Harold Pinter et le Nobel de Littérature

mercredi 14 décembre 2005
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Le dramaturge britannique Harold Pinter n’a pu, pour des raisons de santé, recevoir en main propre son prix Nobel de littérature à Stockolm, il a envoyé une casette video enregistrée. Dans celle-ci , Harold Pinter a une fois de plus dénoncé « l’invasion de l’Irak était un acte de banditisme, un acte de terrorisme d’Etat flagrant, la preuve d’un mépris absolu pour le droit international ». « Combien de personnes faut-il tuer avant de mériter d’être décrit comme un massacreur et un criminel de guerre ? Cent mille ? »

Cette politique étrangère américaine qu’il proposait de définir ainsi : « Lèche-moi le cul ou je te fais une tête au carré », et qui avec la fin de l’Union Soviétique a perdu sa justification. (1) « C’était le bon temps. Vous pouviez faire le tour du monde pour aider vos amis à torturer et à tuer des gens- des journalistes, des enseignants, des étudiants, des paysans,etc- pour le simple raison qu’ils en étaient. Qu’ils étaient inspirés par eux, qu’ils étaient corrompus par eux. Et, en parlant sans cesse d’eux, vous conserviez et renforciez votre propre pouvoir. Mais une fois tout cela terminé, qu’allez-vous faire ? A partir du moment où vous n’avez plus de bon ennemi bien gras à vous mettre sous la dent, à partir du moment où vous ne pouvez plus dépenser des milliards de dollars en armement, qu’est-ce que vous allez pouvoir bien faire ? »(1)

La première guerre en Irak, à laquelle Harold Pinter s’est opposé violemment a montré que, sans même la justification antérieure de l’Union Soviétique, « l’Empire du mal », la machine continuait son oeuvre de mort :

Réflexions sur la guerre du Golfe, le football américain (1991)

Alleluia !

Ca roule

On leur en a mis plein la gueule.

On leur en a mis plein leur sale gueule de merde

Et on leur a défoncé la tronche.

Alléluia !

Dieu soit loué pour tout ce qui nous arrive de bon.

On leur a fout sur la gueule

Et putain, ils ont mordu la poussière.

Dieu soit loué pour ce qui nous arrive de bon.

On leur a explosé les couilles, on en a fait de la bouillie,

De la putain de bouillie.

On a gagné.

Venez maintenant, je veux que vous m’embrassiez sur la bouche.

Harold Pinter raconte qu’il a écrit ce poème dans un avion et il lui a été inspiré par le triomphalisme, le machisme, les parades de victoire. Il l’a vainement proposé au « London Review of books », au Guardian, à l’Observer, à l’Independant, dans toutes ces publications de Grande Bretagne, il s’est heurté au même refus motivé « par le »langage obscène" qui risquait de faire perdre des lecteurs.

Nous sommes ici au coeur du problème, qu’est-ce qui est obscène ? La réalité ou le langage qui la décrit...

POLITIQUE ET/OU LITTERATURE :

Face au discours pré-enregistré d’Harold Pinter, prononcé d’une voix rauque, les commentateurs, en particulier la dépêche de l’AFP ont déclaré que le dramaturge, récipiendaire du Nobel avait fait plus de politique que de littérature. Un peu à la manière dont les publications auxquelles il s’est adressé pour son poème, l’Observer, en particulier ont justifié leur refus de le publier en arguant « les faiblesses de ce texte en tant que poème », non parce qu’il n’était pas « abouti » mais parce que son langage obscène risquait de rebuter un lectorat frileux... La « politique » serait alors l’ultime obscénité d’une société libérale et libertaire. (3)

Ce que Pinter définissait comme l’érosion du langage de la liberté. (2) Il expliquait que nous visions dans la fiction d’un pays libre : « Je crois que ce qui est à l’origine de cet état de fait, c’est qu’au cours des quarante dernières années ; notre façon de penser s’est laissé piéger par des structures de langage complètement creuses, par une rhétorique périmée, rancie, mais incroyablement populaire. Cela représente de mon point de vue une défaite de l’intelligence et de la volonté. »(2)

Il suffit de connaître les écrits de Pinter pour savoir à quel point ce qui se joue pour lui est la possibilité d’un langage, d’une écriture face au mensonge, dans lequel on nous oblige de vivre. Le langage, l’écriture, deviennent intolérables parce qu’ils déchirent ce que nous tenons pour acquis depuis toujours que nous vivrions en liberté. Parce qu’il nous confrontent à la réalité, à notre lâcheté de ne pouvoir affronter les crimes et les morts commis en notre nom...

L’accusation contre Washington d’avoir soutenu « toutes les dictatures militaires de droite dans le monde » s’est assortie de la dénonciation de la manipulation « très clinique du pouvoir dans le monde entier, tout en se faisant passer pour une force prônant le bien universel. C’est un geste d’hypnotisme brillant, voire plein d’esprit et très réussi ». Son pays, la Grande Bretagne, « la minable et molle Grande Bretagne », suit les Etats-Unis, comme « un petit mouton bêlant ».

Cela va au-delà de l’Irak, et des invasions guerrières, cela touche à ces conflits de « faible intensité » comme les blocus« où des milliers de gens meurent, mais beaucoup plus lentement que si vous leur aviez lâché une grosse bombe dessus. Cela signifie infecter le coeur même d’un pays, implanter une tumeur maligne et la regarder pourrir tout l’organisme. Vous pouvez ensuite aller vous pavaner devant les caméras en chemise blanche bien propre et cravate de rigueur pour dire que la démocratie a vaincu. »(1)

A cause de ce mensonge, cette mascarade, la matière même de la littérature, le langage, sa structure évoluent parallèlement à la réalité. « La réalité demeure -t- elle essentiellement séparée du langage, inexorable, étrangère, à part, réfractaire à la description ? Une correspondance vitale et précise entre ce qui est notre perception de cette réalité est-elle impossible ? Ou bien est-ce que nous sommes contraints d’utiliser le langage dans le seul but de déformer et d’obscurcir la réalité- de déformer ce qui est, de déformer ce qui se produit effectivement- parce que la réalité nous fait peur ? »(1)

(1) Harold Pinter. Autres voix. Prose, Poésie, Politique 1948. 1998. Buchet/Chastel. 2001. OH ! Superman.p.242 à254.

(2) Harold Pinter. Autres voix. Prose, Poésie, Politique 1948. 1998. Buchet/Chastel. 2001.L’érosion du langage de la liberté. P.239 à 241.

(3) Dans le prolongement de cette réflexion sur Pinter et sur ce qui reste impublible par médias libertaires, il convient de lire un petit opuscule de Pierre Rimbert, Libération de Sartre à Rothschild(.raisons d’agir 2005), qui analyse la manière dont le journal de la contestation maoïste est devenu le chantre du néo-libéralisme derrière le paravent de l’audace libertaire des moeurs...



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