Un nouveau pas vers la dictature ?

jeudi 15 novembre 2007
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Deux articles dans l’actualité dénoncent les travaux de la commission Balladur. Le fait que le premier d’entre eux soit publié dans un journal financé par un investisseur, grand ami de Sarkozy n’est guère plus rassurant : qui pourra continuer à dénoncer de telles pratiques lorsque le rapport de force s’exacerbera ?

Mais au fond cette évolution de notre « démocratie » n’est elle pas la conséquence inéluctable de cette constitution de 58 que nous ne cessons de dénoncer - ce qui nous amène à ne pas partager certaines appréciations positives sur celle-ci portées par l’auteur du second article - constitution qui portait déjà en son sein cette présidentialisation du régime qui n’a fait que s’accroître ?

Le régime qu’on nous prépare est très dangereux »

Entretien de Marie Anne Cohendet paru dans Libération

Les projets de révision constitutionnelle « mettent en cause tous les équilibres du régime », s’alarme l’universitaire Marie-Anne Cohendet
dans un entretien au Contre Journal. « Demain, avec cette réforme, même si les parlementaires renversent le gouvernement, ils ne changeront pas le chef de l’exécutif, puisque le chef de l’excécutif sera quoi qu’il arrive le Président », juge-t-elle. Selon elle, tous les pouvoirs présidentiels risquent d’être « réinterprétés comme des pouvoirs de direction ». Marie-Anne Cohendet est l’auteure de « Sept petits mots de trop »
, un texte sur les travaux du comité Balladur.

« J’ai employé le terme de mascarade qui est assez fort, pourtant c’est bien de cela dont il s’agit ; du moins du point de vue du Président de la république. Le Président a invité des personnes réputées sur le plan scientifique, pour les faire participer à une opération dont l’objectif - de la part du président de République j’insiste là dessus - est de cacher le but essentiel de sa réforme qui est de renforcer ses pouvoirs. Ce qui m’a mise en colère, c’est la manière dont ont été présentés ces travaux. On a voulu nous faire croire que le but du comité et le but de la réforme était de réduire les pouvoirs du Président et de renforcer ceux du Parlement. Ce n’est pas acceptable.

Les sept petits mots rajoutés par le comité sont difficiles à expliquer aux Français. Ils rajoutent à l’article 5 de la constitution que le Président définit la politique de la nation. Cela n’a l’air de rien… D’autant plus que cela correspond à la pratique. En réalité, c’est énorme, colossal, parce que cela met en cause tous les équilibres du régime. Il y a une logique profonde dans tous les régimes démocratiques. Le droit constitutionnel s’est bricolé au fil des siècles et l’on s’est rendu compte des mécanismes qui permettaient de garantir la démocratie ou de ne pas la garantir. Parmi les systèmes qui garantissent la démocratie, on a le régime parlementaire. Ceux qui gouvernent sont responsables. Qu’est-ce que cela veut dire être responsable politiquement ? Cela veut dire pouvoir à tout instant être renversé, perdre le pouvoir, parce qu’on a mal gouverné. Si en régime parlementaire, sous la 5e République, c’est le gouvernement et non pas le Président de la République qui a le pouvoir de diriger, c’est parce qu’à tout instant le gouvernement peut être renversé. Donc si l’on transfère ce pouvoir de direction des mains du gouvernement vers le Président, on donne le pouvoir de direction à un organe qui, lui, est incontrôlable pendant cinq ans. Si le Président se met à faire n’importe quoi… S’il devient complètement fou, on a la procédure de destitution qui est marginale, difficile à mettre en œuvre... Mais si le Président mène une politique dont le peuple ne veut plus, dont les parlementaires ne veulent plus, on ne peut rien contre lui et en toute hypothèse c’est lui qui dirige, c’est cela qui est grave. »

« Au sujet des soixante-dix mesurettes du Comité Balladur, j’ai dit que les parlementaires auront des pistolets à bouchon, c’est exactement de cela dont il s’agit. Les membres du comité ont fait sur de nombreux points un excellent travail. Ils proposent des tas de choses intéressantes. Mais c’est une véritable ligne Maginot. Toutes ces petites constructions ne suffiront pas à endiguer le flot du présidentialisme. Le fait que le parlement puisse décider d’une partie de son ordre du jour, c’est parfait. Les mesures de renforcement du rôle du parlement ne concerneront pas les lois de financement de la sécurité sociale. Aux Etats-Unis, le parlement maitrise complètement le budget : on sait que c’est le nerf de la guerre. Pour le contrôle de constitutionnalité, on n’a pas de garanties sur la composition du conseil constitutionnel. Parmi les mesures préconisées, beaucoup ressemblent à des voeux pieux. Quoi qu’il en soit, même si ces mesures de renforcement des pouvoirs du parlement étaient efficaces, elles ne seraient rien au fait que le principe fondamental selon lequel le pouvoir est équilibré par rapport à la responsabilité est fichu en l’air.

