Non la politique n’est pas que manoeuvre d’appareil

vendredi 25 mai 2007
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Ce qui frappe aujourd’hui en Europe est la fièvre de recomposition, de réorganisation, qui saisit les dirigeants politiques.

Hollande, le dirigeant du PS français, tout en affirmant qu’il ne serait pas candidat à sa propre succession explique qu’après la bataille des législatives, le parti socialiste devra entrer dans cette recomposition.

Même le président de la république française confortablement élu après avoir occupé le terrain de l’extrême-droite, se déplace ou tente de se déplacer au centre pour les législatives.

En Allemagne, le SPD pris dans le baiser qui tue de la CDU-CSU tente de se réorganiser. L’Italie prépare la fusion d’un centre gauche. Quelques réflexions sur ces mouvements d’appareils, réflexions qui peuvent déboucher sur une vision plus ample de “l’époque”...

Piero Fassino, secrétaire des démocrates de gauche (ex-communistes) dans un interview au monde du 23 mai 2007 a donné le sens de la fusion des deux principaux partis de centre gauche (la Démocratie libérale-Marguerite, ancienne démocratie chrétienne et la DS, démocrates de gauche) qui aura lieu le 14 octobre pour donner naissance à un grand parti social- démocrate : « Avec la coalition de l’Olivier, nous avons mis en route depuis douze ans, et plus particulièrement ces cinq dernières années, un processus d’unification de notre électorat qui a besoin d’être complété ». Unir les forces réformistes a été la première étape, la seconde est la réorganisation des partis, puisque la réforme des institutions et celle de la loi électorale ne suffisent pas pour dépasser « la désespérante fragmentation politique ».

Vous remarquerez qu’il s’agisse de l’Italie ou de la France où l’opération « vote utile » est mise en œuvre systématiquement, en particulier aux dernières présidentielles, il s’agit de transformer la culture politique d’un pays, ne plus lui laisser d’espace politique qu’entre un centre-gauche et un centre droit.

Cette opération, sous couvert d’en finir avec « la fragmentation » de l’électorat qui résiste, a des traits communs : circonscrire le champ politique à des forces qui ne remettront pas en cause un certain type de construction européenne, exclure les formes d’opposition, aboutir de ce fait à une expression politique comparable à celle des Etats-Unis, où la bataille entre démocrates et républicains ne laisse aucune place pour une alternative, un changement de société.

Les Italiens sont toujours aux avant-postes de la manœuvre politique, parce qu’ils semblent avoir compris avant les autres les difficultés d’une période et opèrent toujours une fuite en avant vers la droite pour les dépasser sans les affronter. Il en est des ex-communistes italiens comme d’Hélène Carrère d’Encausse : ils se sont construits une réputation de prescience en percevant les premiers la chute de l’Empire soviétique. Ils se sont jetés dans la social démocratie identifiée à une Europe riche et qui ne voulait plus de révolution contre le Capital.

Chez eux l’influence de Gramsci perdure, elle leur permet une analyse fine de la guerre de position institutionnelle qu’ils doivent mener à partir de leurs traditions nationales. En Italie, en gros il s’agit d’unir « le monde catholique » orphelin d’une démocratie chrétienne, « parti du centre qui regardait vers la gauche », faute de quoi il risque de subir un greffon de droite et les anciens communistes devenus sociaux démocrates. Dans le même interview Piero Fassino déclare qu’il existe une constante italienne : « le catholicisme en politique ». [1]

Aujourd’hui, toujours dans le contexte européen qui demeure prioritaire pour les descendants des communistes italiens, il s’agit de constater : » Les élections des deux dernières années en Europe se sont jouées à un point ou à un point et demi. Cela signifie que la compétition est de plus en plus centre-droit contre centre-gauche ». Le revers de cette médaille est que prétendre résoudre les contradictions d’une société en leur refusant une expression politique ne peut mener qu’à une impasse. C’est pourtant le choix opéré dans les pays considérés qu’il s’agisse de l’Italie ou de la France, tout le monde de Piero Fassino à Strauss Khan lorgne vers un centre gauche opposé à un centre-droit. Avec l’idée que l’électorat ainsi manipulé les problèmes sont circonscrits.

Il y a derrière cette recomposition des partis venant clôturer des recompositions institutionnelles et électorales une proclamation de la mort civile de toute espérance révolutionnaire et plus généralement de toute opposition à l’Union européenne, à une vision purement occidentale, qui peut être interrogée.

Quand par exemple, comme Gayssot ou Robert Hue, une partie des anciens communistes français préconise la création d’un grand parti de gauche qui récupérerait les communistes et la gauche du parti socialiste c’est exactement la stratégie choisie il y a une vingtaine d’années par les ex-communistes italiens (à la seule différence que le parti socialiste s’était éteint dans les scandales) et qui se complète aujourd’hui par la fusion avec la démocratie chrétienne. Il s’agit en fait de construire un centre-gauche dans lequel disparaîtra totalement le communisme, mais qui en revanche pourra tenter de reconstituer des liens privilégiés avec le monde syndical, dans un contexte d’acceptation de l’Union européenne.

Il ne suffit pas de s’en indigner et rien n’est plus insupportable désormais que ces discours ultra-gauche de communistes impuissants ou de gauchistes dans le même état qui renvoient de telles propositions à la poubelle de l’histoire. Ce sont des attitudes de matamores qui laissent le champ libre à toutes les recompositions et qui consacrent de fait la mort politique de toute espérance. Nous avons d’autres responsabilités politiques et pour cela il nous faut sortir de la confusion idéologique.

