Droit au séjour et droit à la vie

mercredi 19 septembre 2007
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Au moment où ce gouvernement se fixe comme priorité la chasse aux pauvres , la traque des sans papiers et reprend – avec les tests ADN aux frontières - des mesures préconisées naguère par le seul Front National, nous avons rencontré Afrisanté, association marseillaise qui travaille depuis quelques années sur la promotion de la santé et la lutte contre le sida en direction des migrants/étrangers en France.

En prélude à la rencontre des usagers nous avons posé 3 questions à Kodou Wade anthropologue de formation, fondatrice et coordinatrice de l’association.

Kodou pourquoi la création d’Afrisanté ?

Notre objectif général est la promotion de la santé et lutte contre le sida. L’association est née en novembre 2003 en raison de la progression du VIH/sida chez les migrants/étrangers notamment au sein des communautés migrantes d’Afrique subsaharienne :
-  en 2002, selon L’INVS 75 % des femmes de moins de 30 ans contaminées par voie hétérosexuelle sont de nationalités d’Afrique subsaharienne.
-  En 2003, la moitié des nouveaux cas d’infection déclarés concerne des femmes originaires de l’Afrique noire.

L’accès au dépistage et aux soins avant le diagnostic du stade sida est nettement plus tardif au sein de cette population.
Cette situation alarmante est simplement révélatrice d’une cassure sociale face à la prévention et à l’accès aux soins de santé entre migrants/étrangers et Français.

Aujourd’hui vous tirez un cri d’alarme car les gens qui s’adressent à Afrisanté sont eux aussi confrontés à la politique du gouvernement en matière de droit des étrangers

En effet des personnes vivant avec le VIH/sida et de pathologies telles
que le cancer nous sollicitent quotidiennement pour divers problèmes : besoins alimentaires, logement, souffrance psychique, difficultés d’accès aux droits communs, clandestinité, etc.

Leur fragilité est accentuée par l’évolution des procédures les concernant. Ainsi dernièrement, de nombreux usagers de notre association ont été confrontés à un retard dans le renouvellement de leur carte de séjour. Cette situation a engendré la rupture des aides sociales dont ils sont bénéficiaires (CAF, AAH, RMI, etc) ou des difficultés avec leur employeur du fait de retard dans le renouvellement de leur titre de séjour. Pour certains, dans l’incapacité d’exercer un emploi soit à cause de handicaps (problème cécité, Kaposie, maladie récurrente, etc) liés à leur maladie ou de la difficulté de trouver un emploi, le quotidien est tourmenté et difficile. Les dysfonctionnements liés au processus de régularisation sont multiples : par exemple un récépissé qui n’autorise pas son détenteur à travailler, une demande de renouvellement qui perdure durant plusieurs mois, le refus de titre de résident pour des individus présent sur le territoire au-delà de cinq ans, la difficulté d’obtenir un rendez-vous à la préfecture, etc.

Qu’envisagez-vous par rapport à cette situation ?

Défendre en tant qu’association spécifique le 25-8 et 12 bis 11° [1] afin de faire respecter les articles de loi relatifs aux étrangers atteints de pathologie grave.

Les gens qui s’adressent à nous pour la plupart avaient déjà fait appel au collectif sans papiers du 13 et au comité chômeurs CGT. De plus dans ce département, comme un peu partout en France il existe tout un réseau associatif qui se bat aussi sur ces questions là. Nous nous inscrivons évidemment dans ce combat là. Mais nous voulons aussi faire entendre spécifiquement la voix des gens qui nous font confiance car pour eux le droit au séjour est inséparable du droit à la vie, puisque se soigner au pays est impossible, comme ils en témoignent eux-mêmes.

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Une vingtaine de personnes, africaines pour la plupart, sont réunies dans ce local haut en couleurs de Afrisanté, rue Chateauredon à Marseille.

Irène du Togo [2] parle la première : « C’est la 6e fois que je vais renouveler mon récépissé annuel. On me dit que je n’ai pas droit à la carte de 10 ans mais alors quand je travaille où vont mes cotisations ? Ils nous disent : il faut vous intégrer, mais comment faire quand chaque année votre droit est remis en cause ?

Quand tu vas demander un emploi, à la vue du récépissé, les employeurs refusent. Ils privilégient celles et ceux qui ont la carte de 10 ans ou les papiers français. En plus la carte de un an ils nous la donnent tellement tardivement qu’elle devient carte de 9 mois puisque 3 mois avant il faut la renouveler. 9a entraîne des problèmes avec la CAF.

Véronique : Une cousine a eu la carte tellement tard qu’elle expirait deux jours après !! Depuis février ma carte est expirée et depuis je n’ai que des récépissés provisoires : je l’aurai quand ma carte ?. J’ai un enfant né en France, je suis venue en 1979 puis repartie et revenue il y a 7 ans. J’ai des frères et sœurs français et moi je suis centrafricaine. Au bout de la 6e année de cartes provisoires j’ai fait une demande de carte de 10 ans, pas de réponse…Et je suis là avec les récépissés…on nous dit qu’il va y avoir une nouvelle loi… conclut elle avec un mélange de lassitude et de fatalisme.

Kodou intervient alors « Il y a des gens qui viennent nous voir, ils ne savent pas ce qu’ils vont manger le soir car on leur a tout enlevé.. »

Augustin Rwanda J’ai eu deux cartes de 1 an, pour la 3e on va me demander un passeport valable mais comment l’avoir dans mon pays ? [3] Mon passeport ne sera peut être plus valable mais mon identité n’a pas changé ! L’échange se fait vif et les paroles s’entrecroisent : « Tous les jours on se pose la question de rentrer en Afrique et en même temps on se dit que c’est ce qu’ils veulent…On paye des impôts mais la carte d’un an nous bloque…Et puis que faire au pays ? Comment se soigner là bas ? …Et ici que faire de plus ?... »

Abdoulaye : J’ai 3 enfants dont un né ici. Je suis venu du Sénégal en 2003 comme étudiant. Je ne comptais pas m’installer ici, mais finir mes études et repartir. Ma fille, née à Dakar, a eu un cancer à l’âge de 20 mois pour lequel elle a été opérée coup sur coup en deux jours. Là bas les médecins nous ont dit que pour la sauver il fallait venir en France. J’ai dû arrêter mes études, ma femme a quitté son travail. Ma femme a eu une APS [4], moi aussi. Aujourd’hui les docteurs qui la soignent au CHU Timone disent qu’elle doit rester ici jusqu’à l’adolescence car il y a des risques de rechute. Le médecin de la DAS [5] dit qu’elle n’a pas besoin de soins !! Il n’a même pas vu la petite ni appelé le médecin de CHU !!! On a deux autres enfants nés en France et scolarisés et pourtant on a été déboutés de la circulaire Sarkozy…On a fait un recours gracieux, on n’a pas de réponse et on attend la réponse du Tribunal administratif. J’ai une promesse d’embauche mais je suis obligé de travailler au noir…

Et les témoignages se bousculent : « Moi je n’ai que des récépissés qui vont de 3 mois en 3 mois : impossible de toucher la CAF… chaque fois que je trouve du travail je dois arrêter car mon titre est arrivé à expiration… » Il y a aussi le cas de celle-ci qui a perdu la vue…et le travail déclaré.

Tous posent la même question : « Ici ou là bas quel avenir pour nous ? »
Une façon pudique de dire qu’ici ou là bas il n’y a pas d’avenir pour eux…

« On ne voit plus la famille africaine et avec les récépissés cela complique encore parce que du coup on ne peut plus rentrer car nous n’aurons alors pas droit au visa de retour !! Moi j’ai travaillé toute ma vie en France et je ne sais même pas si j’aurai le minimum vieillesse… »
Ils ne se lamentent pas ni ne demandent qu’on les plaigne, ils disent seulement leur réalité… La soirée touche à sa fin, ils prennent des décisions d’action.

Outre l’alerte à la presse, une lettre de demande rendez-vous au préfet est décidée.
Afrisanté à son tour va mettre en place des parrainages en particulier pour que ces prisonniers des frontières et enchaînés des papiers, puissent être accompagnés et entendus lors de leur parcours du combattant préfectoral, eux et elles seront bien sûr à la prochaine manif des sans papiers. Parce qu’il n’y a pas de raison, parce qu’aucune loi, dans aucun pays ne peut priver un homme, une femme, un enfant du droit de se soigner...

Parce qu’au mot sans papier, cette lamentable invention de notre siècle, ils et elles veulent substituer le mot citoyen du monde.


[1Les articles 25-8 adoptés dans le cadre de la loi Debré en 1997 et le 12 bis 11°, voté par le biais de la loi Chevènement en 1998, prévoient la délivrance d’une carte de séjour temporaire (CST) « vie privée et familiale » avec droit au travail pour l’étranger « résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement dans le pays dont il est originaire ».

[2Hormis Kodou, les prénoms ont été changés

[3Evidemment quand on voit l’état du Rwanda aujourd’hui, état auquel l’Europe et la France ont largement contribué, la question ne manque pas de sens !!!

[4Autorisation Provisoire de Séjour

[5Direction des Affaires Sociales dont l’avis sert de point d’appui à l’autorisation préfectorale de droit au séjour



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vendredi 21 septembre 2007 à 10h38 - par  Dominique Blanc

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