Dans les régimes parlementaires, le gouvernement est puissant parce qu’il est responsable. Aux Etats Unis, le Président est infiniment moins puissant que notre Président français. Or là on ne réduit pas les pouvoirs du président, on les renforce.

Le discours du président devant le parlement est une plaisanterie. L’origine historique est rappelée par le rapport Balladur. Si les parlementaires avaient interdit au Président d’aller parler devant eux, c’était pour réduire ses pouvoirs. Si on lui permet d’aller parler devant les parlementaires, cela ne va pas réduire son pouvoir, cela va au contraire l’accroître, parce que par sa présence physique, c’est sa force de conviction qui va s’exprimer devant les parlementaires. Cela va augmenter les pouvoirs du Président. Dire le contraire n’est pas sérieux.
Je pense que l’on se rapproche plus de la Russie de Poutine que du régime de 1848 parce qu’en 1848, il n’y avait pas de droit de dissolution. Dans ce que l’on nous propose ici, l’on ne va pas vers un régime à l’américaine, parce que notre Président sera bien plus puissant que le Président des Etats Unis. Cela ressemble au régime de Russie de Poutine parce que les pouvoirs seront les mêmes. On a le même genre de mesures dans certaines constitutions africaines. Ce qui est difficile à expliquer c’est : qu’est-ce que ça change et qu’est-ce que ça ne change pas ? C’est une forme de pérénisation de tous les défauts de la 5e République, de son déséquilibre très grave entre responsabilité et pouvoir. Et qu’est-ce que ça change ? Deux choses. Ca enlève la soupape de sureté. Actuellement, on a une cocotte minute, c’est dangereux, mais on a un soupape de sécurité. C’est le fait que les parlementaires peuvent renverser le gouvernement, ce qui signifie changer le chef de l’exécutif. Demain avec cette réforme, même si les parlementaires renversent le gouvernement, ils ne changeront pas le chef de l’exécutif, puisque le chef de l’excécutif c’est quoi qu’il arrive le Président. C’est très grave. On est en train de visser le couvercle de la cocotte minute, donc on a un risque d’explosion. On affaibli les pouvoirs du peuple, parce que le peuple ne pourra plus rien contre un président qui ferait n’importe quoi en cours de mandat. Aujourd’hui, les citoyens peuvent réagir grâce à la cohabitation. C’est une soupape de sûreté. Un moyen pour le peuple de dire au Président « cette politique ne nous convient plus, vous revenez à votre rôle d’arbitre et nous, on veut une autre politique avec un nouveau chef du gouvernement ». Avec cette réforme, même en cas de cohabitation, même si la majorité parlementaire est hostile au Président, c’est toujours le Président qui gouvernera, qui dirigera, définira la politique nationale. Et on ne pourra plus rien faire contre lui pendant cinq ans.

D’autre part, la deuxième chose c’est que cette réforme risque de conduire à une réinterprétation de toute la constitution, c’est très comparable avec ce qui se passe dans la Russie de Poutine. Puisque la mission du Président aura changé, on estimera que tous les pouvoirs présidentiels devront être réinterprétés comme des pouvoirs de direction. Ses pouvoirs propres, mais aussi et surtout les pouvoirs soumis à contre-seing. Tous les pouvoirs du Premier ministre vont être réinterprétés, parce que l’on va considérer que ce sont des pouvoirs qui sont là pour lui permettre d’obéir au Président. En matière de révocation du Premier ministre comme en matière de nomination, qui est un pouvoir capital. Mais aussi, et surtout, tous les pouvoirs en Conseil des ministres. Les pouvoirs du président en conseil des ministres seront considérés comme une direction incontestable même en cas de cohabitation. Les pouvoirs du premier ministre pour diriger l’activité du parlement vont devenir des pouvoirs dominés par le Président. Cette domination ne pourra même plus être remise en cause sérieusement en cas de cohabitation. Pouvoir de domination généralisé sans contrôle, absence de soupape de sécurité : il y aura des vrais changements. Quand est-ce que ça va exploser je ne peux pas vous le dire, mais c’est dangereux, j’en suis certaine.

Tous les chercheurs qui ont analysé ce type de régime ont montré que par essence c’est un régime qui est très dangereux, parce qu’on a un homme qui est trop puissant au regard du fait qu’il n’est pas responsable. Montesquieu l’avait dit il y a très longtemps : tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser, jusqu’à ce qu’il en trouve des limites. Et là le problème, c’est qu’il ne trouvera plus de limites. »
Propos recueillis par Karl Laske

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La République dictatoriale

Par Salim Abdelmadjid, élève à l’École normale supérieure, agrégé de philosophie, tribune parue dans l’Humanité du 13 novembre.