Si l’on est convaincu, comme je le suis, que toutes ces manœuvres d’appareil ne sont pas à la hauteur des problèmes que nous allons devoir affronter, en particulier la terrible pression sur la force de travail européenne sous couvert de compétitivité internationale, la violence de nos sociétés renvoyées sur le reste du monde pour mieux exaspérer nos propres divisions, il est clair que ce ne sont que des cautères sur une jambe de bois.

Si nous sommes convaincus que les pays d’Europe, la France en particulier ne sont pas murs pour une vie politique du type de celle des Etats-Unis, ne serait-ce que parce que l’expression religieuse ne vient pas comme aux Etats-Unis donner du fondamentalisme et du sens à une vie politique raréfiée, il faut bien envisager autre chose et mettre à plat les possibles. Les dirigeants politiques, faute d’affronter les problèmes, pour maintenir en place un système qui fait eau de toute part mais dont dépend leur propre position et celle de leur parti doivent adhérer à un monde corrompu qui distribue les places, étouffant toute velléité d’indépendance, forçant les carrières à se dérouler dans un politico-médiatique codé.

Ils ne cessent de nous parler de la nécessité de changer pour que les choses demeurent en l’état. Le monde du profit né avec le capitalisme a ses propres féodalités, ses privilèges et tout cela tisse un réseau serré dans lequel chacun se débat. Celui qui prétend s’en abstraire est condamné à la spirale de l’oubli et chacun y voue l’adversaire, étouffe la contestation, cherche un carcan pour y bloquer la contradiction avec le contradicteur. Nul n’y échappe...

Combien de gens qui s’estiment de gauche, voire d’extrême gauche ont intériorisé ce discours sur le changement, tout viendrait non du fond mais de l’incapacité que nous aurions à coïncider avec l’époque, même si l’époque n’est que misère, corruption... La droite a gagné parce qu’elle a su coïncider avec la dite époque. Tout le discours de la recomposition, des « réformes » qui ne sont que mise en pièce des acquis sociaux, démantèlement des droits et destruction du patrimoine et des cultures nationales sur le modèle nord-américain, le plus favorable au capital, fonctionne sur le modèle de « la réconciliation avec la réalité » décrit par Hegel à propos du christianisme en son temps.

La réconciliation avec la réalité qu’opère la religion suivant le jeune Hegel est celle d’une réconciliation réelle avec ce que l’époque contient d’injustice, de misère morale et physique, de réaction et de soumission. Elle conduit à l’abandon de toutes les luttes, y compris celles qui visent à transformer, à purifier le christianisme lui-même. L’objectif de la sainteté devient lui-même mensonger, perversion de la morale, d’où la haine du jeune Hegel pour le christianisme et sa vision de la Révolution française comme le retour du paganisme antique. Cette obsession anti-chrétienne marque d’ailleurs toute la philosophie allemande et fait des plus grands des penseurs allemands des individus tantôt colossaux, tantôt bornés. Etre anti-religieux systématiquement en oubliant les enjeux réels de l’émancipation humaine peut en effet déboucher sur l’étroitesse et la réaction tout autant que l’aliénation religeuse.

Nous sommes aujourd’hui en pleine idéologie de la réconciliation avec la réalité simplement elle a perdu toute transcendance, elle a inversé la réconciliation religieuse en son contraire, la haine du pauvre, la misère devenue culpabilité et la richesse signe d’élection... Une morale de l’utilitarisme...

Il n’y a plus d’espace pour que le pauvre celui de chez nous, comme celui du Tiers-monde ait le droit à la parole. La recomposition telle qu’elle s’opère aujourd’hui marque simplement le fait que la politique a renoncé à entendre ceux qui subissent la mondialisation capitaliste et néo-libérale. On gagne les élections dans une grande bataille entre centre-gauche et centre-droit parce que de diverses manières on organise la mort civile de l’immense majorité de la planète. Avec la caricature des la démocratie aux Etats-Unis où une centaine de millions d’individus imposent aux milliards d’êtres humains, sous couvert de démocratie, un empereur qui porte la violence et la mort dans toute la planète, pille et envahit celui qui résiste.

Cette démocratie là correspond à celle des propriétaires, comme celle des cités grecques imposait aux milliers d’esclaves, aux femmes, le pouvoir de quelques centaines d’hommes qui ergotaient sur l’égalité, sur les droits et liberté, aux uns le pouvoir démocratique, sur les autres le pouvoir despotique.

Jusqu’à quand espérons nous par des cuisines politiciennes pouvoir défendre une telle vision de la démocratie dans un monde où se joue désormais le sort de l’humanité ? C’est de cela que doit prendre conscience la force politique qui doit naître...

Un monde multipolaire cherche à naître avec en son centre la ré-appropriation des ressources par les nations et leur usage pour les peuples... le contraire de cette Union européenne qui choisit le chemin inverse dans le sillage des Etats-Unis.


[1Les lecteurs de Machiavel retrouveront la malédiction d’un pays qui a tant peiné à construire son unité à cause de l’existence en son centre du Vatican. Les amateurs de folklore penseront à Pepone et à Don Camillo. La politique n’est qu’un prétexte à la théologie et depuis les Guelfes et les Gibelins, (2 factions qui soutiennent la papauté ou l’Empire romain germanique et qui s’affrontent en Italie aux XIIe et XIIIe siècles.NDLR)
les partisans de la papauté et ceux de l’Empire, ne peut-on penser que le parti communiste italien et la démocratie chrétienne opposèrent deux Rome, deux espérances, l’une était proche, l’Etat Vatican, l’autre était Moscou. Quand cette dernière fit entendre des craquements sinistres, les communistes italiens furent les premiers à estimer que la parabole lancée par la Révolution d’octobre avait terminé sa portée, la boucle était bouclée, le rapatriement vers l’Europe supposait une identification avec la social démocratie.



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