Le NON de Raoul Marc Jennar

vendredi 2 avril 2004
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Mosset, 2 avril 2004

ELECTIONS EUROPEENNES : S’ENGAGER (II)

Le 1 février, j’ai diffusé un message appelant à s’engager lors des élections européennes. J’ai reçu un très grand nombre de réactions enthousiastes et quelques expressions de scepticisme. Maintenant que les élections cantonales et régionales sont passées, il est temps de préciser la démarche.

1. La grande particularité du scrutin européen

Les élections européennes ont des implications totalement différentes des élections nationales, régionales, cantonales ou communales. On ne vote pas, indirectement, pour un pouvoir exécutif. On vote pour une assemblée. Rien de plus. Il n’y a pas de conséquences non voulues, voire fâcheuses d’un choix donné sur la composition ultérieure de l’exécutif. Donc, pas question d’ invoquer la nécessité d’un « vote utile ».

Par contre, par le vote, on peut envoyer un message de soutien ou de désaveu aux politiques suivies par les institutions européennes qui conditionnent aujourd’hui l’essentiel de nos vies.

L’élection du Parlement européen est, actuellement, celle qui offre la liberté de choix la plus grande, dégagée de toute contingence extérieure au choix d’un projet et du candidat qui le porte. C’est même le scrutin qui permet de voter au moins autant pour un projet que pour un candidat ou un parti. Sera affirmée l’orientation qui aura été choisie sans qu’elle soit altérée par la suite par des choix d’appareils.

Il est dès lors possible d’envoyer au travers de ces élections européennes du 13 juin un message très clair et d’indiquer l’Europe qu’on veut et l’ Europe qu’on ne veut pas. Cette occasion doit être saisie.

2. Les réalités de la « construction » européenne

Il me semble impossible, pour un chercheur, de rester indifférent en face des résultats de ses recherches. Sans a priori, j’ai étudié les politiques européennes proposées depuis 1999 par la Commission de Bruxelles et soutenues par les 15 gouvernements pendant la même période ; j’ai suivi les travaux du Parlement européen où j’ai d’ailleurs pris la parole à plusieurs reprises lors d’auditions. Tous mes travaux m’amènent à un quadruple constat
 :

1. plus la « construction » européenne avance, plus la souveraineté des peuples et la démocratie s’étiolent ; 2. plus la « construction » européenne avance, plus la casse sociale progresse ; 3. plus la « construction » européenne avance, plus les Européennes et les Européens sont soumis aux ravages de la mondialisation néolibérale ; 4. le projet de Constitution européenne va légaliser, renforcer et pérenniser cette triple évolution.

Ce sont les conclusions d’une analyse que je viens de terminer et qui paraîtra le 21 avril dans un petit livre intitulé « Europe : la trahison des élites ». Je partage le constat de Pierre Bourdieu : la « construction » européenne, c’est d’abord une destruction sociale.

3. Les promoteurs de l’Europe des marchés et des marchands

Qui porte la responsabilité de cette Union européenne qui détruit l’Europe que nous voulons ? Il suffit d’examiner la manière dont les groupes politiques se sont exprimés lors des votes au Parlement européen. La réponse, alors, ne souffre pas la moindre contestation.

- la droite. Elle est regroupée dans plusieurs formations politiques : la plus importante (235 députés) s’appelle Parti Populaire Européen (PPE). On y retrouve l’UMP et l’UDF aux côtés des chrétiens-démocrates (allemands, autrichiens, belges,.) ainsi que des conservateurs britanniques. Une autre formation de droite regroupe les libéraux (53) ; ces deux groupes sont aux ordres de l’UNICE, le MEDEF européen ;

- la social-démocratie, le Parti Socialiste Européen- PSE (175) : depuis 1979, il s’est allié au PPE pour le partage des postes de responsabilité au sein du Parlement ; une tradition s’est installée de dépôt en commun de propositions de résolution qui soutiennent systématiquement les politiques néolibérales de la Commission. Quelques parlementaires belges (Dehousse, De Keyser, Van Lancker, Zrihen) et 6 (Carlotti, Désir, Ferreira, Gillig, Hazan,
Roure) sur les 18 députés européens français sont totalement marginalisés au sein de ce groupe parce qu’ils défendent des positions plus authentiquement socialistes ; leur résistance, pour héroïque qu’elle soit, est sans effets. Le PSE soutient le projet de Constitution européenne. Quant au PS français, après avoir soutenu sans faille le Commissaire social libéral Pascal Lamy, il lance cette proposition trompeuse consistant à réclamer pour le Parlement européen issu des prochaines élections des pouvoirs constitutionnels ; ce qui est juridiquement impossible, sauf à obtenir avant le 13 juin, un traité entre les 25 gouvernements qui irait dans ce sens ; ce qui est, et les socialistes français le savent, politiquement impossible. Une tromperie de plus pour dissimuler des divisions internes ;

Les groupes politiques qui précèdent sont les principaux promoteurs de l’ Europe adémocratique, asociale et néolibérale qu’on nous inflige.

