Fichier « Base-Élève »

Quelques réflexions sur Base–Elèves, l’école et la démocratie
lundi 24 septembre 2007
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Base-Élève n’est qu’un élément limité mais stratégique dans l’agencement d’une structure à plusieurs dimensions. Il est le dernier maillon du fichage étendu à tous les élèves de la maternelle à la terminale. A terme c’est la quasi totalité de la population qui passerait par ce seul fichier

1) Base-Elèves, qu’est ce que c’est ?

Vous avez peut être entendu parler de Base-Elèves sans trop savoir de quoi il retourne ? Pourtant, à cette rentrée scolaire 2007, l’école de votre quartier ou de votre village est sans doute concernée par la mise en place de ce système.

Depuis 2004 l’ Education Nationale a expérimenté dans 21 départements pilotes un nouveau mode de gestion informatisée, via internet, des écoles maternelles et élémentaires nommé Base-Elèves . En 2006 ce dispositif a été étendu et fonctionne actuellement dans 77 Inspections Académiques. A partir de la rentrée 2007 Base-Elèves se généralise à l’ensemble du territoire et doit être opérationnel dans toutes les écoles en 2009.

Base-Elèves est un fichier électronique où sont réunies toutes les informations ( familiales, sociales, scolaires et identitaires ) concernant chaque élève du premier degré. Ces données , saisies par les directeurs d’école ,sont transmises à l’ IEN (inspecteur de circonscription), à l’ Inspection Académique, puis au Rectorat pour aboutir à Orléans dans un fichier national centralisé, partiellement accessible aux maires.

Officiellement il s’agit pour le ministère de se doter des moyens de gestion administrative et de pilotage pédagogique : « alléger les tâches des directeurs, fiabiliser les constats de rentrée, les prévisions d’effectifs, informatiser les échanges entre les différents acteurs, assurer le suivi des parcours scolaires, élaborer des statistiques académiques et nationales... » .Car depuis Claude Allègre on sait que l’ Education Nationale est un « mammouth », un monstre archaïque qu’il est urgent de « moderniser ». Grâce donc à Base-Elèves ce sont les données personnelles de tous les enfants, et à terme de toute la population, qui seront centralisées.

2) L’école du risque.

Déjà de nombreux citoyens, professionnels de l’éducation, parents, associations et syndicats dénoncent les dangers d’une telle base de données.

–Risques d’erreurs :
Toutes sortes de bévues , fautes , confusions ou méprises ne peuvent que se produire et se multiplier dans la saisie , la transmission , les procédures et conduisent inévitablement à des imbroglios administratifs inextricables et auront les conséquences les plus graves pour des personnes et familles ( iniquités , abus , injustices , ... ) .

–Risques d’atteintes à la vie privée :
Le dossier informatique d’un élève comporte des renseignements personnels(identité, adresses, téléphone, courriel, profession des parents, autorité parentale, personnes à prévenir ou autorisées à prendre à la sortie, lien de parenté,etc...)dont la confidentialité pourrait ne pas être garantie. C’est ce qui a été démontré dès le mois de mai dernier : on pouvait très facilement accéder à B-E dans la majorité des départements. Le ministère a dû le reconnaître et suspendre B-E le 15 juin, mais il est déjà réouvert... On imagine quelles utilisations commerciales ou mal intentionnées(pédophilie, harcèlement, ...) auraient pu s’en suivre.

–Risques de dérives à des fins de contrôle social :
Le dossier de chaque élève comporte aussi des informations « sensibles » dans la situation actuelle(nationalité, langue et culture d’origine, absentéisme, ...). On nous assure que chaque directeur n’a accès qu’aux données nominatives des élèves de son secteur, l’IEN à celles de sa circonscription et l’ IA à celles des élèves de son département. Rectorat et ministère n’accédant qu’à des données anonymes et les mairies qu’à des données limitées. On nous dit aussi que les directeurs disposent d’une certaine latitude pour renseigner B-E, mais, pour valider la fiche, certains renseignements sont obligatoires(identité, adresses, nationalité) et la vérification s’opère par recoupement avec le fichier mairie...

