Sarkozy et les autres, ou le fond et la forme

mardi 29 avril 2008
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Quand on analyse désormais la politique française qu’il s’agisse de celle du pouvoir ou de celle de l’opposition, il faut se faire une raison : l’essentiel est dans la forme, dans l’art de vendre et de se vendre.

L’homme ou la femme politique doivent jouir d’une couverture médiatique et fabriquer “des coups” qui assurent “la visibilité”. Donc il faut juger les réussites du “marketing” oublier la politique démocratique, idéalement l’ art d’aboutir à des décisions par et pour le peuple. La “démocratie” médiatique est exactement le contraire : décision prise sans le peuple contre ses intérêts, mais qu’on va lui vendre comme le produit dont il ne saurait se passer et qui de surcroît témoigne de l’excellence de l’exercice citoyen, de sa morale civique et lui donne le droit de juger le reste de l’humanité.

Alors partons de la forme, notons d’abord l’emploi du mot « erreur », Sarkozy l’a employé cinq fois en une heure quarante durée de sa prestation télévisuelle, mais pour lui ce sont des « erreurs de communication » qui ont déconcerté les Français les ont rendus mécontents de son bilan.

I. Erreur reconnue dans la forme : le paquet fiscal

Certes après la nuit au Fouquet’s, le séjour sur le yacht de Bolloré cela relevait peut-être de la provocation que d’accorder d’un coup quelques milliards à ceux qui n’en avaient pas besoin. Le président a reconnu modestement : si cela n’a pas été compris c’est de ma faute, je me suis mal expliqué. Changement de style, on passe de l’hypertrophie de l’ego, de l’exhibitionnisme compulsif à la contrition, des nuits d’amour à Disney land à un décor d’ors de la république. Et le landerneau médiatique s’exclame : “comme il a changé”…

La méthode est celle de la publicité fut-elle mensongère, il suffit de répéter une contre-vérité, de ne pas laisser d’espace à qui dit le contraire pour que le mensonge devienne vérité. Et de ce point de vue la conférence de presse menée avec des journalistes tous acquis aux thèses du président était parfaite, comme l’est le système de propagande qui veut qu’en france tous les médias soient détenus par les amis du président et ceux qui ne le sont pas totalement le sont aux mains de la gauche caviar, celle qui jamais ne le contredira non plus sur le fond, lui reprochera simplement de céder sur les vertueux droits de l’homme.

Le chef de l’Etat a estimé que “le problème de la France c’est qu’on ne travaille pas assez”, en critiquant une nouvelle fois les 35 heures Il a mis en avant le dispositif d’exonération sur les heures supplémentaires entré en vigueur au 1er octobre, affirmant que “ça marche” et qu’au dernier trimestre 2007, il y avait eu “28% d’heures supplémentaires en plus”. “Un demi-million d’entreprises donnent des heures supplémentaires à 5 millions de salariés, qui en ont profité. Cinq milliards 500 millions d’euros de pouvoir d’achat ont ainsi été distribués aux Français”, a-t-il ajouté.

Mensonge éhonté qui n’a pas été relevé. par des journalistes fascinés jusqu’à la torpeur : une étude réalisée à la demande du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, le député du PS Didier Migaud a abouti à la conclusion que ce « paquet fiscal » ou loi sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat (TEPA) coûte cher à l’Etat - 14 milliards d’euros en régime de croisière - alors que son efficacité est limitée.

Au cœur de la loi, il y a la détaxation des heures supplémentaires. Le diagnostic de l’étude : “Ce sont au total, 4,1 milliards d’euros que l’Etat dépensera pour qu’une partie des salariés bénéficient de 3,78 milliards d’euros de pouvoir d’achat supplémentaire.” l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) dans sa note de conjoncture du printemps aboutit aux mêmes conclusions. Les gains de pouvoir d’achat sont limités. Ils s’élèveraient, selon l’étude parlementaire, à 719 millions d’euros au dernier trimestre 2007. Une estimation réalisée sur janvier conclut à un accroissement de pouvoir d’achat de 3,78 milliards d’euros par an pour une partie des salariés, et à un coût pour l’Etat de 4,1 milliards. Le volume des heures supplémentaires ne s’est pas accru. [1] Disons brievement que les heures supplémentaires ont concerné les gens qui en étaient déjà surchargés et a accru de fait les inégalités entre ceux qui pouvaient en être bénéficiaires et les autres. Ceux qui en ont réellement bénéficié c’est ceux qui sans offrir un volume plus important d’heures ont pu ne pas en payer la fiscalité, les patrons.

