L’évolution salariale aux Etats Unis : édifiant !

vendredi 23 décembre 2005
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Trouvé sur « Grain de sable », courriel d’ATTAC

La main-d’Å“uvre américaine bat en retraite devant les forces de la mondialisation qui diminuent leur salaire et leur protection sociale

Par David Streitfeld, Los Angeles Times, octobre 2005
[Michel Thélia, traducteur bénévole, coorditrad@attac.org]

Cette semaine, on a demandé aux travailleurs du fabricant de pièces détachées Delphi Corporation une réduction de leur paye des deux tiers. C’est l’une des concessions salariales les plus radicales jamais réclamée à des employés syndiqués.

En même temps, les travailleurs de General Motors Corporation acceptaient provisoirement, lundi, de financer de leur poche des milliards de dollars pour les primes de leur couverture santé. Les employés de Ford Motor Company et Daimler Chrysler vont certainement devoir faire face à des exigences similaires.

Les forces qui frappent les travailleurs de Delphi et de GM sont des versions extrêmes de ce qu’il advient sur le marché du travail américain où les risques économiques, tels que le chômage et les frais médicaux, jadis largement partagés par les employeurs et le gouvernement, sont désormais directement à la seule charge des familles des travailleurs américains.

Après quatre années de reprise économique, tous les travailleurs américains devraient avoir le vent en poupe. En lieu de quoi, ils sont confrontés à une nouvelle offensive en vue de leur faire abandonner des bénéfices chèrement acquis et d’accepter des diminutions de salaire. Les sociétés expliquent que ces coupes sont vitales pour demeurer compétitif dans une économie de mondialisation croissante.

Dans les dernières semaines, de nombreux cas nouveaux se sont fait jour, ne se limitant pas à l’industrie.

Les travailleurs des 71 grandes surfaces de l’alimentaire de la chaîne Farmer Jack dans le Michigan, ont accepté une diminution salariale de 10% pour rendre plus facile la vente de la firme à un nouveau propriétaire. Des centaines de travailleurs d’une usine de tubes à Auburn, dans l’Indiana, ont approuvé une baisse de 2 dollars sur un salaire horaire de 18 dollars pour garder l’usine ouverte. Les fonctionnaires de police de Wyandotte, dans le Michigan, ont consenti au blocage de leurs salaires durant trois ans et à payer davantage pour leur protection santé.

Jerry Jasinowski, président du Manufacturing Institute at the National Assn. of Manufacturers (Institut de la manufacture de l’association nationale des industriels), a déclaré que de telles concessions allaient devenir simplement monnaie courante.

"Des pilotes de ligne aux travailleurs à la chaîne, les employés doivent contribuer à réduire les prix de revient" a-t-il déclaré. "Nous n’avons plus les moyens de survivre avec les généreuses protections sociales accordées il y a 10 ou 15 ans".

Plusieurs causes expliquent la réduction d’influence des travailleurs, dont un plus grand nombre de demandeurs d’emploi sur le marché du travail et la délocalisation vers des pays de main-d’Å“uvre bon marché tels que la Chine et l’Inde.

Certaines sociétés, en concurrence avec des producteurs rivaux à moindre coût, indiquent qu’elles ne peuvent permettre que de minimes augmentations. Et même pour des firmes florissantes, les primes élevées d’assurance santé sont financées par des fonds qui pourraient être utilisés pour des augmentations.

Selon une récente enquête effectuée par Kaiser Family Foundation et le "Health Research and Educational Trust", seulement 60% des entreprises offrent à leurs employés une couverture maladie, comparé à 66% en 2003 et 69% en 2000.

Les employeurs demandent également aux travailleurs de produire davantage pour le même salaire.

Il en résulte que, pour la plupart d’entre eux, le coût de la vie a progressé plus vite que les augmentations de toute une année. La semaine dernière, un rapport du gouvernement a signalé que, poussée par la croissance du prix de l’énergie, l’inflation a augmenté deux fois plus rapidement que les salaires en septembre 2005. Le "Démocratic Economic Policy Institute" (Institut d’économie politique) a déclaré que l’événement constituait "la plus forte baisse de pouvoir d’achat depuis des décennies".

