Vous avez dit urgence ?...

14 rue Fiocca, l’immeuble de la dernière chance...
lundi 21 novembre 2005
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6H30 vendredi 18 novembre, le téléphone sonne, « Vite ! il faut venir, la police est là, ils nous emmènent ». Trente minutes plus tard, c’est devant une démonstration impressionnante des forces de police : rue bloquée, 20 camions de police, un camion militaire, deux bus, trois camions de déménagement, une camionnette de travaux pour murer les appartements, que l’on se retrouve à une poignée pour défendre et témoigner de l’expulsion du 14 Rue Fiocca. On se croirait en présence d’une arrestation des pointures du grand banditisme marseillais.

En réalité, ce sont juste 16 familles et une trentaine d’hommes célibataires qui n’ont pas trouvé d’autre lieu pour se loger que cet immeuble à la limite de la sécurité et de l’insalubrité.

Le 14 rue Fiocca est connu depuis plusieurs années déjà pour héberger des personnes avec ou sans papiers, salariés ou non, des enfants scolarisés de la maternelle à l’université...Un immeuble à l’image de la ville, qui s’arrange avec la misère parce qu’il n’y a pas le choix, qu’il faut vivre et protéger les enfants. Le squat est devenu à Marseille une façon comme une autre de se loger, parce que les loyers sont inaccessibles même pour les salariés, parce que la pauvreté augmente, et que la spéculation immobilière est devenue une activité aussi populaire que la pétanque. Des immeubles vides et des familles à la rue, une ville incapable de loger ses habitants, voilà l’explication de ce squat.

Immeuble racheté par les fonds de pensions américains, qui louent aujourd’hui des appartements de la rue de la République plus de 1000 euros pour un T5,5 fois plus qu’avant l’achat !! Plus de place pour les pauvres, foutez le camp du centre ville, on ne veut plus de vous ici !

La majorité des familles font partie du Comité Chômeurs et du Collectif des Sans Papiers, et se battent depuis plusieurs mois pour tenter de trouver une issue à cette situation. On savait que la situation ne pouvait pas perdurer ce qu’on voulait c’était trouver une solution humaine. Le combat c’était le relogement et la régularisation des familles sans papiers, et surtout pas d’expulsion sans relogement digne de ce nom.

En septembre, il y eut une rumeur d’expulsion, nous avions organisé une semaine de veille tous les matins à 6h devant l’immeuble avec d’autres organisations et associations. La semaine dernière encore on alertait la préfecture sur l’angoisse des familles, « Mais non il n’y a rien de prévu, on n’est pas au courant ! » Evidemment ces mensonges pour être sûr que personne ne viendrait troubler une expulsion qui rendrait son bien à une société d’investissement immobilier et aiderait le maire de Marseille à « nettoyer » le centre ville.

Rachid à 8h00, ne trouvait pas du tout qu’on l’avait traité « dignement » (dixit Monsieur le Préfet), ni les jeunes mineurs que l’on a menottés avant de les laisser repartir en ayant à peine le temps de prendre leurs affaires pour ceux qui ont pu les récupérer...Enfin ils s’en sortent mieux que les 12 célibataires sans papiers expédiés au centre de rétention d’Arenc.

Mme B a trouvé que les policiers avaient été gentils, mais c’est en pleurant avec ses enfants et les 16 autre familles que je les ai vus partir dans le bus. Pas possible de se parler face à face, et c’est seulement par téléphone et au travers de la vitre du bus, qu’elle m’explique qu’elle ne sait pas très bien où on l’emmène, et me demande d’appeler sa patronne pour lui expliquer qu’elle ne pourra pas venir travailler aujourd’hui.