Par exemple , B-E permet de repérer les familles « sans papier ». L’IA des Pyrénées Orientales, département pilote depuis 2004, a d’ailleurs reconnu « être la plus grande source d’information sur l’immigration »... D’autre part, on sait que si les renseignements de B-E sont en principe anonymes dans le fichier central d’Orléans, « l’anonymat peut être levé en fonction des besoins de l’administration »... On sait également que la récente loi « Prévention de la délinquance » inclut les établissements scolaires et fait du maire le coordonnateur du dispositif. Ainsi, le fichier B-E peut être croisé avec celui de la CAF ,par exemple pour suspendre les allocations familiales des élèves absentéistes. Cette loi institue aussi le « secret partagé » entre travailleurs sociaux, magistrats, policiers, enseignants, concernant les personnes et familles en difficultés sociales, éducatives ou matérielles..., faisant de fait des enseignants des auxiliaires de police dans le repérage des enfants et familles déviantes.

3) Base- Elèves, le dernier cri de l’éducation ?

Vous l’avez bien compris, B-E n’a pas grand chose à voir avec l’éducation. Le bon fonctionnement des écoles ne nécessite en rien d’avoir un fichier national de tous les élèves. B-E est clairement un instrument de modernisation administrative du système éducatif qu’il faut remettre dans son contexte.

D’abord B-E n’est qu’un des éléments d’un système composé de plusieurs modules : une base élèves, une base école(prévue), une base personnel et un module carte scolaire. Il faut aussi savoir que des fichiers du même ordre fonctionnent déjà depuis plusieurs années dans les collèges et lycées. B-E n’est donc pas le premier maillon d’un dispositif appelé à se généraliser, mais le dernier maillon qui généralise au premier degré un dispositif déjà opérationnel dans le second. De plus, tout en s’étendant progressivement à tous les élèves de l’EN, le dispositif vise à investir toutes les dimensions du système éducatif. Ce ne sont pas seulement les élèves et les familles qui sont « informatisés », mais aussi les personnels(enseignants ou autres), les établissements et les secteurs scolaires. Les nouvelles technologies (informatique, biométrie, nanotechnologies...)fournissent les instruments que la science et l’industrie mettent à la disposition de l’administration pour tenter de réaliser le projet d’une régie intégrale de l’institution scolaire.

Depuis plusieurs années, le nombres des fichiers informatiques et des installations biométriques considérés comme indispensables ,s’est multiplié dans les différentes administrations. En même temps la CNIL voyait réduire ses attributions (loi de 2004) participant de fait à cette diffusion. On constate aujourd’hui que la plupart de ces fichiers ont été détournés de leur objet premier, transformés en appareil de contrôle social (communiqué LDH du 02/07/07). La même logique gestionnaire, au moyen des mêmes instruments ,est à l’oeuvre dans tous les secteurs de l’administration. Cette polarisation vers une gestion automatisée globalisante a un nom : techno-bureaucratie...

4) « Une école la plus performante possible »(G ; de Robien : circulaire du 09/01/2007, « Préparation de la rentrée 2007 »)

Revenons à B-E et à l’éducation. La circulaire « Préparation de la rentrée 2007 » inscrit B-E dans un ensemble de mesures qui souligne la cohérence du système éducatif : « L’économie de la connaissance nous invite à investir dans l’éducation... ». Ce sont les termes mêmes de l’accord européen pour l’ouverture au marché de l’éducation ,signé par Chirac et Jospin. Le principe est posé d’une gestion modernisée de l’école par la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances) sur le modèle de l’entreprise : « pilotage par les objectifs et l’évaluation des résultats », « budgets associant l’allocation de moyens à des objectifs » et « en fonction d’indicateurs incontestables ». On comprend maintenant le sens marchand de « pédagogie par objectifs » et « pédagogie par projets » dont on rebat les oreilles des enseignants depuis 25 ans. Tous les ingrédients d’une logique concurrentielle dans le cadre d’un marché de la « réussite scolaire » sont ,dans cette circulaire ,mis en relation et articulés pour faire système. Homogénéisant ainsi les différents degrés et domaines de l’institution éducative.