L’immobilisme ou la baisse des salaires contribue à amortir l’inflation. Mais c’est une piètre consolation pour ceux qui voient leur bourse moins remplie.

Dans une période où les industries traditionnelles, comme celles des pièces automobiles et des lignes aériennes, s’efforcent de s’adapter à des circonstances difficiles, leurs employés sont particulièrement vulnérables.

Quand, il y a près de deux mois, les mécaniciens de Northwest Airlines Corporation se mirent en grève préventive pour bloquer une baisse des salaires de 26%, la compagnie les remplaça immédiatement. Les travailleurs se trouvent maintenant devant une offre de la firme qui inclut la même diminution salariale et une protection de l’emploi pire que celle qu’on leur avait offert avant la grève.

Les perspectives des ouvriers de base chez Delphi sont tout aussi sombres : le 8 octobre, la société a demandé à bénéficier des garanties de la loi américaine de protection d’une faillite possible. Les spécialistes de l’histoire du travail observent qu’ils ne peuvent se souvenir d’une période où, durant un redressement économique, l’on ait demandé à un si grand nombre, et dans une seule firme, d’abandonner tant d’avantages en même temps.

Les responsables du syndicat United Auto Workers parlent dans plusieurs déclarations "de sacrifices extraordinaires" en particulier au moment où Delphi prend des mesures "répugnantes" pour augmenter le montant des contrats pour maintenir en place ses cadres de haut niveau.

Des critiques disent que les employés de Delphi, qui gagnent 27 dollars/heure, outre des avantages substantiels de protection santé et de retraite complémentaire, coûtent trop pour permettre à la compagnie d’être concurrentielle. En comparaison, les travailleurs des usines Delphi bénéficiaires en Chine, gagnent environ 3 dollars/heure.

"Les firmes ne peuvent plus accorder d’opulents avantages maladie et des engagements illimités de retraite complémentaire" a déclaré l’économiste Peter Morici, un négociateur du commerce de l’administration Clinton. Il ajoute que le syndicat UAW "aurait dû éduquer" ses membres depuis longtemps "et se montrer réaliste" dans ses exigences.

Le nouveau contrat de Delphi va établir un précédent pour les négociations avec GM, Ford et Daimler-Chrysler. Ford a également déclaré lundi dernier qu’il était en pourparlers avec son syndicat au sujet de possibles diminutions des avantages santé.

L’industrie automobile a été un indicateur des orientations salariales dès sa fondation. En 1914, l’annonce par Henry Ford de la Journée à cinq dollars, qui doublait d’un seul coup le salaire de ses 15.000 travailleurs de ses chaînes d’assemblage, inaugura ce que le journal Detroit Free Press appelait une "ère industrielle nouvelle".

À cette époque, les travailleurs montraient la voie. Maintenant ils sont considérés comme condamnés.

Steve Szakaly, un économiste du Center for Automotive Research (Centre de recherche de l’automobile) a déclaré : "C’est une vue largement partagée que les anciennes industries de travail à la chaîne sont sur le point de disparaître". "Au sein d’une économie mondiale, nous sommes tous appelés à devenir des employés du tertiaire. Et Delphi est aussi désuet qu’on peut l’être".

Basée à Troy, dans le Michigan, la compagnie - une industrie complémentaire créée en 1999 par General Motors - n’est pas aussi dinosaurienne qu’elle peut paraître. Plus des deux tiers de ses 185.000 employés travaillent déjà hors des États-Unis. Elle est en train d’arrêter et de moderniser ses usines américaines. Cette année, son unique usine en Californie à Anaheim a été fermée.

Sur son site internet, la firme proclame : "En tant qu’employeur de catégorie mondiale, Delphi offre une protection de classe mondiale à ses employés à plein temps". Récemment, la fière déclaration a pris un sens différent : les travailleurs de Delphi des États-Unis, déclare la direction, doivent gagner un salaire plus proche de celui que l’on gagne dans le reste du monde.

