L’UE laisse l’Italie livrer des immigrés à la Libye

dimanche 17 mai 2009
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En se présentant le 7 juin prochain sous ses propres couleurs dans les cinq circonscriptions italiennes, la Ligue du Nord, parti populiste et xénophobe, entend tirer le maximum de profit électoral de la politique qu’il a su imposer à Silvio Berlusconi. Deux des grandes réformes de la première année du nouveau gouvernement Berlusconi portent son empreinte. C’est le cas de la réforme fiscale, qui institutionnalise le fossé économique entre le nord et le sud du pays, et du « paquet sécurité », qui prévoit la criminalisation de l’immigration clandestine et donne un cadre légal aux « rondes citoyennes », autrement dit les nouvelles milices. Le vote de cette loi est intervenu quelques jours après le renvoi en Libye par Rome de 500 immigrés interceptés avant même qu’ils aient pu déposer une demande d’asile.

Non signataire de la convention de Genève sur les réfugiés, la Libye affirme son rôle de pièce maîtresse du dispositif européen de lutte contre l’immigration irrégulière. Ce vendredi 15 mai, trois navires sous autorité italo-libyenne vont commencer à patrouiller au large des côtes libyennes (1.770 kilomètres) pour tenter de barrer la route aux migrants en partance vers l’Europe.

Dès les 7 et 10 mai, Tripoli a accepté le rapatriement sur son sol de centaines d’exilés interceptés par la marine italienne en Méditerranée dans les eaux internationales. Et cela, sans que ces personnes venues d’Afrique sub-saharienne n’aient eu la possibilité de demander l’asile politique en Italie ou ailleurs en Europe. Les embarcations en perdition avaient lancé des SOS par téléphone dans l’espoir d’obtenir de l’aide (sous l’onglet Prolonger, le détail de la législation internationale en matière de sauvetage en haute mer).

Depuis cette date, s’est félicité le ministre de l’intérieur italien Roberto Maroni, « nous avons repoussé plus de 500 clandestins que nous aurions dû accueillir » s’ils s’étaient trouvés dans les eaux italiennes. « Nous ne faisons que les reconduire d’où ils sont venus », s’est-il défendu face aux protestations suscitées par cette opération. Ce responsable de la Ligue du Nord a salué une « journée historique ».

Le chef de la diplomatie, Franco Frattini, s’est défaussé sur Brice Hortefeux, l’ex-ministre de l’immigration français. Rome, selon lui, ne fait qu’« appliquer le Pacte européen sur l’immigration ». « Quand nous repoussons les clandestins, a-t-il ajouté lors d’une conférence de presse le 9 mai, nous le faisons au nom de la Pologne, de l’Irlande, de l’Allemagne... pas seulement de l’Italie. »
Silvio Berlusconi a affirmé, quant à lui, qu’il n’y avait là « aucun scandale ». « La gauche avait ouvert la porte à une Italie multiethnique : ce ne sont pas nos idées », a-t-il déclaré tout en se réjouissant de la visite de Mouammar Kadhafi à Rome du 10 au 12 juin.

Adopté en octobre 2008 lors de la présidence française de l’Union européenne (UE), le Pacte sur l’immigration, proposé par la France, prévoit de « lutter contre l’immigration irrégulière, notamment en assurant le retour dans leur pays d’origine ou vers un pays de transit des étrangers en situation irrégulière ». Sauf que ces migrants ont été interceptés dans les eaux internationales, si bien qu’aucune législation n’autorise à les qualifier d’illégaux. Par ailleurs, quel que soit leur statut, ils sont censés pouvoir déposer, s’ils le souhaitent, une demande d’asile dans le pays par lequel ils sont recueillis.