L’autonomie des établissements, même primaires (expérimentation des EPEP , « projet d’école » ou « d’établissement », « conseil pédagogique », « les expérimentations » ,disparition programmée de la « carte scolaire ») , induit une compétition généralisée au moyen de « l’évaluation » des compétences et des résultats des élèves, des enseignants, des différents personnels, des établissements, des secteurs scolaires , par le biais des « statistiques » à tous les niveaux. Nous touchons là l’une des facettes essentielle de B-E dans le dispositif concurrentiel.

Mais, pour qu’il y ait marché et compétition ,il faut normaliser et standardiser, c’est à dire définir un espace de référence commun (à tout le territoire, à l’Europe, global même) et organiser la circulation la plus rapide et la plus flexible possible des produits, des informations et des acteurs du système. C’est là une autre facette essentielle de B-E et des autres bases de fichier. L’intégration informatique permet la concentration et la circulation accélérée des informations nécessaires à la dynamique et au contrôle du système. Elle permet du même coup sa connexion à d’autres réseaux administratifs (police, justice, CAF, mairie,... renforçant ainsi par recoupement la surveillance), mais aussi à des réseaux privés ou marchands ,jouant ainsi un rôle important dans la privatisation de certains secteurs (restauration, nettoyage, entretien, encadrement et même enseignement).
Il s’en suit que la non confidentialité et le détournement de ces fichiers sont inscrits dans la logique même de l’informatisation , même si l’on peut y apporter des sécurisations partielles et provisoires .

5) Une école et une société à responsabilité limitée !

La circulaire de rentrée définit également deux principes liés : « l’égalité des chances » et la « responsabilité des acteurs ». Egalité des chances signifie « garantir à chaque jeune les moyens nécessaires à sa réussite ». Par réussite il faut entendre obtention de « diplôme professionnel ». Parmi les « outils de la réussite » : « un socle commun de compétences », « les évaluations en CE1 et CM2 », « le suivi et l’orientation individualisée »(livret scolaire électronique), « le soutien des élèves en difficulté », etc...

« L’ambition de l’école est d’offrir à chaque élève les conditions lui permettant de développer un projet personnel d’orientation et d’insertion professionnelle ». En clair, l’école ne fournit aux élèves et à leur famille que les moyens d’arriver au diplôme. Si l’élève n’obtient rien, c’est de sa propre responsabilité. Chacun (élèves, parents, enseignants, administrations...) doit remplir la fonction qui lui est assignée dans le système éducatif. La responsabilité est limitée à celle de « chaque acteur en fonction de son champ de compétence et d’exercice ». On peut donc en déduire que, puisqu’on lui en donne les moyens ,chaque élève devrait réussir. C’est cela l’égalité des chances. Ceux qui n’ont pas réussi c’est finalement de leur faute, c’est qu’ils ne l’ont pas mérité. Ils n’ont pas fait ce qu’ils devaient, pas saisi la chance qu’on leur donnait. Ça doit être ainsi qu’il faut comprendre l’expression : « mettre l’élève au centre du système éducatif » dont on nous a tant parlé. C’est lui finalement le seul vrai responsable , avec sa famille qui n’a pas su le responsabiliser, le mettre « en condition d’égalité des chances » : d’où « note de vie scolaire », « accompagnement parental », « conseil pour les droits et devoirs des familles »... Ce type de conception a des relents de racisme et de darwinisme social.

Cependant la circulaire dit aussi qu’ « un des principaux indicateur de performance inscrits en loi de finance est celui de la réduction du taux des sorties aux niveaux VI et V bis, il s’agit de le diminuer de moitié d’ici 2010 ». En clair, même pour le ministère ,il y a trop d’échec scolaire ,et il n’est pas sérieux pour une administration aussi sophistiquée et experte d’avoir un tel taux d’échecs. Cela met en évidence l’irrationalité fondamentale de cette techno-bureaucratie. De plus, cela risque de délégitimer le principe d’égalité des chances, donnant raison à ceux (parents et syndicats enseignants) qui disent que ,justement ,on ne donne pas vraiment à tous les moyens de la réussite d’un diplôme.