Pour ma part je résumerai ainsi les conclusions des experts : ce sont des mesures qui coûtent très cher à la collectivité, dont le rapport est moins élevé que l’investissement et qui ne profitent au meilleur des cas qu’à une part des français en dégradant un peu plus la vie de tous.
Et tout dans le discours présidentiel est à l’avenant, il s’agit de créer le décor d’une action en faveur de “ceux qui travaillent”, qui veulent s’en sortir et de stigmatiser ceux qui ne le veulent pas. On ne reviendra pas sur les mesures concédées à Martin Hirsh et sur le fait que l’on continue à financer la prime pour l’emploi tout en diminuant la somme prévue. Toujours l’art de faire payer aux pauvres les rares mesures en leur faveur dont on amenuise de fait la portée. Je me permets de vous signaler que cela ressemble au gadget des codes de bonne conduite des entreprises qui revendiquent une “morale” à l’égard de leurs fournisseurs des pays du Tiers monde. Il suffit que le code existe, qui ira regarder ce qu’il en est en réalité. Ce parallèle n’est pas digression, il est nous le verrons au coeur de la méthode.

II. La communication cherche une éthique “vendeuse”

Donc nous avons une politique en crise parce qu’elle ne fait que renforcer l’injustice, parce qu’elle accroît la tendance sur plus de vingt ans à peser sur le travail pour donner au capital. Comment alors même que l’on continue de faire payer aux pauvres les malheurs et les crises engendrées par le capital, comment taxer toujours plus les couches moyennes pour s’attirer la bonne volonté des très riches ?

Le grand jeu de la communication c’est comment vendre une politique aussi inefficace, aussi immorale en inventant une façade morale, [2], celle de la consommation : on consomme sain et vertueux.

L’électeur est un consommateur et il faut un bon publicitaire pour vendre le produit.

Un publicitaire, l’artisan indispensable du politique aujourd’hui ne peut pas vendre n’importe quoi. Un publicitaire « c’est quelqu’un qui s’assure que les marques qu’il défend apportent un vrai service au bon prix et tiennent le discours le plus juste à l’égard du consommateur que l’on sait confronté chaque jour à des problèmes de plus en plus criants. Or cet exercice est bien plus compliqué qu’il y a vingt ans. Car avec l’explosion des médias, notamment électroniques, et l’hypersegmentation des publics, il est devenu très difficile de délivrer le bon message à l’ensemble des « cibles » que nous visons, pour reprendre le jargon du métier » [3]

La seule manière de rassembler des « cibles » hypersegmentatisées selon le jargon du métier (certains sociologues qui confondent aussi analyse et communication parlent de « tribus ») c’est de créer une éthique du produit et de l’entreprise explique Maurice Levy dans le même entretien.

D’où lors de la dernière campagne présidentielle l’utilisation de la morale la plus réactionnaire, celle qui dénonce les fainéants et vante le travail, ou alors ne cesse de faire référence aux droits de l’homme pour vendre un produit fabriqué dans les conditions les plus hasardeuses, et entraînant les injustices les plus flagrantes.

Sarkozy et Ségolène ont tenté de se vendre sur les mêmes bases, Sarkozy a été le meilleur, le plus convaincant dans le style. Il est vrai qu’il est rare de manifester une telle incompétence au plan international et en matière de mesures concrètes de battre la crème de l’”ordre juste”, ou de la démocratie participative comme l’a fait la candidate socialiste. Elle a réussi en peu de temps à ne plus conserver que ceux à qui Sarkozy donnait des boutons et encore les médias avaient pour plus de sécurité réussi à diviser en deux le courant d’antipathie pour Sarkozy, entre elle et François Bayrou.

