Pourquoi je fais partie des initiateurs de l’appel « Une crise de plus une crise de trop. »

vendredi 4 avril 2008
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Par un appel paru simultanément dans plusieurs organes de presse [1] un collectif européen de personnalités [2] annonçait le 26 mars le lancement sur le site stop finances d’une pétition internationale intitulée "Une crise de plus, une crise de trop !"

Jean-Marie Harribey dans "Politis", n° 995 du 27 mars 2008 explicitait les raisons de cet appel qui a recueilli à ce jour plus de 16000 signatures :

La crise financière confirme les analyses et les pronostics les plus pessimistes. C’est la plus grave crise depuis la seconde guerre mondiale, dixit Alan Greenspan, ancien président de la FED ! Est-ce étonnant ? Elle est l’aboutissement de l’évolution du capitalisme vers sa logique la plus pure et en même temps la plus sauvage : rendre de la valeur aux actionnaires, finalité suprême de la libéralisation du mouvement des capitaux, de la déréglementation, de la prolifération des produits financiers, de la titrisation et de la dépolitisation des banques centrales pour qu’elles servent mieux les marchés financiers.

La planète financière, dont la prétendue autonomie par rapport au système productif ne visait qu’à dissimuler l’extraordinaire retournement du partage de la richesse produite en faveur du capital, est ramenée sur terre. Pour s’être illusionné sur la montée infinie de l’immobilier et avoir cru soutenir une croissance économique, non par la hausse des salaires des pauvres, mais par la magie du crédit à taux variable qui leur était consenti, le système bancaire américain a plongé l’ensemble du système bancaire et financier mondial dans le gouffre, et peut-être l’économie elle-même, c’est-à-dire au bout du compte ceux qui vivent de leur travail.
Durant vingt-cinq ans, la courbe du chômage a suivi celle des dividendes.

Le laminage de la protection sociale (assurance maladie et retraites) a pour but de drainer une épargne plus abondante vers des marchés ayant soif de liquidités. Le délitement des droits sociaux et du droit du travail rend la main d’œuvre plus malléable car plus insécurisée. Le FMI l’avait déclaré : « la retraite par répartition crée trop de sécurité dans le corps social ». Les patronats n’ont plus qu’à pousser leur avantage : « travailler plus pour moins que rien ». La financiarisation de l’économie est donc la cause de la dégradation de la condition salariale et aussi sa conséquence car il faut bien recycler tous ces profits distribués !
Nous disons : ça suffit. Stop à la spéculation, à l’asservissement des sociétés à la finance, à la marchandisation du monde, à la privatisation des profits et à la collectivisation des pertes. Nous proposons une pétition européenne ouverte à tous les citoyens, toutes les associations, tous les syndicats et tous les partis pour lesquels la notion d’intérêt général a encore un sens. Nous commençons par exiger l’abrogation de l’article 56 du Traité de Lisbonne qui interdit toute restriction aux mouvements des capitaux. C’est un acte politique à partir duquel nous voulons montrer que des solutions existent pour retrouver la maîtrise de l’avenir.

D’abord, remettre le système bancaire sous contrôle public, et notamment la Banque centrale européenne, au service de l’activité utile et de l’emploi, car on voit bien que les banques centrales voguent de Charybde en Scylla : ou bien elles restreignent le crédit pour juguler l’inflation et elles cassent l’économie ; ou bien elles le facilitent, et aussitôt les bulles repartent puisque les fonds spéculatifs empruntent pour jouer sur l’effet de levier et s’accaparer les fleurons de l’industrie.
Ensuite, limiter drastiquement les revenus financiers par une fiscalité suffisamment élevée pour à la fois dissuader les actionnaires de renforcer en permanence l’exploitation du travail et leur enlever la majeure partie de leur pouvoir dans les entreprises.

Nous en sommes arrivés à un point où l’aggravation des inégalités n’a d’égale que l’arrogance des puissants, dont la seule conscience est celle de leur classe. Comme ils n’entendront pas spontanément raison, au vu de leurs déclarations lénifiantes sur la capacité des marchés à s’auto-réguler, qui seraient presque risibles si elles n’étaient insultantes pour ceux qui pâtissent de leurs frasques, la seule voie possible est d’ordre politique : l’intervention des citoyens est désormais indispensable.

Rouge Midi a interrogé un des initiateurs de l’appel, Renato Di Ruzza :

Rénato peux-tu rapidement te présenter ?

R.M. Je suis économiste, professeur des Universités, et j’ai un parcours relativement atypique pour un universitaire puisque d’une part j’ai collaboré longtemps à l’Institut de recherche confédéral de la CGT (de 1982 à 2002) où j’ai assumé les fonctions de coordonnateur des recherches, et que d’autre part j’ai quitté les facultés de sciences économiques en 1997 pour occuper un poste à l’université de Provence, dans une équipe pluridisciplinaire qui mène des recherches et effectue des enseignements dans le domaine du travail et des activités humaines.

Qu’as-tu observé qui t’a mené à faire parti du collectif initiateur de cette pétition ?