A l’évidence on n’est pas là dans l’éducation mais dans la production et la consommation de formation. L’école devient une usine à fabriquer des certificats d’aptitude professionnelle. Elle fonctionne de plus en plus comme centre d’apprentissage : « objectif 10% d’apprentis dans les lycées en 2010 », « label lycée des métiers »... On organise et planifie une offre de formations en relation avec la demande sociale (familles, entreprises) dans le cadre d’un marché concurrentiel. Enseignant devient un métier comme les autres : « formation des maîtres en alternance ». L’école fonctionne sur le modèle de l’entreprise : investissement, logique quantitative et logique de qualité, définition et réalisation d’ objectifs, en fonction de moyens ciblés et d’indicateurs de résultat, évaluations ...etc... Il ne manque que de faire des profits (ce qui existe déjà au CNED). En tout cas ,on réduit les coûts : privatisations, flexibilisation et réduction des personnels, LOLF...

Le traitement gestionnaire par ’’ dossiers’’ et ’’ statistiques’’ détermine une dépersonnalisation et une déshumanisation croissantes des relations et des décisions administratives . Les dossiers , structurés en cases à renseigner , critères supposés objectifs et rationnels ... ; les statistiques chiffrées , froides , uniformisantes , standardisantes , induisent l’illusion d’un égalitarisme abstrait , d’une neutralité pseudo-scientifique . Sous les dehors de l’individualisation objective des dossiers c’est l’ indistinction normalisée des statistiques , impersonnelle et inhumaine , qui s’établit , que nous intériorisons et transmettons , et avec elle la conscience malheureuse d’un humanisme qui se perd .

Depuis la fin des trente glorieuses et de la guerre froide, l’école qui se voulait celle de l’ascenseur social et de l’intégration républicaine, a glissé vers une école du relativisme et du conformisme utilitaristes individuels. C’est l’école où l’on apprend à tous (élèves, parents, enseignants...) la compétition et la réussite individuelle au nom de la performance. L’école où l’on intériorise un darwinisme social au nom de l’égalité (supposée) de chances. L’école qui nie les inégalités sociales au nom du mérite personnel.L’école qui enseigne à investir dans la formation, à monnayer ses compétences et ses diplômes pour un bonheur privé maximal.Une école où l’on apprend à se conformer à la fatalité des contrôles, à être évalué, suivi, sanctionné personnellement. C’est une école où l’on apprend l’histoire du progrès universel de l’humanité et de la science. Que tout problème a une solution technique. Qu’il faut des spécialistes dans chaque domaine et des experts pour gérer la complexité du monde aux moyens de technologies toujours plus modernes. C’est l’école où l’on apprend la civilité et le civisme, c’est à dire la servitude volontaire : élire des représentants dans des instances consultatives et n’avoir jamais part aux décisions réelles. L’école n’a plus de valeurs collectives de liberté, d’égalité et de fraternité à transmettre ni d’esprit critique à aiguiser. Elle n’a plus à éduquer. En place de liberté on a le contrôle des individus et la gestion des flux. En place d’égalité on a le mérite individuel et l’expertise. En place de fraternité on a la compassion et l’assistance. La nouvelle devise de l’école est : sécurité, bonheur, progrès.

6) Un projet très ambitieux !

Résumons nous. B-E est le projet d’un fichier électronique centralisé de tous les élèves des écoles (depuis la maternelle) et de leur famille. Il est prouvé que ce type de technologie n’est jamais totalement sécurisable et présente des risques importants d’erreurs , d’intrusion dans la vie privée et de détournement du but initial. Ce n’est donc pas qu’une question technique de verrouillage, quoique certains en pensent. D’autant plus que rapprochement de fichiers et levée de confidentialité légaux sont prévus (stupéfiants, terrorisme, délinquance sexuelle, état d’urgence...). Il ne s’agit plus de problèmes techniques mais de décision politique qui n’exclue nullement les utilisations abusives. Le contrôle social est déjà effectif et s’accentue : repérage des futur délinquants (rapport Bénisti), des sans papier, secret professionnel partagé ,etc...

Ceux qui dénoncent les dangers de dérives avec B-E ne voient pas que ce ne sont justement pas des dérèglements. Ils peuvent rêver d’un pouvoir raisonnable (style DSK ou Bayrou ?) qui saurait maintenir l’utilisation de ces dispositifs dans les limites de l’éthique républicaine et des droits de l’homme. Ces « dévoiements » sont inhérents à ces modèles technologiques et au processus de leur développement dans le contexte socio-économique actuel.

