Elections présidentielles : et puis après ?

vendredi 4 mai 2007
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Mark Twain, l’humoriste nord-américain lorsqu’il ironisait sur la manie française de truffer les discours de date historiques ou d’événements aurait trouvé de quoi confirmer sa vision dans cette élection présidentielle du printemps 2007.

Car premier constat, tout a été fait officiellement pour éviter au premier tour un 21 avril, c’est-à-dire le choc de l’élimination du candidat socialiste en 2001, et la présence de l’extrême droite au second tour. Mais le véritable but de la manÅ“uvre parfaitement réussie d’ailleurs a été d’effacer le résultat du 29 mai 2005, c’est-à-dire le NON à la Constitution européenne. Agiter le 21 avril pour contourner le 29 mai et après ?

Deuxième constat, la France s’est passionnée pour cette élection à peu près autant que pour une coupe du monde de football, avec les mêmes comportements tactiques, d’abord les appareils qui se sont tous pris pour des entraîneurs, les staffs de campagne étant bourrés d’Aimé jacquet, il s’agissait de gagner le match, la France a suivi mais en dehors des enjeux ci-dessus énoncés le leurre d’un retour du 21 avril pour gommer le 29 mai, tout était oublié. Allez les bleus ! Et chaque camp s’est peint le visage aux couleurs tricolores... Alors même qu’il s’agissait de rallier une Union Européenne qui fonctionne comme un tribunal sanctionnant toute manifestation de souveraineté nationale, alors même qu’il s’agit d’en finir avec la culture politique française de la droite et de la gauche pour aller vers une américanisation.

Troisième constat, le leurre étant agité, on a pu faire avancer en coulisse « le réalisme » économique, le parti socialiste ralliant le centre, et des thèmes totalement empruntés à Le Pen, chacun est allé occuper le coin gagnant, celui où se jouait le match et cela a créé une vague « bonapartiste » dont la France a le secret... Et pour avoir l’homme fort qui nous sauverait de tous les périls de l’invasion du Tiers-monde, pour jouer le « petit-blanc » martyrisant plus malheureux que lui, on nous a vendu Napoléon le petit comme une marque de savonnette.

1) Les jeux tactiques : à droite toutes et la fin du PCF ?

Au lendemain du débat Royal-Sarkozy, le journal le Monde dans un article de Colombani disait le fond : Sarkozy allait gagner mais il ne fallait pas que Royal perde d’une manière trop catastrophique parce qu’autrement le processus « réaliste » qu’elle avait initié, l’abandon de fait de toute politique de gauche, serait condamné et « les archaïsmes » du PS monteraient à l’assaut d’un parti que la défaite diviserait.

Avec le danger d’une recomposition à gauche alors que celle qui se prépare dans l’enthousiasme du politico-médiatique est le ralliement pro-européen et atlantiste au capitalisme néo-libéral, que symbolise assez bien l’alliance Royal-Bayrou, un parti démocrate à l’américaine, avec un triomphe temporaire de Sarkozy le néo-conservateur.

Sera-t-il possible que se constitue une véritable force anti-capitaliste, anti-impérialiste, populaire, proche des salariés, avec des liens syndicaux ? Nous en sommes loin, mais qui peut dire où la population française en est : nous n’avons subi dans cette élection que des manÅ“uvres d’appareil orchestrés à grand battage médiatique.

L’opération a connu une indéniable réussite. Aujourd’hui les appareils qui l’ont menée à bien se félicitent d’avoir réussi leur « coup ». Le prétexte Le Pen éliminé, on se réjouit, mais les babines se retroussent devant le fumet de la curée des profits escomptés, car les bouches s’ouvrent et on se félicite encore plus que ce soit surtout le « réalisme » néo-libéral qui l’a emporté, le technocratisme économique. On va pouvoir rendre compétitive la force de travail française, en finir avec ses « privilèges », ses protections sociales et la bourse va pouvoir faire de superprofits en favorisant l’actionnaire.

Rarement conjoncture n’a été aussi favorable pour une telle opération. Le PCF est anéanti (définitivement ? tout le laisse penser). Il y aura mis du sien depuis quelques années avec une accélération indéniable grâce à l’incroyable stratégie des « collectifs anti-libéraux ». S’il n’avait pas déserté les couches populaires, les banlieues, s’il n’avait pas rompu avec les syndicats, il y a fort à penser qu’il n’aurait jamais attribué le NON à la Constitution européenne à quelques micro-organisations, et « intellectuels ». Le PCF n’aurait jamais mis son salut dans ce cartel. Parce que l’erreur vient de loin elle va continuer à peser sur toute la période électorale qui ira de 2007 à 2009, entraînant une véritable débâcle, y compris sur le plan financier. Honnêtement je ne vois pas pourquoi les banques, Sarkozy président et le MEDEF tout puissant, n’achèveraient pas l’ennemi à terre.

