Une façon très intéressée de lutter contre la famine

jeudi 15 novembre 2007
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Les Etats-Unis sont le premier donateur mondial d’aide alimentaire. Mais le système en vigueur profite davantage aux grands groupes agro-industriels qu’aux populations dans le besoin. Dans le pays même cet état de fait est dénoncé...sans parler, comme nous l’avons évoqué ici, du rôle politique de nombre d’ONG dans le maintien et l’extension du poids de la première puissance mondiale.

En août dernier, CARE, l’une des principales organisations humanitaires du monde, a choqué les observateurs en refusant 45 millions de dollars d’aide alimentaire américaine. Elle entendait ainsi braquer les projecteurs sur une pratique qui, selon elle, est plus préjudiciable que bénéfique aux populations frappées par la famine.

L’organisation, qui juge la politique américaine d’aide alimentaire inefficace, non viable, voire contre-productive, a dit “trop c’est trop”, selon les termes de Bob Bell, directeur de l’équipe de coordination des ressources alimentaires de CARE.

Premier donateur d’aide alimentaire internationale, les Etats-Unis fournissent plus de la moitié de toute l’aide destinée à combattre la faim dans le monde, soit 4 millions de tonnes par an. Mais tel qu’il est conçu, le système remplit surtout les poches des groupes agroalimentaires et des compagnies maritimes du pays. Selon la législation en vigueur, au moins 75 % de l’aide alimentaire doit être produite et conditionnée aux Etats-Unis et acheminée par des navires battant pavillon américain.
Contrairement à la plupart des pays donateurs, les Etats-Unis vendent une partie de leur aide alimentaire, soit directement aux Etats ­bénéficiaires, soit en autorisant sa monétisation, système qui permet de récupérer l’argent de la vente pour financer des projets de développement. En 2002, Richard Lee, porte-parole du Programme alimentaire mondial des Nations unies, avait expliqué à Greenpeace que les dons financiers étaient le meilleur moyen de lutter contre la famine. “Nous préférons les dons en espèces car ils offrent davantage de souplesse ; l’argent permet d’acheter localement, de bénéficier d’une plus grande marge de manœuvre et ­d’accélérer le processus”, disait-il.

Une concurrence déloyale pour la production locale

L’Institute for Agriculture and Trade Policy (IATP), une association de défense des petits exploitants américains, juge la politique d’aide alimentaire américaine très problématique. “Aucune aide alimentaire n’est parfaite”, note Sophia Murphy, consultante auprès de l’IATP. Mais celle que fournissent les Etats-Unis est “plus contraignante que la plupart, en raison d’une série de restrictions qui servent les intérêts américains et non ceux des populations auxquelles ces programmes sont destinés”.

Comme la majeure partie de l’aide alimentaire doit avoir été produite aux Etats-Unis, elle peut mettre des mois à parvenir aux populations en crise et arrive parfois trop tard, ou, comme l’indique Mme Murphy, à un moment où elle “concurrence la récolte locale au lieu de faire la soudure entre deux récoltes”. L’obligation de faire appel à des compagnies maritimes américaines pour acheminer l’aide a également pour effet d’accroître les coûts. Un récent rapport du Government Accountability Office [GAO, instance rattachée au Congrès et chargée de contrôler les comptes] a révélé que la hausse des coûts de transport et de fonctionnement avait réduit la fourniture d’aide alimentaire de près de moitié. Dans le cas d’un programme précis, le GAO a noté que les coûts de transport avaient même englouti 65 % du montant total des dépenses.

L’arrivée de l’aide au mauvais moment peut fragiliser les économies locales. Il en va de même pour la monétisation : les ONG qui assurent la distribution de l’aide vendent des produits américains subventionnés à des prix souvent inférieurs au coût de production, ce qui élimine toute concurrence locale. “Sans une gestion extrêmement rigoureuse, [les denrées vendues] font baisser les prix des produits locaux, ce qui freine la production alors que l’objectif est au contraire de l’encourager”, déplore Mme Murphy.

Yifat Susskind, directrice de la communication de l’association de défense des droits de l’homme Madre, juge cette pratique très néfaste. “Le résultat, à une très grande échelle, ce sont des faillites, une désorganisation de ­l’économie et l’exode de millions d’agriculteurs dans le monde, dit-elle. Il en irait tout autrement si les produits étaient achetés à des agriculteurs situés à proximité de l’endroit ou à l’endroit même où l’aide alimentaire est nécessaire.”

Par Megan Tady dans In These Times du 08/11/2007

Transmis par Linsay



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