Frankeinstein en Suède

lundi 2 février 2004
popularité : 3%

Mobilisation générale contre la libéralisation des services voulue par Bruxelles.
Le modèle suédois ébranlé par des ouvriers lettons

Stockholm de notre correspondant, Olivier TRUC
Libération, le mardi 01 février 2005

A compter d’aujourd’hui, un huitième syndicat suédois va entamer le blocus d’une école en construction à Vaxholm, au nord de Stockholm. Comme les autres centrales, HTF, un syndicat de cols blancs, interdit à ses adhérents toute livraison, location ou vente de matériel ou de services à l’entrepreneur letton Laval un Partneri qui refuse de signer les accords collectifs suédois, au prétexte qu’il est déjà signataire de ceux en vigueur en Lettonie, autre pays de l’UE. Depuis cet automne, ce modeste chantier s’est transformé en champ de bataille politique où se joue la survie du modèle suédois.
Tarifs. Toute la social-démocratie suédoise, jusqu’au Premier ministre, est mobilisée comme jamais. Avec en toile de fond : le projet de directive sur les services, piloté par le très libéral commissaire européen Frits Bolkestein. Le texte s’articule autour du PPO, ou principe du pays d’origine, qui permettrait aux entreprises de l’UE de proposer leurs services aux tarifs et aux conditions, non pas du pays d’accueil mais du pays d’origine. En clair, si cette directive avait été votée, l’entreprise lettone pourrait très bien ne pas respecter les accords de branche suédois.
La fédération des ouvriers du BTP avait ouvert les hostilités dès octobre, après le refus de Laval de signer ces accords, ce qui les aurait obligés à fortement augmenter les salaires. Depuis, d’autres syndicats, électriciens, transporteurs, ont lancé des blocus de solidarité. Fin décembre, le tribunal du travail de Stockholm, saisi par Laval, a, dans un jugement préliminaire, donné raison aux syndicats pour ces actions de mise en quarantaine depuis Noël, la dizaine d’ouvriers lettons a quitté la Suède. Le chantier est désormais abandonné.
En Lettonie, jeune membre de l’UE, l’affaire a été gérée dès le départ au plus haut niveau. Le gouvernement a réuni un groupe d’experts afin d’étudier la riposte. « Il s’agit d’un cas de discrimination contre nos ouvriers, déclare Dagnija Stukena, porte-parole du ministère letton des Affaires étrangères. L’action des syndicats suédois est en contradiction avec l’essence même de l’UE et la possibilité pour tous les citoyens de travailler librement dans l’UE. »
Une vision que ne partage évidemment pas la Suède. « Les Lettons pensaient qu’avec l’UE, ils pourraient étendre leur marché grâce à la concurrence de leurs bas salaires », déclare à Libération Hans Karlsson, ministre suédois du Travail. Et de pointer le projet de directive sur les services. « Le principe du pays d’origine menace notre modèle. Si nous baissons la garde, c’est tout notre marché du travail qui est hors fonction », ajoute-il. La Suède ne dispose de législation ni sur les salaires ni sur les conditions ou le temps de travail. Depuis presque un siècle, ce sont les partenaires sociaux qui négocient et signent des accords collectifs. « Si les syndicats perdent la légitimité qu’ils ont avec les accords collectifs, ils perdent tout leur pouvoir », juge Anders Elmer, avocat suédois de l’entreprise lettone, pour expliquer la mobilisation.
Intrusion. Le projet de directive avait déjà fait son intrusion dans le débat politique lors des élections pour le Parlement européen l’an dernier. L’affaire du chantier letton a remobilisé la droite. Fredrik Reinfeldt, le chef de file de l’opposition, a laissé entendre que les ouvriers suédois étaient trop bien payés, tandis que d’autres ténors de la droite suggéraient que les entreprises étrangères puissent venir travailler en Suède aux conditions de leurs pays d’origine, « si c’est pour une période limitée ». Avec le chantier de Vaxholm, les eurosceptiques boivent du petit lait.




Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur