ADOMA et le social : une longue histoire d’amour

samedi 10 novembre 2007
par  Charles Hoareau
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Mardi 6 novembre 7h du matin. Le téléphone ne cesse de sonner. Ce sont des amis africains et Avelino un dirigeant de la CGT 13 :« Les flics ont débarqué à Félix Pyat. Ils sont nombreux. Ils ont barré la rue et contrôlent toutes les chambres ! ».
Félix Pyat plus de 300 chambres, le plus grand foyer ADOMA (ex SONACOTRA) de Marseille. Situé rue Félix Pyat, dans le 3e arrondissement, à deux pas de la Belle de Mai, au cœur de Marseille, au début des quartiers Nord. Par sa situation géographique et par son importance c’est aussi le lieu où se retrouvent nombre d’africains de la ville et au delà à l’occasion d’un évènement important touchant à la vie de leur village ou communauté d’origine. C’est aussi un lieu d’accueil informel pour beaucoup de nouveaux arrivants dans la région, l’endroit où l’on trouve toutes sortes de renseignements et d’affaires utiles aux migrants. Depuis près de 15 ans le comité chômeurs CGT y est présent tenant tour à tour le rôle d’association de locataires, de structure d’aide aux démarches administratives quotidiennes, d’interlocuteur face aux structures de l’Etat...

Ici logent principalement des africains d’Afrique noire et quelques dizaines de magrébins. Salariés ou retraités du bâtiment, de la marine, de la métallurgie ou chômeurs, jeunes et moins jeunes s’y côtoient sans histoire depuis des décennies. Quand on rentre dans ce foyer, dès la porte franchie, on est comme par enchantement transporté en Afrique : les boubous multicolores se croisent devant vous pendant qu’émanent des cuisines les senteurs de riz parfumé de la cuisine africaine.

Je pense à tout cela en me préparant à toute vitesse et en me disant : « Ils ont recommencé ! Avec Sarko il fallait s’y attendre. » Il y a déjà eu dans ce foyer une rafle qui est restée ici gravée dans les mémoires, c’était du temps où Pasqua était ministre de l’intérieur et mentor de Sarkozy.
Evidemment quand j’arrive au foyer les flics sont déjà partis et j’en apprends un peu plus. En fait ils ne sont pas venus à l’aveuglette. Ils étaient plusieurs dizaines et avaient, selon les délégués du foyer, 46 noms et numéros de chambre de résidents que leur avait aimablement fournis ADOMA.
La police municipale aurait veillé au bon déroulement des opérations en barrant la rue. M. Gaudin aidant M. Hortefeux, c’est étonnant !!
Entre 6h et 7h les policiers ont fait tellement dans la dentelle, l’amabilité et la discrétion qu’un résident, pourtant pas concerné par le contrôle, a pris peur, a sauté du 3e étage et s’est brisé les jambes. Au rythme actuel, dans notre pays, la défenestration va devenir un sport national pour les hommes et femmes d’origine immigrée avec ou sans papiers…

Les résidents sont évidemment en colère : « Ils nous ont traités comme des chiens ! Ils sont rentrés dans les chambres sans même nous laisser le temps de réagir ou nous habiller…Nous sommes des travailleurs, la plupart français, on paye notre loyer, on est sans histoires avec des opérations pareilles on se sent humiliés ! »

Interrogée sur le but de l’opération ADOMA répond qu’il s’agissait… d’un problème de loyers impayés (sic !) et qu’un huissier (que personne n’a vu) accompagnait les policiers. Des dizaines de policiers pour des questions de quittance ? Ce serait une première !!

Les policiers, eux, ont indiqué aux résidents qu’ils avaient une commission rogatoire du juge (en refusant de montrer un document l’attestant) pour faire un contrôle d’identité…Il y a de grandes chances que la version policière soit plus proche de la vérité que celle d’ADOMA qui a bien du mal à avouer publiquement qu’elle a pratiqué la délation pour indiquer à la préfecture des sans papiers supposés et permettre ainsi à notre préfet d’approcher son quota d’expulsions fixé par le gouvernement.

Comme le diront les résidents le soir même à la réunion de délégués qui se transforme en mini assemblée générale : si c’était une opération pour faire du chiffre c’est un fiasco puisque les deux seuls résidents arrêtés ont été relâchés dans la journée après vérification de leur identité.

-  Reste ce jeune de 37 ans qui est gravement blessé et aurait pu perdre la vie.
-  Reste le climat que révèlent ces méthodes vichyssoises, où la délation devient une pratique de gestion et les gens d’origine immigrée des suspects systématiques, méthodes que le gouvernement encourage et qu’ADOMA, organisme en principe social, applique avec zèle.
-  Reste aussi la riposte que les résidents et ceux qui les soutiennent ont décidé d’initier en direction du préfet et d’ADOMA aujourd’hui entreprise privée dont l’Etat est le principal actionnaire.

En me rendant au foyer j’apprends une autre nouvelle. Les salariés du nettoyage de l’ensemble des foyers de Marseille seraient tous menacés de licenciement dans les jours qui viennent suite à une décision d’ADOMA de changer de prestataire !!! Décidément !!

Le lendemain une assemblée générale du personnel qui se terminera dans les bureaux de la direction régionale nous livrera le pot aux roses. Nous avions déjà raconté ici, comment et pourquoi chez ADOMA alors SONACOTRA, les salariés du nettoyage s’étaient révoltés il y a plus d’un an. Ayant obtenu des embauches et le respect de leur contrat, ils avaient repris le nettoyage des locaux avec une nouvelle entreprise, PNS.

