Rouge Midi : Depuis plus de 10 ans, dans l’ensemble du secteur public, le critère de rentabilité a peu à peu pris le pas sur l’objectif d’efficacité sociale qui prévalait à la mise en place des services publics à la Libération. Comment cela s’est-il traduit dans ton secteur d’activité ?

Georges:Tout d’abord une question générale de fond. Gérer les transports urbains suppose de s’adapter en permanence aux besoins de la population. Ainsi à Marseille de moins en moins de gens partent en congés, il faut en tenir compte pour les rotations des week-ends et des vacances scolaires. Loin de faire ce travail d’anticipation et d’adaptation la direction de la RTM a laissé pourrir la situation au point que par moment le transport des marseillais s’apparente plus au transport de bétail ou d’anchois qu’à un transport public moderne et confortable. Il n’y a, eu ces dernières années aucune volonté de mettre en place une offre supérieure de transport.

Autre exemple, celui de l’accueil en station. Après la grève de 1995 nous,nous sommes battus car la RTM voulait supprimer 110 agents de station. Ces derniers assuraient une présence humaine, pouvaient intervenir en cas de problème, au passage des barrières d’accès aux quais. C’était à la fois mieux pour le public et mieux pour le personnel qui avait un statut RTM.

De façon générale nous nous sommes toujours battus contre les mesures de privatisation prises contre la régie et il n’y a jamais eu de volonté d’écouter ni de la direction, ni de la mairie.
La bataille actuelle pour un tramway 100% RTM en est une autre illustration.

Rouge Midi : Justement sur cette bataille, peux tu dire quelques mots ?

Georges : oui bien sur. Tout d’abord, si nous avons tenu 45 jours, non pour des questions de salaires ou d’emploi immédiat, mais pour l’idée que l’on se fait du service public, c’est à cause de tout ce qui s’est fait en amont.

Le 24 mars Gaudin a voulu nous avoir sur 2 points.

  Il a fait voter la suppression de la possibilité pour les bus RTM de sortir de Marseille.
  Il a enlevé le tramway du champ d’exploitation de la RTM.

Au fond, avec l’exploitation privée du tramway, comme celui-ci double à 50% la ligne du métro, les pertes de recettes du public vont aller au privé. Et nous, depuis le mois de mars, nous avons mené une guerre idéologique sur l’idée que la RTM doit être moteur du transport intercommunal, en articulation avec la SNCF partout où cela est possible.
Quand la direction de la RTM a écrit à tous les salariés à leur domicile pour vanter les mérites de la DSP nous, nous avons envoyé le bulletin économique du CE, où chaque syndicat a donné ses raisons de refuser cette fameuse DSP.
Nous avons mené une bataille acharnée quotidienne sur les bus, dans les dépôts, dans les bureaux. Nous n’avons laissé aucun argument de côté et je crois, que l’on peut dire, qu’on a écouté chaque salarié et engagé avec lui une discussion de fond sur cette question de la privatisation et comment la combattre. En septembre les traminots disaient : « quand est ce qu’on part ? ». La date de clôture de l’offre pour la DSP était le 18 octobre, nous avions donc prévu notre mouvement en tenant compte de cette date. Puis le 4 est arrivé et naturellement nous avons avancé la date de la grève.
Quand nous sommes partis en grève en s’appuyant sur le 4 octobre nous savions tous que ce serait long et difficile.

Et les salariés en avaient bien conscience. C’est ce qui explique que bien que Gaudin n’ait pas (encore !) retiré sa DSP, il n’y a chez les traminots ni abattement, ni découragement.
Nous avons fait beaucoup d’adhésions depuis la fin du conflit, et si la forme de lutte change, la détermination reste intacte. C’est drôle quelques fois, je me dis qu’il y a peut-être plus de découragement à l’extérieur de l’entreprise que chez nous. Nous, depuis la reprise, nous avons prévu de distribuer 30 000 tracts, de coller des affiches par milliers, la lutte continue...
Juste un mot quand même pour dire que, justement parce que nous en sommes là, la solidarité financière prend un relief particulier.

Rouge Midi : Le statut et les conditions de travail du personnel ont- ils été affectés par cette transformation radicale de la nature de l’entreprise ?

Georges : Si on prend l’exemple des agents d’accueil aujourd’hui pour une part ce sont des sociétés privées qui emploient des maîtres chiens payés aux lance-pierre...
Sur le tramway, avec l’arrivée de la CONNEX, un chauffeur de bus ne pourra pas postuler pour être chauffeur de tramway. Ils vont donc recruter de l’extérieur pour pouvoir introduire une forme de double statut.

Rouge Midi : Quelles conséquences pour le service rendu ?

Georges : Sur 500 bus aux heures de pointes la RTM prévoit de supprimer 100 bus. Cela se passe de commentaires !
En plus avec le tramway la RTM va rabattre des lignes de bus sur métro et tramway au lieu de les redéployer. Ils économisent sur les lignes (entretien, chauffeurs...) au détriment de la réponse aux besoins de transport en commun.
Au total avec le tramway c’est moins de Km de transport en commun offert aux marseillais.

Rouge Midi : Quel contenu donnerais-tu à la notion de « service public digne de notre temps » ?

Georges : Je veux redire que nous ne sommes pas écoutés sur ce point. Depuis des années nous disons qu’il faudrait prolonger le métro (ou pour quoi pas un tramway !) vers l’Estaque, Notre Dame Limite au Nord, Luminy et les hôpitaux sud...
Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit sur l’interaction nécessaire entre RTM et SNCF mais plus largement, si on voit ce qui ressort de Kyoto, si on prend en compte les considérations énergiques et écologiques, la question du développement de transports en commun propres et gratuits est posée pour demain.
Moi quand je pars dans les Alpes a 150 Km d’ici s’il y avait des transports pratiques et peu onéreux je préférerais les prendre plutôt que de prendre la voiture !.....