Commerce équitable chez les Indiens Satéré Mawé

vendredi 10 octobre 2008
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Paris, début avril 2008. Claudie Ravel, fondatrice et directrice générale de la société Guayapi Tropical, supervise les dernières corrections d’un livre intitulé Le guarana, trésor des Indiens Satéré Mawé qui doit paraître trois semaines plus tard. En quelque cent soixante pages, les jeunes auteurs, en fait des étudiants qui ont travaillé avec sa société, reviennent sur « les mythes fondateurs, la biodiversité et le commerce équitable » tels que vécus par les Indiens Satéré Mawé, une nation dont les terres sont situées en Amazonas, non loin des villes de Maués, à l’ouest, et de Parintins au nord. Quatre-vingt-sept communautés réparties dans une aire indigène protégée de quelque 780 000 hectares, pour une population totale qui n’excède guère les 10 000 âmes.

C’est sur ce territoire « sacré » que se trouve le sanctuaire historique du guarana, une liane sauvage, que les Satéré Mawé ont domestiquée pour en faire une plante, cultivée depuis des siècles. Seulement voilà, les vertus « énergisantes » du guarana affolent désormais les discothèques de toute la planète. Pour le coup, les grosses sociétés, à commencer par AMBAV et Pepsi, se sont positionnées sur ce marché, s’installant à proximité, transplantant des pieds pour produire industriellement, non sans éveiller chez certains des soupçons de manipulations « génétiques ».

Au risque de dévaloriser ce savoir-faire ancestral… mais aussi de déstabiliser l’expérience menée depuis le début des années 1990 par la société Guyapi, en partenariat avec les Satéré Mawé. « Ils venaient de gagner un procès contre la société Elf qui, en 1981, avait prospecté en violant leur territoire. Les Satéré Mawé ont reçu 500 000 francs [1] de dédommagement. Grâce à cette expérience, l’idée de développer leur propre économie autogérée, sans aucun recours aux subventions, a pu commencer à faire son chemin », souligne Claudie Ravel qui, à la même époque, commence tout juste à vouloir développer une filière de commerce « équitable » autour du guarana. D’autant qu’un nouveau chef, Obadias Batista Garcia, va les « sensibiliser à vivre de la plante dont ils sont les enfants ».

En 1991, s’appuyant sur la nouvelle constitution brésilienne de 1988, le Conseil Général des Tribus Satéré Mawé est créé. Cette instance politique autonome va, entre autres, leur permettre de développer des partenariats économiques alternatifs, sans en référer aux instances fédérales et étatiques, dont ils se méfient. Ne nomment-ils pas la Fondation nationale de l’Indien (Funai), le très controversé secrétariat fédéral à la question indigène qui fut engagé au côté de la filiale brésilienne d’Elf : la Fondation funéraire des Indiens !?

Toujours est-il que dotés d’un cadre politique, les Satéré Mawé vont s’associer à la société Guyapi, qui « malgré les entraves juridico-réglementaires » commercialise dès 1994 vingt kilos de guarana sur le marché européen. « Je n’ai jamais cherché à simplement acheter et vendre. Il faut qu’il y ait une politique derrière… », reprend la « militante » Claudie Ravel. C’est le début d’une expérience de commerce durable en tous points équitables.

Quatorze ans plus tard, les Satéré Mawé ont pu financer des bourses d’études pour les jeunes, dédiant un tiers de leurs revenus aux investissements collectifs. Quant à la société Guyapi, elle importe désormais plusieurs tonnes de guarana, une production bardée de certifications « bio-éthiques » (dont celle créée par les Satéré Mawé eux-mêmes, mais aussi Forest Garden Products ou Ecocert) qu’elle diffuse sur un réseau de commerce « alternatif » comme Slow Food, International Federation Alternative Trade…

Pour un kilo acheté 42 euros, 12 euros reviennent directement aux producteurs indiens. A la base de cet échange vertueux, se trouve un personnage clé, Mauricio Fraboni. Docteur en socio-économie du développement de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, ce cinquantenaire s’est formé dans les mouvances vertes et alternatives de l’Italie des années 1980, à la croisée du tiers-mondisme et de l’écologie politique.

C’est ainsi qu’il a développé un lien avec les Satéré Mawé, devenant leur conseiller spécial pour le « projet warana », le nom authentique du guarana. En 2008, il n’est pas peu fier de dire qu’il est payé par les Satéré Mawé, via l’organisation non gouvernementale (ONG) amazonienne Association de consultance et recherche indianiste d’Amazonie. « Ce sont les Indiens qui possèdent leur outil de production. » Dans sa maison de Manaus, sous un déluge tropical, il dresse un bilan lucide de ses quinze années d’expérience du terrain de l’écologie citoyenne. « La pratique du commerce équitable nous a été plus profitable que son idéologie coloniale : l’avance sur recette, le paiement par anticipation, a permis un autofinancement sans crédit. Le grand défi est de mettre en place dans un délais de temps raisonnable une alternative durable d’échanges non ponctuels. C’est-à-dire de structurer une relation vertueuse entre les communautés et le marché. Et c’est chez les Indiens que j’ai rencontré la personne la plus en phase avec ces choix : Obadias, un leader exceptionnel qui a grandi à Manaus, avant de retourner sur ses terres ancestrales. Avec un projet axé sur trois principes : rachat culturel, équité sociale, ambition écologique. »

En clair : développer un modèle économique qui valorise la biodiversité et favorise le développement socio-éducatif. A cet égard, Mauricio Fraboni constate que les choses, au niveau institutionnel, n’ont guère changé : difficultés pour développer cette filière « propre » à l’international, problèmes de clientélisme politique, même s’il se félicite par exemple de la création récente des Unités de conservation [2]. « D’après mon expérience, l’état d’Amazonas n’est absolument pas pilote ! Toute la filière extractiviste s’est construite par des luttes depuis vingt ans, grâce à des leaders exceptionnels, qui ont permis la légitimation de cette alternative économiquement viable au fil du temps. »

Jacques Denis Le Monde diplomatique octobre 2008

Transmis par Linsay


Jacques Denis
Journaliste.
A lire : Bastien Beaufort et Sébastien Wolf, Le guarana, trésor des Indiens Satéré Mawé, éd. Yves Michel, Paris.


[176 200 euros

[2Lire Jacques Denis, « Le business de la “forêt verte” en Amazonie », Le Monde diplomatique, octobre 2008.



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