B-E n’est qu’un élément limité mais stratégique dans l’agencement d’une structure à plusieurs dimensions. Il est le dernier maillon du fichage étendu à tous les élèves de la maternelle à la terminale. A terme c’est la quasi totalité de la population qui passerait par ce seul fichier. Il n’est aussi qu’un des modules parmi d’autres : base école, base personnel, carte scolaire. Par le jeu de l’informatisation des administrations (défense, impôts, santé, école, collectivités territoriales...) et des différents fichiers gérant matériels, personnels et usagers ; c’est une formidable base de fichage et de statistiques qui est mise en place. La logique du langage électronique et de la structuration en réseaux permet et appelle la prolifération des fichiers et de leur interconnexion. La toile est en perpétuelle expansion, les mailles se resserrent, les connexions se multiplient à l’infini .
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Tout, dans notre monde, a vocation à être traduit, à être stocké, à circuler sous forme numérique et à donner lieu à statistiques, à calcul de productivité. Tout est susceptible et est promis au fichage : marchandises, animaux, humains. En 2008 tous les animaux domestiques et d’élevage seront pucés. Déjà des puces sous cutanées sont expérimentées pour accéder à certains services. Afin d’assurer la traçabilité et la conduite de tous ces flux ; l’informatique, la biométrie, les puces, les nanotechnologies sont les outils de cette mise en réseau. Ces technologies génèrent de fabuleux profits et sont les vecteurs de cette prolifération sans limite .i
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Plus les flux se déploient, s’intensifient et se complexifient, plus il devient difficile de les dominer. Ils nécessitent une intensification des contrôles de toutes sortes et impliquent toujours plus de dérives et détournements. Quelle institution nationale ou supra nationale peut raisonnablement assurer maîtriser une telle prolifération ? On parle de ’’pilotage’’ , de ’’gouvernance’’, pour tenter de préserver un semblant de rationalité et escamoter le fait que plus rien ni personne, aucun politique, aucun expert, aucun dispositif global ne contrôle réellement l’accroissement vertigineux de la production, de la consommation et de la circulation et leur impact mortel sur la planète. Face au désastre écologique programmé, on peut très bien envisager l’apparition de régimes autoritaires et policiers imposant des restrictions draconiennes à une population désorientée.

7) La république, les citoyens et la démocratie.

Dans cette méga machinerie économique, sociale et politique, chacun apprend à n’avoir qu’une responsabilité diluée et limitée à sa fonction puisque : ’’il n’y a pas d’alternative’’, nous dit-on. Il ne s’agit plus de changer la société mais de la gérer au mieux, de la moderniser en s’en remettant aux experts. Il n’y a plus d’enjeux, plus de politique ni de citoyens. L’esprit même de la République parlementaire s’accomplit : élire des « représentants » pour 5ans pour se débarrasser des questions politiques ,et réussir le coup de force d’une démocratie sans les citoyens.

Les gens ,résignés, transformés en zappeurs politiques, votent pour remplir leur devoir républicain, une fois à gauche, une fois à droite ou s’abstiennent massivement. C’est l’alternance. Il n’y a plus de valeurs ni de principes antagoniques à confronter, plus de hiérarchisation, tout est relatif. Plus de débat qu’entre une gestion ’’éthique’’ ou « décomplexée », plus de révolte que des émeutes sporadiques. Les citoyens désillusionnés ou cyniques, recroquevillés sur leur petit monde privé, laissant le pouvoir aux oligarchies politiques, économiques, scientifiques, aux partis et aux médias, se crispent sur leur identité religieuse, nationale ou autres. Mais les inégalités, le chômage, la misère, le racisme, les fondamentalismes s’accroissent et rien ne change vraiment. Alors on vote en masse et on élit un sauveur démagogue à la dent dure et à la poigne de fer qui prétend s’attaquer à cette apathie, ce fatalisme, cette impuissance généralisée. Puis on se ravise aux législatives. Et l’homme providentiel, volontariste, au nom de l’ouverture à gauche et au centre débauche des opposants. Passant ses vacances aux frais des grands patrons, inondant les médias de son hyper-activité, il révèle la collusion des élites politiques, administratives et industrielles et la complicité fondamentale des différents partis à l’acceptation du statu quo.