La grande erreur de Sarkozy a été sans doute de prendre la débâcle organisée de l’adversaire pour son propre triomphe et de jouir de la déconfiture du parti socialiste au point de ne plus penser qu’à l’accélérer par la débauche de tous ceux qui se voyaient un destin national. Non seulement il a hérité d’un certain nombre d’incapables imbuvables, mais il a aggravé le désarroi de son propre camp. Et quand le produit Sarkozy est très vite apparu mensonger, quand son propre camp s’est effondré comme un soufflé trop tôt sorti du four, il a continué, ils continuent tous, à chercher la recette de markéting qui les sauvera du désastre.

Il ne s’agit pas seulement de Sarkozy, c’est une méthode adoptée par tout le politico-médiatique, celle qui veut que désormais on gouverne l’oeil sur les sondages d’opinion, en regardant si le “coup” a marché… Et pour en comprendre le fonctionnement, il faut suivre un peu plus avant la conférence de presse : Nicolas Sarkozy a aussi reconnu “des couacs” dans les déclarations contradictoires des membres du gouvernement, attribués à la jeunesse de certains ministres. Est-ce un hasard si c’est sur la question des droits de l’homme que ce sont multipliés les “couacs”, est-ce la faute des ministres ou à l’incohérence des slogans par rapport à la réalité ?

Quand les droits de l’homme sont devenus un simple emballage pour vendre une politique on aboutit également aux enfants de l’arche de Zoé ou à l’opération Tibet de Delanoé. Difficile à concilier avec les exigences économiques élémentaires ou le sérieux minimal en matière de politique étrangère.

Vous en voulez la preuve ? Observez ce qui s’est passé et que pas un journaliste sur le plateau toujours en proie à la fascination proche de la torpeur n’a relevé : pourquoi diable Nicolas Sarkozy s’est-il obstiné à répéter qu’il ne suffisait pas d’un contrat de travail pour devenir français ? Personne ne lui a, à ma connaissance, demandé la nationalité française pour les sans papiers, simplement des papiers en règle pour les travailleurs étrangers qui ont un emploi.

Mais c’est ça la logique droit de l’hommiste comme papier d’emballage, assorti de l’appel à la méritocratie la plus réactionnaire. Est-ce que vous mesurez comment l’idée de “mérite” se substitue à l’idée de droit tout naturellement ? Et bien réfléchissez que tout fonctionne comme ça : un pays pour ne pas être envahi doit faire la preuve que son dirigeant respecte les droits de l’homme à l’occidentale… Voilà ce que j’appelle des glissements sémantiques entre le droit et la publicité.

III. L’autre erreur : rassembler les mécontents

S’il a battu sa coulpe, M. Sarkozy n’en a pas moins maintenu l’intégralité de sa politique sur le fond.
Le chef de l’Etat a écarté le conseil des dirigeants de la majorité qui le pressent de hiérarchiser les “55 réformes” lancées depuis un an au lieu de les conduire toutes en même temps. “Nous sommes dans une société complexe où chaque réforme tient l’autre”, a-t-il expliqué, multipliant les exemples concrets. Le ralentissement économique mondial constitue une “raison de plus pour accélérer”, selon lui.. Bref c’est la vision d’un Attali mais en matière de markéting elle me paraît catastrophique.

En effet, si l’on suit l’analyse de Maurice Levy , le président du directoire de Publicis sur la bonne publicité, le marché est hypersegmenté, et on lui crée une unité fictive sur la « morale » du produit. Ainsi Ikea doit apparaître comme l’entreprise écologique, Nike ne pas utiliser le travail des enfants, et Total ne pas mégoter sur le remboursement des plages polluées. De même l’homme politique français doit dénoncer les immigrés qui viennent manger notre pain et déclarer que la France ça se mérite, dénoncer les chômeurs fainéants qui pèsent sur les travailleurs vertueux, traquer jusqu’à la maternelle les jeunes déviants, prôner le respect des droits de l’homme comme vecteur de la politique étrangère. Personne ne lui demande d’y croire, il faut que la campagne publicitaire, je veux dire électorale permanente soit convaincante.

