Interview du Qasim Hadi SG de l’Union des chômeurs en Irak

lundi 14 novembre 2005
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Qasim Hadi est l’un de fondateurs et le secrétaire général de l’Union des chômeurs en Irak. Militant de longue date dans la clandestinité sous le régime de Saddam Hussein,il est aujourd’hui l’une des figures du nouveau mouvement syndical irakien. Il répond aux questions de Solidarité Irak

"la guerre a détruit les institutions civiles, les infrastructures économiques et les services sociaux."

ND : Comment et quand êtes-vous devenu un militant ouvrier ? Et quelles ont été vos activités sous le régime de Saddam Hussein ?

Qasim Hadi : J’ai toujours entretenu des liens étroits avec les travailleurs. J’habite Mousseiba, une ville ouvrière. J’avais déjà participé, de façon consciente et sans être membre d’un parti politique, à un grand nombre de grèves et d’action revendicatives dans certaines usines d’Alexandrie et de confection à Qadhimia, à Bagdad. Néanmoins, le manque d’aptitudes politiques et l’inexpérience dans la conduite des luttes ont fait que ces dernières se soient soldées par le licenciement et l’emprisonnement du noyau des animateurs ouvriers, durant cette période.

Quant à ma formation politique, je la dois beaucoup, à partir de 1991, à ma liaison avec un membre de l’ « Organisation [de gauche] pour la libération de la classe ouvrière" et bien évidemment à cette dernière. Ils m’ont enseigné, en particulier, la manière de diriger une grève.
C’est ainsi que les premières actions de ce genre, que j’ai mené avec succès ont été celles de l’entreprise « Noura », à Kerbala, puis de la société publique « Badr », pour l’industrie militaire. Il faut signaler que c’est pour la première fois dans l’histoire de cette industrie en Irak, que le ministère de la Défense nationale envoie une délégation négocier avec les grévistes. Ce dernier a accédé aux revendications des intéressés et a versé des indemnités élevées aux travailleurs, qui avaient été alors exposés aux risques liés aux horribles événements de mars 1991 [le soulèvement des shi’istes dans le sud de l’Irak et leur sanglante répression par Saddam Hussein].

Ces succès ont fait revêtir au groupe de militants que nous étions, un grand prestige, auprès des ouvrier(e)s de la confection, auquel j’appartiens, au point où la majorité des patrons de la région nous craignaient. Notre activité avait pris toutefois un caractère plus social que politique.

ND : Comment expliquez-vous le succès des syndicats des chômeurs dès les débuts de l’occupation de l’Irak par les forces de la coalition américano-britannique ?

Qasim Hadi : Ce succès s’expliquent avant tout par la précision de notre analyse des conséquences de la guerre et de l’occupation, surtout, pour ce qui a trait au chômage. En tant que militants ouvriers, ce qui nous préoccupe avant tout, c’est la situation sociale de notre peuple, en premier lieu de la classe ouvrière.

En effet, la guerre a détruit les institutions civiles, les infrastructures économiques et les services sociaux. La poursuite de l’occupation a aussi achevé ce qui restait de la société civile irakienne.
Ajoutons-y les facteurs d’avant l’invasion : première et deuxième guerres du golfe, embargo économique et dictature du régime ba’athiste. C’est pourquoi, la mise sur pied de l’Union des chômeurs dans une semblable conjoncture, nous a amené à fixer, comme objectif, la résolution de ce dernier, en tant que levier important, pour atténuer sensiblement l’acuité de la crise économique et sociale, qui frappe l’Irak.

ND : La situation des chômeurs a-t-elle changée depuis 2003 ? Si oui, en mieux ou en pire ?

Qasim Hadi : Vous savez situation des sans-emploi s’aggrave en fonction de l’aggravation de la situation sociale. Même les emplois que le gouvernement avait créés, nettoyage, dégagement des décombres de la guerre, etc., n’ont été que temporaires. Le seul domaine, où les gens trouvent du travail, c’est l’engagement dans la police et dans l’armée, et que le gouvernement envoie au feu de la lutte anti-terroriste.

Quant au secteur privé, il est, lui aussi, confronté à toute sorte d’obstacles, notamment la détérioration de la situation sécuritaire et l’absence d’infrastructures, en particulier l’électricité, le transport et les télécommunications. Comme on le sait, les investisseurs recherchent toujours la sécurité de leurs placements. C’est pourquoi, les investissements sont meilleurs au Kurdistan, où règne un calme relatif, que dans les autres villes irakiennes. En tout état de cause, ces projets demeurent insuffisants.

ND : Quelles sont les activités courantes du syndicats des chômeurs ? Est-ce qu’elles étaient déjà difficiles, ou bien cela s’est accentué depuis l’été 2003 ?

Qasim Hadi : Après les multiples manifestations et Sit-in, que notre Union avait organisés en 2003, et la sanglante répression déclenchée par l’administration américaine et les autorités irakiennes- arrestations, tirs à vue sur les manifestants - en plus de la peur héritée de l’ancien régime - ont entraîné une baisse sensible des effectifs, qui fréquentent désormais notre Union.

Cette nouvelle donne nous a, par conséquent, amené à réorienter notre activité, vers la garantie d’un minimum vitale aux chômeurs. C’est ainsi que nous avions soumis, aux ministères chargés des diverses prestations sociales, un projet pour améliorer et exonérer d’impôts et de taxes les prestations fournies aux sans emploi. Mais notre proposition a été refusé.

Nous avons également lancé, depuis mai 2004, une campagne de visites médicales gratuites, au profit des chômeurs et de leurs familles. Cette campagne a vu la contribution volontaire de 250 médecins spécialistes dans leurs cliniques privées, la distribution gratuite ou à des prix abordables de médicaments par 16 officines pharmaceutiques et le déroulement de 22 interventions chirurgicales dans des hôpitaux privés et les Instituts hospitalo-universitaires du pays.

De même que grâce au soutien de VAST, une ONG canadienne spécialisée, notre organisation entreprend actuellement, à Kirkouk, la construction et l’équipement, d’un centre médical, qui sera doté aussi d’une maternité et d’un service des urgences. Ce dispensaire couvrira les besoins de plus 35000 habitants.

ND : Quels avaient été les liens entre le syndicat des chômeurs et le Kurdistan durant les années 1990 ?

Qasim Hadi : Les militants ouvriers d’Irak, qui ont fondé l’Union des chômeurs, en 2003, ont bénéficié de l’expérience de la fondation, en 1991, d’un premier syndicat des chômeurs.
Ils ont aussi bénéficié du savoir-faire d’anciens leaders de cette organisation, au Kurdistan. Ces derniers ont contribué de manière significative à la création de la nouvelle Union des chômeurs et à l’organisation de manifestations, de Sit-in.

ND : Vous-même ou vos proches ont-ils souffert directement de l’occupation et du terrorisme ?

Qasim Hadi : Naturellement, à l’instar de toute famille en Irak. La mienne a été obligée de louer un logement dans un autre quartier de Bagdad, car elle fut contrainte d’abandonner le sien, parce que celui-ci se situe dans une zone d’opération des Etatsuniens et de la Garde nationale.
Quant à moi, je suis menacé de mort par des terroristes, parce que je dénonce les méfaits de l’islam politique contre les femmes, les travailleurs, les chômeurs et contre mon pays. J’ai également été emprisonné à trois reprises par les forces d’occupation américaines en tant que "meneur" de manifestations.

Interview par Nicolas Dessaux, traduit de l’arabe par Hakim Arabdiou.



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