En juillet dernier PNS, arguant du fait qu’ADOMA ne tenait pas ses engagements financiers rompait le contrat. Comme le veut la procédure en pareil cas, ADOMA a alors fait appel à des entreprises de substitution qui au terme de la loi sont tenues de reprendre les salariés en attendant qu’un appel d’offres puisse déterminer à qui le marché serait attribué pour les 3 prochaines années, les salariés étant alors en principe protégés par l’article L122-12 du code du travail, article renforcé, dans le cas particulier du nettoyage, par les dispositions de la convention collective inscrites dans un texte couramment désigné par annexe 7.

Le 31 juillet, dès que le syndicat a eu connaissance de la passation en vue il a écrit à tous les intervenants et les salariés se sont rendus en masse à la direction du travail pour exiger une réunion entre ADOMA et les entreprises de nettoyage entrantes et sortante. La direction du travail ne l’a pas organisée en expliquant qu’ADOMA ne voulait pas !
Autrement dit l’Etat représenté par le ministère du travail n’arrivait pas à rencontrer l’Etat actionnaire majoritaire d’ADOMA. Très convaincant !!

Comme en plus ADOMA a cru utile de partager les foyers de Marseille en 4 lots (et donc 4 entreprises ce qui est une absurdité que la CGT a tout de suite dénoncée) cela a considérablement compliqué la question de la reprise des salariés au point que depuis le 31 juillet, 5 salariés, ex PNS, sont en procès avec l’une ou l’autre des entreprises entrantes pour savoir qui doit les reprendre et n’ont à ce jour touché aucun salaire…ni allocation chômage…Toujours le social…

Mais il y a mieux si l’on peut dire ! ADOMA qui, comme nous venons de le voir est très soucieuse du social, a, cette fois-ci, sans prévenir les salariés, inclus dans son appel d’offres une clause dite d’insertion qui permet depuis la loi de cohésion… sociale de 2004 aux entreprises d’insertion ou autres régies de quartiers de répondre aux appels d’offres, chose qu’elles font d’autant plus qu’elles ont perdu au travers de cette même loi les conventionnements qui leur permettaient auparavant d’accomplir leurs missions de réinsertion.

Depuis leur création ces entreprises et associations embauchent en effet des salariés en grande difficulté et exclus à qui elles proposent, moyennant le SMIC, une formation et un emploi dit de réinsertion pour une durée maximum de deux ans, tremplin vers un emploi futur non précaire et qualifié. L’initiateur de la magnifique loi de 2004, le ministre Borloo, toujours sans doute par souci du social et de la cohérence, a prévu de dispenser ces entreprises particulières de l’obligation lors de la reprise d’une activité, de reprendre aussi les salariés qui l’exerçaient. Et quand bien même elles auraient les moyens de le faire, à leur sortie du marché, ce seraient au tour des entreprises de nettoyage qui reprendraient le chantier ne plus se sentir tenues par l’obligation de reprise puisque les dites associations ne dépendent pas de la convention collective des entreprises de propreté.

Dans le cas d’ADOMA un pur hasard (mais si !) a fait que ce sont deux régies de quartier qui ont remporté l’appel d’offres. En vertu de leurs statuts et de leur mission, ces associations financées par les pouvoirs publics (Etat et conseil général) doivent donc embaucher 50 rmistes ou autres chômeurs de longue durée pour remplacer les 50 salariés actuels…qui se retrouveraient alors à la rue !!! On est en pleine cohérence sociale !!

ADOMA justifie son changement de nom et se présente ainsi « Du latin"ad", qui signifie "vers", et "domus", qui signifie "maison", ce nouveau nom traduit bien l’idée d’hospitalité, de protection et de convivialité que recouvre notre mission. Elle [ADOMA] est par ailleurs soumise au contrôle de l’État, principal actionnaire, et aux règles des entreprises nationales. Son Conseil d’Administration comprend les représentants des ministères de tutelle : affaires sociales, logement, finances et intérieur. ».

C’est donc par esprit de protection et de convivialité que ce cher bailleur social a dans un premier temps sorti les salariés du nettoyage du statut SONACOTRA, a ensuite diminué de 50% leur nombre afin d’être sûr qu’ils n’aient pas le temps de s’ennuyer au travail et maintenant les renvoie en expliquant qu’ils ne correspondent pas au profil, eux qui habitent les mêmes cités et les mêmes foyers que celles et ceux qu’on voudrait embaucher précairement à leur place. Certains travaillant dans les foyers depuis plus de 20 ans on s’apercevrait maintenant qu’ils ne correspondent pas au profil ? Plus fort que le CNE !!!

Et ADOMA, son directeur régional en tête, un certain ROUMAGERE, celui-là même qui n’a jamais répondu à aucun courrier de la CGT, d’affirmer la main sur le cœur qu’il n’y est pour rien, que c’est la faute à l’autre, qu’il est très peiné pour les salariés, que cela n’a rien à voir avec le précédent conflit, qu’il n’a pas fait exprès de refuser la réunion du 31 juillet …etc. Mais qu’à partir du lundi 12 novembre ils seront sans travail…tout autant qu’ils se laissent faire ce qui n’est pas du tout leur intention.

Un rendez-vous avec le préfet est enfin prévu ce même 12 novembre.

A l’heure où sont écrites ces lignes on ne connaît pas encore l’épilogue de ce roman que l’on pourrait titrer : les joies de la loi de cohérence…chômage.

Une chose est déjà sûre : qu’il s’agisse des résidents qu’elle loge fort mal pour fort cher ou qu’il s’agisse des salariés kleenex qu’elle emploie par sous traitants interposés, ADOMA qui affiche un résultat positif de 12,6 millions d’euros pour 2006, nourrit avec le social une longue histoire d’amour.



Commentaires

vendredi 7 mai 2010 à 07h24
mercredi 28 avril 2010 à 17h32
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vendredi 14 décembre 2007 à 06h52 - par  Charles Hoareau
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