

Bref, tout allait bien lorsqu’un gardien de la paix en uniforme interpelle à la ronde « Tout le monde est là pour une procuration ? ».

Un vieil homme à la marche et à l’élocution difficile se lève, un papier à la main, et répond : « Non, moi j’ai été convoqué pour tel jour, mais je serai à l’hôpital et je vous apporte le certificat médical ».

Le policier prend la convocation et se met à ricaner et à proférer très fort, nous prenant tous à témoin du regard : « Ah, quand vous menacez des gens à l’arme blanche vous n’êtes pas malade, c’est un certificat de complaisance ça ! Et en plus vous devez 2000ââ€Å¡¬ à M. X »
Là, n’y tenant plus, je demande au policier de recevoir cet homme dans un bureau pour respecter la confidentialité et ne pas l’humilier ainsi en public.

Il me demande sur un ton agressif et arrogant de me mêler de ce qui me regarde, à quoi je réponds justement que c’est bien ce que je voudrais faire s’il respectait la procédure.

Il prend alors à témoin tout le monde en interpellant encore le vieil homme : « Vous avez les yeux bien brillants et vous avez encore bu, tout le monde peut le voir, en pleine nuit, ils éclaireraient comme des phares de voiture »

Là, je proteste à nouveau ! « Vous n’avez qu’à partir si ça ne vous plait pas ou écrire à l’IGS ». Je refuse évidemment de sortir et persiste dans ma demande que cet homme soit traité comme le droit l’exige.

Bref, le policier finit par le recevoir dans un bureau.
Les personnes présentent me font part de leur accord avec ma protestation et nous entamons une conversation sur les droits à la personne et la résistance citoyenne nécessaire à des abus de pouvoir, des intimidations et autres manquements aux droits fondamentaux par les forces de l’ordre.

« Gardien de la paix », je trouve que cette dénomination peut être belle si elle n’est pas dévoyée.

Mais surtout, je me suis souvenu qu’en matière d’éducation comme en pédagogie, chacun sait l’importance de la valeur d’exemple. Les enfants et les adolescents sont très sensibles à la justice : ce que leur demande de respecter l’adulte référent ou l’institution, ils attendent de ces adultes qu’ils le respectent eux-mêmes.

Que penser dès lors d’une institution dont le respect de la loi est au cÅ“ur de sa mission qui ne respecterait pas ces mêmes lois ?

Nous pouvons légitimement penser que cette institution ne sera pas respectée, ni crédible, lorsqu’elle voudra faire appliquer les valeurs et les principes qu’elle est censée incarner.

Loin de moi l’idée de faire l’amalgame entre tout un corps et les dérapages de quelques-uns de ses membres mais, malheureusement, chacun est responsable de l’image de l’ensemble des membres. La gentillesse et la politesse des autres agents ne peut faire oublier cette attitude violente pour tout le monde.

Quelques heures plus tard, j’ai retrouvé le vieil homme chez un commerçant du quartier, de même pour une ou deux personnes qui assistaient à cette scène. Le vieil homme nous a remerciés mais il semblait choqué.

En rentrant chez moi, j’ai repensé à un texte qui m’a souvent donné le courage de résister, même lorsque cela paraît ou difficile ou dérisoire. C’est le dernier texte de Félix Guattari, "testament philosophique" paru quelques mois avant sa mort dans « Le Monde diplomatique ». Je ne résiste pas à l’envie de vous en lire un passage :
« Le progrès social et moral est inséparable des pratiques collectives et individuelles qui en assument la promotion.

Le nazisme et le fascisme n’ont pas été des maladies transitoires, des "accidents de l’histoire" désormais dépassés... Sous des formes variées, un microfascisme prolifère dans les pores de nos sociétés, se manifestant à travers le racisme, la xénophobie, la remontée des fondamentalismes religieux, du militarisme, de l’oppression des femmes. L’histoire ne garantit aucun franchissement irréversible de "seuils progressistes".

Seules les pratiques humaines, un volontarisme collectif peuvent nous prémunir de retomber dans les pires barbaries. A cet égard, il serait tout à fait illusoire de s’en remettre aux impératifs formels de la défense des "droits de l’homme" ou du "droit des peuples". Les droits ne sont pas garantis par une autorité divine ; ils reposent sur la vitalité des institutions et des formations de pouvoir qui en soutiennent l’existence.

Une condition primordiale pour aboutir à la promotion d’une nouvelle conscience planétaire résidera donc dans notre capacité collective à faire réémerger des systèmes de valeurs échappant au laminage moral, psychologique et social auquel procède la valorisation capitaliste uniquement axée sur le profit économique. La joie de vivre, la solidarité, la compassion à l’égard d’autrui doivent être considérées comme des sentiments en voie de disparition et qu’il convient de protéger, de vivifier, de réimpulser dans de nouvelles voies (...) ».

Curieusement, cet incident a tissé entre quelques voisins qui se croisent souvent sans se parler un lien chaleureux et joyeux, il a suffi d’oser dire « non », il a suffi d’oser parler pour dire non à l’humiliation et oui au respect, il a suffi de rappeler le droit fondamental pour être un peu moins seul, vaincre la peur et être un peu plus fier et heureux d’appartenir à la société humaine.



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