- trois petits groupes se situent aussi à droite ; il s’agit du groupe Union pour l’Europe des Nations présidé par Charles Pasqua (23), du Groupe pour l’ Europe des démocraties et des différences (18) où on retrouve pas mal d’élus d’extrême droite et du groupe des non inscrits (32) qui compte lui aussi un grand nombre de personnages à la droite de la droite ; les votes des parlementaires de ces trois groupes sont assez incohérents, mais peu combattent le néolibéralisme.

- un groupe politique laisse interrogateur : les Verts (44) : tout a long de la législature qui s’achève, plusieurs parlementaires, moins médiatiques que le bruyant Cohn-Bendit, ont abattu un travail considérable dans des dossiers, très sensibles pour les altermondialistes, comme l’OMC, l’AGCS, le brevetage du vivant, les OGM, le nucléaire, l’accord de Cotonou, l’ espionnage industriel américano-britannique du réseau Echelon ; ils se sont bien battus pour dénoncer les politiques de la Commission. Mais aujourd’hui, ils soutiennent le projet de Constitution qui consolide les politiques qu’ ils ont combattues.

En face de ceux qui soutiennent cette Union européenne qui détruit l’idéal européen, on trouve le Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne/gauche verte nordique (49). Ce groupe réunit des parlementaires provenant de partis différents qui sont à la gauche de la gauche et qui combattent sans ambiguïtés les propositions néolibérales et rejettent le projet de Constitution. 4. L’alternative

Face à l’Europe qui se fait, avons-nous le droit de nous contenter d’une condamnation ? Avons-nous le droit de nous limiter à la protestation ?

L’union des peuples d’Europe est indispensable si on veut protéger leur dignité, leur identité, leur diversité et une conception commune des rapports humains, des rapports sociaux, du rôle des pouvoirs publics garants des droits individuels mais aussi de ces droits collectifs qui comportent tout à la fois des droits sociaux et des droits environnementaux. Face à l’ empire américain qui tend à imposer partout son modèle, il n’y a pas d’autre défense que l’union.

L’Europe est indispensable. Une autre Europe que celle qu’on nous impose depuis 50 ans et qui ne vise qu’à nous aliéner aux Etats-Unis. Il faut la rendre possible. Il faut proposer une alternative crédible à ceux qui font triompher une vision individualiste et marchande de l’Europe.

Que se crée, à la gauche du PS, un front citoyen pour une autre Europe, rassemblant militants organisés dans des partis, des syndicats et des associations, mais aussi des citoyens déterminés à ne pas subir plus longtemps la restauration conservatrice irréversible que représente l’ actuelle « construction » européenne.

L’enjeu est trop important : la force transformatrice du peuple de gauche rassemblé ne peut plus être segmentée, réduite et neutralisée par le sectarisme et la bureaucratie des appareils. Il est encore temps de dépasser les divisions qui ont fait tant de mal à la gauche de gauche et désespéré tant de militants. Il est encore temps pour créer l’évènement du scrutin européen : une alternative de gauche européenne crédible et forte.

Un message clair et fort doit être envoyé le 13 juin. Sa clarté et sa force dépendent de nous, du choix que nous ferons et du nombre qui l’exprimera.

Il faut dire non à l’Union européenne telle qu’elle est. Il faut désavouer la Commission européenne, instrument de la toute puissance technocratique, moteur de la destruction sociale et propagateur des nuisances. Après avoir désavoué Raffarin, il faut désavouer le socialiste Pascal Lamy. Les mêmes politiques doivent connaître les mêmes sanctions.

Dire non au projet de Constitution, dire oui à une Europe citoyenne et populaire dépend d’abord de nous.

Raoul Marc JENNAR
Chercheur militant
7, place du Château
66500 MOSSET



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