Dans le Coup d’État permanent, François Mitterrand s’inquiétait de l’étendue des pouvoirs conférés au président de la République. Il avait tort. Il n’avait pas considéré l’étendue des pouvoirs conférés au premier ministre. Sous la Ve République, le président et le premier ministre ont des compétences spécifiques, cela empêche la concentration des pouvoirs. Ils ont des compétences communes, ce qui les oblige à s’entendre, cela modère le processus de décision. Si la Ve République a pu corriger le déséquilibre entre l’exécutif et le législatif qui était la règle, au profit du Parlement, sous la IVe République, sans tomber dans le déséquilibre inverse ; si elle a pu remédier ainsi à l’instabilité de la IVe République, c’est par la dyarchie, l’autorégulation de l’exécutif. Contrairement à ce que certains avaient prévu, le Parlement, tenant l’essentiel de son pouvoir de la responsabilité devant lui d’un premier ministre aux pouvoirs étendus, n’avait pas été soumis.

Trois phénomènes récents ont miné cet équilibre : le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral [1] ; la conception de l’élection présidentielle comme le choix d’un package programmatique ; et enfin, si elles étaient appliquées, les propositions du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions. Après lecture, certaines des propositions du comité sont très louables, par exemple l’encadrement du pouvoir de nomination du président de la République, la limitation du 49-3 ou la reconnaissance aux justiciables de l’exception d’inconstitutionnalité. Mais leur signification et leurs conséquences pratiques sont minorées par les propositions 1 et 2 modifiant les articles 5 et 20 de la Constitution : « Le président de la République définit la politique de la nation (…) le gouvernement (la) conduit. » Ce n’est pas une clarification horizontale des compétences au sein de l’exécutif par leur partage, c’est la transformation verticale de leurs rapports par la soumission des compétences du premier ministre à la volonté du président de la République.

À vrai dire, cette modification est cohérente avec l’instauration du quinquennat et la primauté calendaire de l’élection présidentielles sur les élections législatives. Le projet présidentiel était déjà devenu, de fait, le programme du gouvernement et de la majorité parlementaire. Le comité ne propose que d’institutionnaliser la soumission, dans la pratique du législatif à l’exécutif en institutionnalisant la soumission du premier ministre, responsable devant le Parlement, au président irresponsable. Mais cela ne veut pas rien dire : le pouvoir du président n’admet plus de contre-pouvoir et, par exemple, la proposition 5 lui reconnaissant le droit, tout en demeurant irresponsable, de s’exprimer devant le Parlement équivaut alors à la reconnaissance de son droit de dérégler le processus parlementaire, rien moins que le viol légal du Parlement. Dans ces conditions, notre régime politique se résumerait au seul choix, tous les cinq ans, d’un seul homme auquel, pour cinq ans, seraient conférés tous les pouvoirs. Les Romains avaient un mot pour cette magistrature extraordinaire : la dictature.

Nicolas Sarkozy l’appelle de ses voeux quand il conçoit l’élection présidentielle comme le choix irrévocable d’un package programmatique. Pour prendre deux exemples dans l’actualité : si on lui demande pourquoi il ne recourt pas au référendum pour la ratification du traité simplifié, ou pourquoi le gouvernement ne négocie pas plus avant sa réforme des régimes spéciaux, il répondra inlassablement : je l’ai annoncé durant la campagne et les Français, en m’élisant, ont donné leur accord. Pourtant, comment admettre que, dans une démocratie majoritaire, pour une élection à deux tours, tous les électeurs de Nicolas Sarkozy au second tour aient supporté toutes les propositions de son projet ? C’est le sophisme de la République dictatoriale.

Aujourd’hui, sur la question institutionnelle, s’opposent donc deux conceptions de la démocratie. Pour la première, la démocratie n’existe que dans les urnes et l’on n’est citoyen que dans l’isoloir. Pour la seconde, la démocratie est une vie quotidienne et l’on est citoyen jusque dans la rue. Selon la première, les cheminots, les étudiants, les fonctionnaires en novembre 2007 sont hors la loi. Selon la seconde, ils affirment hautement leur citoyenneté. Pour la première, les propositions 1 et 2 du comité, si elles étaient acceptées, seraient une modernisation. Pour la seconde, elles ouvriraient la boîte de Pandore du pouvoir personnel. Celle-ci demande enfin : si le Parlement à travers le premier ministre est soumis au président de la République, si dans le même temps aucun nouveau contre-pouvoir n’est créé, que nous reste-t-il pendant cinq ans pour exprimer un éventuel désaccord avec la politique du président, un désaccord même seulement ponctuel ? La grève - jusqu’en janvier et l’instauration du service minimum.

Mais après janvier, que nous restera-t-il ? La désobéissance civile, l’illégalité. Or, et l’enjeu institutionnel clairement se dévoile, nous ne connaissons pas de situation historique où l’on ait réduit à l’illégalité les citoyens en désaccord sans ruiner en même temps les conditions de la paix civile.

Sur la constitution de 58 on lira (ou relira) avec intérêt la tribune de Elie Dayan parue dans Rouge Midi.


[1mis en place par Jospin par un référendum pour lequel les Rouges Vifs, un peu seuls à l’époque, avaient appelé à voter franchement NON



Commentaires

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lundi 26 novembre 2007 à 20h31 - par  ULTRAHARDCORE

SI LA DICTATURE PASSE, JE QUITTE CE PAYS !

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lundi 26 novembre 2007 à 14h31 - par  La Constitution en Afrique

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