On rapporte que les vacances seront raccourcies de six à quatre semaines. Les primes d’assurance santé vont augmenter. Les contributions de la compagnie aux retraites complémentaires vont diminuer. Les jours fériés et payés seront réduits de 17 à 10 en tout et pour tout. Et les salaires diminueront brutalement jusqu’à 10 ou 12 dollars/heure. Ces niveaux feront sans doute que les travailleurs de Delphi ne pourront pas se permettre d’acheter les voitures qu’ils contribuent à fabriquer.

Robert S. Miller, l’expert en réorganisation, nommé l’été dernier pour diriger la firme, a observé qu’il ne donnait pas tort aux travailleurs de se sentir en fâcheuse posture. Il a décrit le processus en le comparant à une tempête. "La mondialisation les a emportés" a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse.

C’est une tempête qui a ravagé d’autres industries américaines. Thomas Palley, économiste et ancien assistant directeur des relations publiques du syndicat AFL-CIO, a dit qu’il s’agissait "d’une mort par mille coups de fouet, ce qui fait qu’elle échappe par en-dessous au radar politique".

"Elle a touché l’habillement, puis l’ameublement, puis le textile, puis l’acier" a ajouté Palley. "Le phénomène chemine en suivant l’échelle des valeurs. J’en ai les preuves par des articles fabriqués aux Philippines. En Inde, des radiologues lisent maintenant des courbes en provenance d’hôpitaux américains. Elle a attaqué les fondations mêmes du travail".

La mondialisation a beaucoup d’admirateurs et d’indéniables avantages. Chacune des usines de pièces détachées que Delphi installe outremer améliore le niveau de vie local. Aux États-Unis, où les producteurs nationaux et les importateurs se concurrencent pour fournir les marchandises au meilleur marché, la mondialisation contribue à garder les prix au plus bas.

Certains économistes n’y voient guère que des avantages. Donald Kohn, gouverneur de la Réserve fédérale, déclarait dans un récent discours que le taux de chômage américain de 5,1% : "montrait, à l’évidence, que notre aptitude à créer des emplois selon les besoins n’a pas été desservie" par la concurrence internationale.

D’autres ne sont pas aussi optimistes. "Comment font les sociétés américaines pour être compétitives dans l’économie mondiale ?" demande Harley Shaiken, un économiste de l’Université de Californie à Berkeley. "Si la seule façon de rester attractif est en payant 10 dollars/heure, il y a un danger qui est plus important que celui de Delphi. Nous sommes devant une société où les gens sortent plutôt qu’ils n’entrent dans la classe moyenne".

L’élection présidentielle de l’an passé provoqua un débat sur la mondialisation et la délocalisation des emplois qui fit beaucoup de battage mais produisit peu d’éclaircissements. Certains expliquèrent que le phénomène avait été exagéré dans une économie qui crée et élimine des millions d’emplois par an.

D’autres soutiennent que le phénomène s’accroîtra et affectera bientôt des millions d’employés.

Jared Bernstein, un économiste de l’Institut d’économie politique, a admis : "Peut-être cherchions-nous au mauvais endroit".

Il est possible que quelques centaines de milliers de postes aient été perdus pour des emplois outremer à moindre coût. Mais ce qui n’est pas assez reconnu est combien de millions d’autres ont pu garder leur emploi - ou tout au moins un travail - tout en perdant leur protection sociale présente ou à venir.

Les historiens du travail qui présentent les perspectives les plus désolantes disent ignorer ce qui pourrait arrêter ce processus de déclin.

Léon Fink, rédacteur de la revue Labor : Studies in Working-Class History of the Americas (Travail : Études de l’histoire des classes travailleuses des Amériques), a écrit : "Jadis, il y avait un niveau plancher de la protection sociale du travailleur, mais nous vivons désormais dans une période où les anciennes normes craquent".



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