R.M. Il y a deux raisons qui m’ont conduit à accepter de faire partie de ce collectif. La première renvoie à mes doutes, pour ne pas dire plus, quant à la pertinence de la construction européenne telle qu’elle est menée depuis un quart de siècle : fondée sur le libéralisme et le monétarisme les plus durs, non seulement cette Europe n’apporte rien au travailleurs (depuis longtemps on nous affirme que « l’Europe sociale » est pour bientôt, mais on ne voit toujours rien venir), mais elle n’est même pas en mesure de s’opposer aux stratégies mondiales des grandes firmes transnationales qui saccagent la planète, et créent la misère et le chômage partout dans le monde.

C’est la raison pour laquelle je me suis opposé à l’adoption du Traité de Maastricht au début des années 1990, et que j’ai fait partie des « 200 » qui ont lancé « l’appel » contre le projet de Constitution européenne en 2005. Quand on pense que sous l’impulsion de Sarkozy, cette « constitution », que les citoyens français avaient nettement rejetée, nous est imposée sous une forme à peine édulcorée, c’est révoltant et cela exige que nous en montrions les conséquences les plus dangereuses. La seconde raison en découle directement : la crise financière que traverse le monde capitaliste aujourd’hui trouve ses origines dans la possibilité qu’ont les capitaux de se déplacer sans limites au niveau mondial pour se rentabiliser dans les meilleures conditions.

Et c’est cette possibilité que le Traité de Lisbonne (nouveau nom du Traité constitutionnel européen) avalise, en interdisant toute entrave aux mouvements internationaux des capitaux. Si cela était maintenu, cela voudrait dire que les crises financières vont se multiplier (et on voit, par exemple avec le « plan de rigueur » qui n’ose pas dire son nom présenté par le gouvernement français, les conséquences que ça peut avoir sur le niveau de satisfaction des besoins et sur le pouvoir d’achat des travailleurs), et en plus que les pouvoirs élus « démocratiquement », tant au niveau national qu’européen, se résignent à ne plus être en capacité d’agir pour juguler les causes des crises. C’est pour moi quelque chose d’incompréhensible et d’inadmissible.

Quel est son but ? Qu’attends-tu vraiment d’elle ?

R.M. Dans ce cadre, l’objectif de notre pétition est d’attirer l’attention des citoyens, à partir de l’exemple concret de la crise financière actuelle, sur les liens qu’il faut faire entre leurs difficultés en termes d’emploi et de pouvoir d’achat notamment et les dispositions qui nous sont imposées par le Traité de Lisbonne. Nous avons choisi d’en faire une pétition européenne, appelant tous les citoyens européens à signer (et pas seulement les économistes), en espérant une certaine « prise de conscience » à ce niveau. Quel que soit son résultat (je doute qu’elle parvienne à faire supprimer l’article sur la liberté des mouvements de capitaux, tant nous devons « ramer à contre courant »), elle aura le mérite d’engager le débat et de montrer qu’il n’y a pas de fatalité dans les turbulences actuelles, mais des choix politiques que l’on peut contester.

Pour signer la pétition cliquer ici


Entretien réalisé pour Rouge Midi par Guillaume Vinçonneau


[1L’Humanité, Le Monde Diplomatique, Politis, Là bas si j’y suis, Flamman (Suède), Trybuna Robotnicza (Pologne), Publico (Espagne), Il Manifesto (Italie), Die Tageszeitung (Allemagne).

[2Elmar ALTVATER (Allemagne)
Philippe ARESTIS (Royaume-Uni)
Geneviève AZAM (France)
Riccardo BELLOFIORE (Italie)
Robin BLACKBURN (Royaume-Uni)
Jérôme BOURDIEU (France)
Mireille BRUYERE (France)
Alain CAILLE (France)
Claude CALAME (Suisse)
François CHESNAIS (France)
John CHRISTIANSEN (Suede)
Christian COMELIAU (France)
Laurent CORDONNIER (France)
Jacques COSSART (France)
Thomas COUTROT (France)
Renato DI RUZZA (France)
Gérard DUMENIL (France)
Miren ETXEZARRETA (Espagne)
Marica FRANGAKIS (Grèce)
Jean GADREY (France)
Susan GEORGE (France)
Robert GUTTMANN (Etats-Unis)
Bernard GUIBERT (France)
John GRAHL (Royaume-Uni)
Jean-Marie HARRIBEY (France)
Michel HUSSON (France)
Pauline HYME (France)
Esther JEFFERS (France)
Isaac JOSHUA (France)
Michael Krätke (Allemagne)
Matthieu LEIMGRUBER (Suisse)
Frédéric LORDON (France)
Birgit MAHNKOPF (Allemagne)
Jacques MAZIER (France)
Sabine MONTAGNE (France)
François MORIN (France)
Ramine MOTAMED-NEJAD (France)
André ORLEAN (France)
René PASSET (France)
Dominique PLIHON (France)
Christophe RAMAUX (France)
Gilles RAVEAUD (France)
Catherine SAMARY (France)
Jacques SAPIR (France)
Claude SERFATI (France)
Henri STERDYNIAK (France)
Daniel TANURO (Belgique)
Hélène TORDJMAN (France)
Eric TOUSSAINT (Belgique)
Aurélie TROUVE (France)
Stéphanie TREILLET (France)
Peter WAHL (Allemagne)
Frieder Otto WOLF (Allemagne)



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