Alors que les maigres garde-fous (séparation des pouvoirs, syndicats, associations, humanitaires ,etc...) sont depuis longtemps convertis et digérés, les gens cherchent confusément à donner du sens à leur vie et à la politique. Il n’y a plus vraiment de valeurs collectives et même l’adhésion au système s’épuise. Que faire ? Des voix déjà se sont élevées pour dire qu’une autre politique, d’autres mondes sont possibles. Mais elles ne font le plus souvent qu’appeler pathétiquement à la résistance à tel ou tel politicien, à tel ou tel aspect de la folie technobureaucratique actuelle pour une gestion plus éthique et républicaine. Mais il ne suffira jamais d’avoir un bon président, une bonne majorité, une bonne opposition et des citoyens raisonnables ...Alors que faire de mieux ?

Redonner du sens à la politique, c’est à dire formuler des valeurs et des principes sur lesquels appuyer et orienter un projet collectif de transformation sociale. D’abord croire à la démocratie. Pas la démocratie représentative, participative ou délibérative que certains proposent. Mais prendre le mot démocratie au pied de la lettre. Croire que les citoyens peuvent participer effectivement et directement à la prise des décisions qui concernent leur vie. Avoir la volonté d’en faire un projet. Cela implique bien sûr qu’on s’accorde sur le constat et qu’on adhère en commun à un certain nombre de convictions.

Ces principes ne sont pas ignorés ni mystérieux, même s’ils restent à compléter et préciser. En premier lieu les Droits de l’Homme (des personnes, sociaux, environnement protégé, laïcité,etc...). Mais des droits effectifs et non pas idéalisés. Surtout ,doit être énoncé et placé en tête, celui toujours non dit (et pour cause) ,qui les fonde : le droit du peuple à se gouverner lui même directement. Quelques règles encore : encadrement de l’expertise, de l’information ; limitation, rotation et révocabilité des mandats, mandatement et non délégation de pouvoir , etc... Mais ces règles ne sont pas des recettes qu’on pourrait appliquer ou isoler. Ils doivent s’organiser en un système cohérent et être des principes vivants d’organisation et de fonctionnement.

Redonner du sens à la politique et à l’éducation c’est faire de la démocratie directe un projet, un programme, non pas à voter mais à élaborer, à réaliser , voire à remanier collectivement. Un programme dont on ne sait pas d’avance ce qu’il sera exactement puisqu’il est à construire, mais dont on sait ce qu’il ne peut pas être et dont on connaît les principes. Sur quels individus et sur quels groupes s’appuyer pour faire avancer un tel projet ? La LDH a t-elle sa place dans cette dynamique et à quelles conditions ? et quel rôle pour les enseignants ?

En attendant (et dès maintenant) que peut-on faire ? Alerter , informer (parents , enseignants , associations ...)des implications et significations de Base-Elèves .Appeler à compléter a minima les fiches scolaires de renseignement . Questionner enseignants , directeurs , mairies , I.A ... sur la mise en place de B-E . Opérer des mobilisations pour que les mairies refusent (comme Grenoble paraît-il) le logiciel gratuit mis à leur disposition pour l’intégration à B-E . Faire le maximum de demandes d’accès aux données confidentielles contenues dans le fichier national (loi informatique et liberté ). Demander aux directeurs d’utiliser de façon concertée et au mieux leurs marges pour renseigner B-E . Refuser, si possible collectivement le fichage ...

Toutes ces actions ne sont que des bâtons dans les roues du rouleau compresseur ’’modernisateur’’ . Elles restent dans le cadre d’une contestation éthique , qui dénonce les abus du fichage mais ne peut ou ne veut pas voir la logique technobureaucratique intrinsèque . Elles fournissent éventuellement l’occasion d’agir collectivement et de faire avancer une nécessaire critique réellement politique du processus en marche.

François SUEUR ( enseignant )

Transmis par Adsalam



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jeudi 24 avril 2008 à 12h21 - par  CIRBE
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