André Glucksmann l’a-t-il lu ?

samedi 13 décembre 2008
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« Des comptes rendus, devenus récemment accessibles, d’observateurs militaires internationaux indépendants sur le début de la guerre de cet été entre la Géorgie et la Russie mettent en cause l’affirmation des Géorgiens selon laquelle leur pays a agi de manière défensive contre une agression des séparatistes et de la Russie. Au lieu de quoi ces récits suggèrent que l’armée inexpérimentée de la Géorgie a attaqué la capitale séparatiste [d’Ossétie du Sud], Tskhinvali, le 7 août, au moyen de tirs indiscriminés d’artillerie et de roquettes, au risque de toucher les civils, les forces russes de maintien de la paix et les observateurs désarmés. (...) Les observateurs ont également dit qu’ils n’avaient pas été à même de vérifier que des villages à population géorgienne avaient été lourdement bombardés ce jour-là, contestant ainsi une des principales justifications [du président Mikheïl] Saakachvili pour son attaque. »

Ces révélations ne pouvaient pas échapper aux journalistes spécialisés dans les affaires caucasiennes. Elles figuraient en effet dans le New York Times, repris par l’International Herald Tribune, qui plus est à la « une », trois mois jour pour jour après le déclenchement de la guerre de l’été dernier, le 7 novembre. De surcroît, elles émanaient d’une commission militaire internationale indépendante qui avait, par deux fois, séjourné sur le terrain et interrogé toutes les parties. Et, surtout, les enquêteurs agissaient sur mandat de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui ne se caractérise pas d’ordinaire par sa distance critique vis-à-vis des Etats-Unis et de leurs alliés.

Or les quotidiens français n’ont pas consacré une ligne — ni le lendemain ni les jours suivants (1) — à cette « bombe ». Il est vrai qu’explosait avec elle la thèse défendue depuis un trimestre par la plupart d’entre eux. Curieusement, la déclaration de Human Rights Watch (2)accusant les Géorgiens, mais aussi les Russes, d’avoir massivement recouru à des armes à fragmentation, que la « communauté internationale » venait de bannir par un traité, a été également négligée...

Cette censure brutale ne serait-elle qu’une « bavure » ? Elle reflète bien plutôt un réflexe médiatique : de la guerre du Golfe (1991) à celle de Géorgie (2008), en passant par le Kosovo (1999), le journalisme français et ses intellectuels-vedettes se sont déshonorés en camouflant systématiquement la véritable nature de ces conflits. Opération après opération, il leur aura fallu six mois, voire un an, pour concéder quelques bribes de vérité, accompagnées d’un semblant d’autocritique. Ce qui ne les a pas empêchés de mentir à nouveau grossièrement sur la suivante. Comme le chantaient les pacifistes israéliens à l’époque de l’Intifada à propos des soldats israéliens : « Ils tirent et ils pleurent »...

Avis à l’OSCE : son rapport est arrivé trop tôt. Dans trois mois peut-être, six sans doute, les maîtres ès manipulations seront mûrs pour avouer une partie des responsabilités de leur cher ami de Tbilissi dans l’affrontement d’août 2008. Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, quant à eux, ont pris les devants. Dès le 14 août, dans Libération, ils écrivaient : « Qui a tiré le premier ? La question est obsolète. »

Par Dominique Vidal. Le Monde diplomatique 12/2008

Transmis par Linsay


(1) Le Figaro a attendu onze jours pour y faire allusion, dans un article intitulé « La Géorgie s’inquiète de sa mauvaise presse », mais sans informer en détail ses lecteurs du contenu du rapport de l’OSCE.

(2) « Géorgie/Russie : Il faut épargner les civils en Ossétie du Sud ».



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