Quelques vérités sur Alvaro Uribe

mercredi 23 janvier 2008
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par Nicolas Joxe
LE MONDE | 14.01.08

Difficile de ne pas réagir à l’article de Jacques Thomet "La vérité sur les
FARC sort enfin" (Le Monde, 9 janvier). Pour qui connaît un tant soit peu la situation colombienne, sa lecture ne peut que provoquer stupeur et colère.

Dressant un portrait particulièrement élogieux d’un président colombien qui
aurait tout tenté pour libérer les otages aux mains des FARC, l’auteur y
lance des accusations contre la famille d’Ingrid Betancourt.

Selon cet ancien directeur de l’AFP en Colombie, le président Alvaro Uribe
Velez aurait été victime d’une opération de « diabolisation » orchestrée par
le gouvernement et les médias français. La famille d’Ingrid Betancourt est
accusée d’avoir constamment « vilipendé » le président colombien tout en
dédouanant la guérilla de sa responsabilité dans les enlèvements de civils.
Qui peut croire que la famille d’Ingrid Betancourt n’a jamais condamné la
cruauté et l’injustice des FARC ? Tout au long de ces années, les proches de l’ancienne sénatrice franco-colombienne ont toujours dénoncé cette pratique abjecte des enlèvements. Les FARC ont depuis longtemps perdu tout crédit politique en généralisant les kidnappings.

Personne ne conteste cette dérive criminelle de la guérilla, qui commence
dans les années 1980 quand elle décide de se financer grâce à l’argent du
trafic de drogue qui inonde le pays. Les FARC se coupent alors du reste de
la société colombienne, leur projet révolutionnaire laisse place à une lutte purement militariste. Ce combat pour accroître leur emprise territoriale s’accompagne dès lors de violations massives des droits de l’homme.

Aujourd’hui, personne ne défend sérieusement la vision d’une guérilla
« romantique » en Colombie. L’épisode du petit Emmanuel est un exemple
supplémentaire du cynisme dont est capable ce mouvement. Cette vérité sur
les FARC n’a donc jamais été occultée, comme le prétend Jacques Thomet, qui
tente de faire apparaître le président colombien comme un démocrate
exemplaire, victime des mensonges des FARC relayés à l’étranger par la
famille Betancourt et les autorités françaises.

Mais cette présentation de la situation colombienne, véritable panégyrique
pro-Uribe, ne résiste pas à l’examen. Pour s’en convaincre, il faut revenir
sur le parcours du président colombien. Car, contrairement à la thèse
qu’avance Jacques Thomet, la violence politique qui ravage la Colombie ne se résume pas aux seules FARC. Depuis vingt ans, sous prétexte de lutter contre la guérilla, des milices paramilitaires d’extrême droite ont commis des crimes de masse contre la population. Ces derniers mois, des fosses communes ont été découvertes dans toutes les régions du pays. Le procureur général de Colombie a affirmé qu’elles pourraient contenir les restes de près 10 000 civils assassinés par ces groupes paramilitaires.

Leaders populaires, syndicalistes, juges, défenseurs des droits de l’homme,
journalistes : les paramilitaires se sont attaqués à toute forme
d’opposition politique ou sociale avec une cruauté inouïe. La presse
colombienne a révélé comment les chefs paramilitaires ont généralisé la
torture en formant leurs hommes à démembrer vivantes leurs victimes.

Les derniers rapports d’enquête d’Amnesty International, de Human Rights
Watch ou de la FIDH montrent comment les forces de sécurité colombiennes ont encadré, coordonné, voire participé, aux massacres paramilitaires. Les
témoignages des victimes sont concordants, massifs, accablants. Des
officiers supérieurs de l’armée ont « sous-traité » aux milices le soin de
mener cette guerre « sale » en toute impunité.

Mais les paramilitaires ne se sont pas cantonnés à ce travail de répression, ils ont bâti une redoutable organisation mafieuse qui contrôle l’essentiel du trafic de cocaïne vers les Etats-Unis et l’Europe. En s’infiltrant dans l’appareil d’Etat, les paramilitaires ont pu faire prospérer leur trafic et généraliser le détournement de fonds publics grâce à la complicité d’une partie de la classe politique au pouvoir.

Or ce qu’omet de dire Jacques Thomet dans son article, c’est que la carrière du président Uribe est étroitement liée à cette expansion du
narco-paramilitarisme. Dans un rapport de la DIA (Defense Intelligence
Agency) datant de 1991, les services de renseignement militaire américains
présentaient Alvaro Uribe Velez, alors sénateur au Congrès, comme un
"politicien collaborant avec le cartel de Pablo Escobar aux plus hauts
niveaux du gouvernement". Quelques années plus tard, en tant que gouverneur
de la région de Medellin, Alvaro Uribe Velez autorise la formation de
coopératives de sécurité privée servant en réalité de couverture légale à
des groupes paramilitaires peuplés de tueurs de la mafia. Dans son article,
Jacques Thomet écrit que le père du président colombien a été abattu par les FARC. Certes, mais pourquoi ne mentionne-t-il pas que ce dernier était lié à certains parrains de la drogue du cartel de Medellin, que l’on a retrouvé un hélicoptère appartenant à la famille Uribe dans un immense laboratoire de cocaïne ?

Pourquoi ne pas rappeler que l’ancien chef des services de renseignement, un proche du président Uribe, est actuellement détenu pour sa collaboration
active avec les paramilitaires ? Pourquoi omettre le fait que les
paramilitaires ont joui du soutien de larges secteurs de la classe politique colombienne ? Cette année, malgré les menaces, les juges de la Cour suprême ont ordonné l’arrestation de quatorze députés et sénateurs. Tous sont des proches du président Uribe. Ils sont accusés d’avoir truqué des scrutins électoraux, ordonné des assassinats et servi les intérêts des groupes paramilitaires depuis le Parlement.

Depuis 2005, le président Uribe a tout mis en oeuvre pour parvenir à une
amnistie générale des paramilitaires en adoptant la loi dite de justice et
paix. Cette législation prévoit, en effet, pour les responsables de ces
crimes contre l’humanité des peines dérisoires en échange de leur
démobilisation. La situation colombienne est complexe, sa violence,
multiforme, parfois difficile à décrypter. Mais présenter la guérilla comme
le « diable » et tenter de blanchir un président colombien compromis dans
l’entreprise criminelle du paramilitarisme est quelque chose d’inacceptable.

Exiger la libération d’Ingrid Betancourt et de tous les otages retenus dans
des conditions inhumaines par la guérilla ne peut servir à exonérer l’Etat
colombien de sa responsabilité dans le déchaînement de violence existant
dans le pays.

Nicolas Joxe, réalisateur, est l’auteur du documentaire "Ils ont tué un
homme. Crimes paramilitaires en Colombie". (Diffusion Arte 2005.)

Transmis par Jean Paul




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