Présence invisible

lundi 22 décembre 2008
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Où l’on reparle, grâce à un livre beau par ses photos et touchant par ses témoignages, de la lutte des chibanis de Marseille.

Depuis la fin du XIXe siècle, les entrepreneurs français sont venus faire leur marché dans les colonies. L’esclavage est depuis longtemps aboli et c’est pourtant sur des critères physiques qu’ils iront chercher ces travailleurs de l’autre côté de la Méditerranée.

Dans les années 50 et 60, le besoin de main d’œuvre est tel que des centaines de milliers de travailleurs débarquent en France (il y aura 1,4 millions de régularisation entre 1958 et 1974). Après 30 ou 40 ans de labeur, ces damnés du “miracle économique” sont vieux, fatigués et présentent souvent des pathologies liées à leurs activités professionnelles.

Ils sont pourtant devenus indésirables, parce qu’“inutiles”.

À travers de multiples témoignages, ils racontent leur venue en France, leurs années de travail, leurs conditions de vie, mais aussi leurs joies, la musique qu’ils aiment et leur rapport au pays d’origine.

Kamar Idir, lui même ayant fui l’Algérie de la “casquette et de la barbichette”, est photographe. Il a couvert la guerre du Golfe, pas celle de Bush junior, mais celle de son père et de François Mitterrand, en 1991… Il a aussi réalisé de nombreux reportages en Algérie, jusqu’à l’assassinat de ses proches. À Marseille depuis 1994, il déchante quant au sort réservé aux travailleurs immigrés. C’est presque par hasard qu’il découvre le bidonville de la rue des Petites Maries, en plein cœur de Marseille, dans le quartier Belsunce.

Les cabanes sont habitées par de vieux travailleurs, tous issus du même village : Bouzeguène. Cette découverte se fait alors que le quartier est en pleine réhabilitation et que le relogement des habitants n’est assuré que grâce à leur résistance. Une association est créée : “Un centre ville pour tous”, alors que le “comité chômeurs CGT” poursuit, par d’autres moyens, sa lutte contre les expulsions. Kamar, lui-même Kabyle, se lie très rapidement avec les anciens qu’il photographie et dont il enregistre les témoignages. En 2005, alors que Nicolas Sarkozy est ministre des Finances, 4 000 “chibanis” se voient privés de leurs feuilles d’imposition, et par conséquent de leurs droits à toucher le minimum vieillesse et à pouvoir bénéficier d’une couverture médicale. Sous le prétexte de lutter contre la sur occupation frauduleuse des hôtels meublés, cette mesure donne un sacré coup de pouce à l’opération “nettoyage” de Jean-Claude Gaudin.

Mais, là aussi, la résistance s’organise et aux côtés de “centre ville pour tous”, une autre association prend la défense des anciens, spoliés de leurs droits : “Le Rouet à cœur ouvert”. Le quartier du Rouet est lui aussi livré aux promoteurs, placé en “zone d’activité concertée”. En fait, il s’agit de raser des rues entières du dernier îlot populaire de l’arrondissement, pour construire des immeubles de luxe vendus à plus de 4 000 € le m2. Avant l’action des pelleteuses, Kamar rencontre les habitants des hôtels meublés de la rue Alcazar et ceux de la rue du Rouet, vivant dans d’anciens poulaillers. Tous sont originaires du Maghreb (Algérie et Tunisie)), et la plupart anciens travailleurs du bâtiment.

Dominique Carpentier, journaliste pour quelques titres de la presse locale, est aussi militant du comité chômeurs CGT, et principalement mobilisé sur les questions du logement. Il rencontre Kamar au cours d’une manifestation où il découvre son travail photographique. De cette rencontre naîtra le désir de faire un livre pour raconter en texte et en images la lutte des “chibanis”. Ils suivront alors ensemble les anciens, jusqu’à ce que des solutions de relogement leur soient proposées. Décryptage des bandes son et choix des photos constitueront alors leur travail jusqu’à la réalisation du livre : “Présence invisible”. Mais cette publication n’est qu’une étape pour redonner vie et dignité à ces “oubliés”, chassés des mémoires après avoir construit les principales infrastructures de la ville. Elle doit être l’occasion d’organiser conférences et débats, mais aussi de poursuivre la lutte contre la chasse faite aux pauvres dans une ville restée populaire…

Présence invisible - Photographies de Kamar Idir, textes de Dominique Carpentier
Éditions Artriballes 92 pages - 18 €
Pour les commandes Internet on peut écrire à Rouge Midi qui transmettra.



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