Une heure plus tard, Mme B me rappelle : « Toutes les familles sont au centre d’hébergement d’urgence de la Batarelle, ils sont en train de prendre le petit-déjeuner, il y a du chocolat chaud et le personnel de la sécurité civile a remplacé celui de la police. Les voix se détendent, mais on commence à réaliser que l’avenir est toujours aussi incertain que la veille et que ces derniers mois. »

10h30, conférence de presse de M.Frémont, le tout en grande pompe, devant le 14 rue Fiocca, sur « le terrain » comme l’affectionne tellement M.Sarkozy. Comme si cet immeuble délabré était devenu un trophée, une victoire de l’Etat sur ses habitants. C’est ridicule ! Une petite visite guidée aux journalistes pour expliquer à quel point il était urgent d’évacuer les murs. On improvise une manif, on sort la banderole, on crie, on montre notre désaccord sur ces manières de faire et le non dialogue. Mais non, rien, le préfet sort, enfonce ses épaules dans son manteau et sans un regard quitte « le terrain ».

Mais les gens dans tout ça ? Et bien les familles en règle seront relogées : Où ? Quand ? personne ne peut répondre, et cette question est presque perçue comme une provocation, « C’est déjà bien qu’on les ait sorties de là », ah bon ? Pour les familles sans papier, les enfants finiront l’année scolaire et ensuite tout le monde sera gentiment ramené dans son pays d’origine. Votre fille est née en France ? Votre fils passe son bac ? Vous avez un travail ? Peu importe ! Et les célibataires les autres ceux qui ne sont pas en prison, et ben, ils se débrouillent, ils ont 12 heures pour trouver un toit.

Je retéléphone à Mme B pour qu’elle puisse transmettre aux autres ce qu’a dit le préfet. Elle tombe des nues, et la panique commence à monter. « Ce n’est pas du tout ce qu’il nous a dit à 6h00 ce matin, il était gentil, il nous a dit qu’il étudierait nos demandes de régularisation, qu’on trouverait des solutions ». On le sent bien, qu’il faut qu’on se rende à la Batarelle. On y va et je découvre cette ancienne école désaffectée, les pièces sont uniquement garnies de lits de camps et des sacs des familles. En bas, une salle fait office de réfectoire, certaines familles sont seules dans une pièce, d’autres sont mélangées. Lorsqu’on arrive les visages s’éclairent, Mme B. se jette dans mes bras et un attroupement se forme. Que va-t-il se passer ? Que vont-ils faire de nous ? Vous allez nous aider ? On en ne sait pas plus que vous, mais bien sûr qu’on va vous aider. En tous les cas, on va tout faire pour pas qu’on vous oublie ici.

Monsieur G. : « Ils nous ont dit qu’on resterait jusqu’à lundi et qu’après on aurait une maison plus près de l’école. » On refait le tour des familles, une à une, et on découvre des nouvelles familles que l’on ne connaissait pas, des familles arrivées il y a peu de temps au 14 rue Fiocca.

Au centre d’hébergement de la Batarelle, il y a donc 16 familles composées de 34 enfants et 29 adultes. Six de ces familles sont en situation administrative irrégulière, et tous les enfants en âge d’être scolarisés le sont.

Aujourd’hui, Mme B me téléphone paniquée parce qu’on leur a dit que les enfants n’iraient pas à l’école demain, sur demande du Préfet. « Tu crois qu’il va nous renvoyer en Algérie ? Pourquoi les enfants ils peuvent pas aller à l’école ? Ils ont déjà raté vendredi, et ici on est loin de tout on a rien, même pas la radio ou la télé, on est au courant de rien. On nous dit rien. J’ai peur ! »

A marseille, dimanche 20 novembre.
Valentine, Comité Chômeurs CGT 13


En réalité l’urgence dont s’est prévalue le préfet pour faire cette opération de nettoyage n’est pas du tout celle liée à l’état de l’immeuble car il y a dans la même rue et dans les rues voisines des immeubles au moins aussi délabrés, insalubres et dangereux, où les locataires paient des fortunes à des propriétaires véreux et sur lesquels on ne cesse d’alerter la préfecture en vain. Non l’urgence c’est que Lone Star était pressé de récupérer l’immeuble, voilà la vraie urgence, les marchands de sommeil peuvent dormir tranquilles...



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