Oui mais voilà, si la campagne publicitaire électorale unifie sur des valeurs fictives, elle doit aussi diviser les consommateurs, empêcher de s’unifier. En ce sens le modèle est bien Internet, il s’agit de diffuser de la rumeur, et de ne jamais aboutir au moindre collectif d’action même si l’information est juste. L’attitude idéale est celle d’un consommateur enfiévré un jour de solde disputant la bonne affaire à son voisin. Nous transformer tous en concurrents les uns des autres au plan international comme au plan intérieur.

Pour revenir à l’idée de Sarkozy-Attali, tout prendre en même temps. C’est une absurdité, vu que si l’on peut aisément convaincre la majorité des français qu’il sont ruinés par les régimes spéciaux des cheminots, si l’on attaque de partout à la fois on risque fort de rassembler les mécontents et recréer un front uni, au-delà des « tribus » de consommateurs, au-delà des « sectes » post-modernes des bobos parisiens. A ceux là il ne suffira plus de raconter que notre sort, notre avenir politique est suspendu à la défense du dalaï lama, bref les tactiques de sarkozy et autres Delanoe seront inefficaces pour occuper les mécontents.

IV. Heureusement pour Sarkozy, l’opposition reste égale à elle-même, c’est son principal atout

L’ultime chance de Sarkozy réside dans l’état de l’opposition, Ségolène l’a fait élire avec l’aide active de Besancenot, Marie-Georges Buffet et autre Bayrou, heureusement pour lui ils sont toujours là, plus incapables que jamais, plus que jamais à la recherche du moyen qui leur permettrait de convaincre les directeurs des supermarchés de les exposer sur les rayons centraux. Je veux dire de convaincre les directeurs de chaîne de les inviter au 20 heures où ils n’auront pas grand-chose à dire, comme Sarkozy d’ailleurs. Regardez ce qui s’est aussitôt passé : nous avons eu droit à l’invraisemblable Ségolène Royal sur la 2 qui est revenue nous vanter son “ordre juste” et sur TF1 François Hollande venu nous dire sur le fond que Ségolène n’avait pas le droit d’adopter cette stature présidentielle, et que d’ailleurs il était là avec le parti derrière lui pour éviter ce cataclysme.

Est-ce que vous êtes conscients du fait que s’il arrivait malheur à Sarkozy, nous nous retrouverions avec les mêmes, dans les mêmes conditions qui ont conduit à la victoire de Sarkozy. Un peu comme les Etatsuniens se retrouvent peu à peu dans le cauchemar pour la planète qui a conduit à l’élection de Bush. Voilà le véritable drame que refletait cette conférence de presse.

Celui là et le fait que malgré tout jamais un de ces individus ne renoncera à donner des leçons au reste de l’humanité avec cet exquis mélange d’arrogance, d’inculture et de vulgarité qui désormais caractérise le politicien français ,et que nous pauvres Français sommes bien obligés de faire avec….


[1Les services de l’Assemblée ont travaillé, comme le gouvernement, à partir des chiffres de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss, 144 millions d’heures supplémentaires déclarées au quatrième trimestre 2007, 43 millions en janvier 200 et d’éléments fournis par l’Insee. Sur cette base, ils pensent que le nombre d’”heures sup” sur un an sera de 600 millions à 670 millions, un montant bien inférieur aux 900 millions retenus lors de la présentation du projet TEPA au Parlement. Le gouvernement pense qu’il est trop tôt pour extrapoler. Mais il a toutefois pris soin d’infléchir son discours en s’interrogeant en ces termes : “Mais que seraient devenues les heures supplémentaires sans cette loi ?” La réponse est évidemment impossible à donner.

[2en guise de façade morale on ne peut prendre la politique de la production, dont on a vu à propos des entreprises et de leur “code” déontologique qu’il fallait la faire oublier

[3Maurice levy. La pub doit être revue de fond en comble. Entretien paru dans l’Express du 3/4/2008



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