Les manÅ“uvres tactiques du PS vers Bayrou (qui lui-même joue la présidentielle de 2012, tandis que ses députés jouent les législatives de 2007) ne laissent pas grande chance au PCF, même en cas de victoire de Ségolène Royal. Depuis quelques années, le PCF doit d’avoir maintenu quelques milliers d’élus à l’alliance électorale avec le PS. On ne voit pas pourquoi ce dernier lui sauverait la mise. Peut-être pour conserver une réserve ? Pour le moment le PS n’a pas paru disposé à jouer ce jeu, et la manière dont a été fabriquée l’opération Bové rend pessimiste sur la bonté d’âme de la direction du PS à l’égard du PCF. Quant aux « collectifs anti-libéraux », même après le ralliement en rase campagne de leur leader Bové à Ségolène, ils s’apprêteraient à présenter presque partout des candidats contre le PCF : pour achever la bête ? Le PCF sera-t-il capable de tirer la leçon de ces dernières années ou bien sa direction va poursuivre sur sa lancée mortifère en se racontant qu’il est seulement victime du « vote utile » ? C’est-à-dire que son analyse ne dépassera pas le leurre qui a été agité devant l’électorat.

N’est ce pas parce qu’il s’est laissé aller au fil de l’eau qu’il a fini par se faire détruire par des leaders groupusculaires occupés à se faire la peau, des gens d’une autre époque, à qui Sarkozy a flanqué le coup de pied de l’âne en caricaturant mai 68 ?
 [1]

Mai 68 était encore de l’Histoire avec un grand mouvement de masse, le printemps 2006 et 2007 a donc vu des groupuscules participer à l’achèvement du grand parti ouvrier que fut le PCF. "Je n’ai jamais rencontré un pareil laisser-aller et une pareille jalousie mesquine les uns vis à vis des autres. Les théories de Weitling et de Proudhon sont vraiment l’expression la plus fidèle des conditions de vie de ces ânes. C’est pourquoi on reste tout à fait impuissant. En réalité, ce ne sont que des travailleurs d’une autre époque, les uns étant de vieilles badernes sur le déclin, les autres des petits bourgeois en espérance"
 [2]
Dans ces conditions on peut se demander ce qui pourra sortir d’un congrès...

2) Le troisième tour social ?

Avec la débâcle politique, théorique, idéologique d’un PCF qui avait choisi de renoncer à ce qui fondait son utilité réelle, ce sont les directions des appareils syndicaux qui ont également rejoué le vote de la Constitution européenne

Il y a cependant un phénomène important qui a peu attiré l’attention des médias tout occupés à organiser la coupe de France de l’élection présidentielle et la finale attendue, c’est que durant cette même période les grèves se sont multipliées, les luttes sociales n’ont cessé de monter et tout ce beau monde en proie à cette fièvre de comptoir risque fort d’être confronté à terme au NON dans la rue et pas dans les urnes.

La droite, le patronat et sa valetaille médiatique ont cependant un puissant atout : le degré de décervelage politique auquel ont été conduits les Français. La fin du PCF, c’est cela aussi. Certes la politique que va mener Sarkozy sera insupportable, il a promis du concret, le développement de l’emploi, la hausse des salaires, mais ce qu’il va apporter c’est juste le contraire. Les Français, les salariés vont se battre avec courage, ils vont dire NON, ils savent le faire, mais sans perspective, sans aucune vision de la mondialisation à laquelle ils sont confrontés, tout va peser dans le sens du fatalisme.

La seule chose qui resterait à faire serait de reconstituer une force politique armée idéologiquement, pas le conglomérat de petits chefs et de petits bourgeois de l’union anti-libérale, mais un véritable parti pour le pays de la lutte des classes : la France.

« Nous sommes fermement persuadés que ce n’est pas la tentative pratique, mais l’exécution, à partir de la théorie des idées communistes qui représente un danger véritable pour les classes dominantes. En effet lorsqu’elles deviennent menaçantes, et même lorsqu’elles sont effectuées en masse, les tentatives purement pratiques peuvent recevoir une réponse des canons. Mais des idées qui vainquent notre intelligence, qui conquièrent notre esprit, auxquelles la raison lie la conscience, ce sont là des chaînes dont on ne peut se défaire et qu’on ne peut arracher sans s’arracher soi-même le cÅ“ur : ce sont des démons que l’homme ne peut vaincre qu’en s’y soumettant ». Un parti cela sert à conquérir les esprits...

Devinez qui a dit cela ? Presque un contemporain de Mark Twain...


[1Sarkozy n’a fait que suivre tous ceux qui depuis des années nous présentent mai 68 comme un mouvement libéral-libertaire et ont effacé la grande grève ouvrière, qui avait paralysé la France et obligé le patronat à céder sur le syndicalisme d’entreprise et à donner 35% d’augmentation

[2Engels à Marx le 14 janvier 1848, il décrit la ligue des justes à Paris. Ne pas oublier que quelques mois après Paris donne le signal de l’insurrection européenne mais « la ligue des justes » n’y a aucune part... pas plus que les collectifs anti-libéraux dans le vote NON à la Constitution ?



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