Au-delà du Pacte voulu par Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux, ce « rapatriement » découle directement du « traité d’amitié » signé entre l’Italie et la Libye en août 2008, par lequel Tripoli s’engage à faire la guerre aux candidats à l’exil en échange de cinq milliards de dollars promis sur 25 ans pour « compenser » la période coloniale. L’ambassadeur libyen à Rome, dans une interview publiée le 9 mai dans La Repubblica, n’a pas donné d’informations sur ce qu’étaient devenus les exilés refoulés, mais il a assuré que « les rapatriements seront bien plus nombreux » avec les patrouilles mixtes.

Pas de quoi rassurer ceux que cette opération a indignés. Le commissaire aux droits de l’Homme du conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, a condamné « l’initiative unilatérale de l’Italie, qui remet en cause le droit de demander l’asile et nie la possibilité de fuir des situations de répression et de violences », tandis que Ron Redmond, le porte-parole du Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), a déclaré être « sérieusement inquiet de la politique pratiquée par l’Italie, qui porte atteinte à l’accès à l’asile en Europe ».

Rappelant que la Libye « ne possède pas de loi sur l’asile ni de système de protection des réfugiés », le HCR a envoyé une lettre à Rome pour lui demander d’accepter sur son territoire les migrants candidats à l’asile. Ron Redmond a indiqué que le HCR avait eu des contacts en prison avec certaines personnes refoulées, dont des Érythréens et des Somaliens, éligibles à l’asile politique.

Outre le Vatican, Médecins sans frontières a parlé d’une « journée noire », tout en soulignant que l’Italie avait été condamnée, le 10 mai 2005, par la cour européenne des droits de l’Homme après le retour forcé de 11 demandeurs d’asile qui n’avaient pu présenter leur requête. Migreurop et le réseau méditerranéen des droits de l’Homme, de leur côté, rappellent les pratiques libyennes de « violences, maltraitance, enfermement, viols, tortures et déportations » à l’égard des étrangers en situation irrégulière.

Le silence de Bruxelles

À Bruxelles, la prudence est de mise. L’un des porte-parole a indiqué, le 8 mai, avoir besoin de « détails » sur ce qui s’est passé pour se prononcer. Près d’une semaine après, silence radio. De fait, cette affaire embarrasse la commission européenne, engagée depuis 2004 dans des négociations avec Tripoli pour lutter contre l’immigration irrégulière. À l’issue d’une rencontre, en avril 2009, avec l’ambassadeur de Libye, Jacques Barrot, le commissaire pour la justice, la liberté et la sécurité, a déclaré que « certaines contreparties réclamées par Tripoli posent problèmes », évoquant les demandes de financements et de moyens logistiques pour surveiller la frontière sud du pays par laquelle passe de nombreux migrants africains en route vers l’Europe.

Malgré l’absence d’accords ou de partenariats, l’UE lui a, en réalité, déjà envoyé des millions d’euros pour l’aider à contrôler ses frontières car elle entend lui sous-traiter une partie de sa politique migratoire. Les enjeux sont aussi économiques tant les ressources libyennes en gaz et en pétrole notamment intéressent les États membres.
Les récentes frictions diplomatiques entre l’Italie et Malte témoignent de l’attitude restrictive de l’UE, renforcée en période de crise économique, à l’égard des immigrés. Fin avril, près de 150 exilés ont été bloqués en mer durant quatre jours sur un cargo turc ballotté entre les autorités italiennes et maltaises. Ils avaient été recueillis dans la zone de sauvetage de Malte, mais le port le plus proche était Lampedusa, où ils ont finalement pu débarquer dans un état déplorable. Même scénario, à quelques nuances près, début mai, sauf que cette fois-ci, le gouvernement maltais a accepté, tout en protestant, de « prendre en charge » les 66 migrants « pour des raisons humanitaires », du fait du refus italien de les accueillir.

Les conditions d’entrée et de séjour des étrangers dans les pays membres de l’UE ont beau se durcir, cela n’empêche pas les exilés de tenter la traversée de la Méditerranée, au péril de leur vie. Fin mars, une embarcation a coulé aux larges des côtes libyennes. À son bord, plus de 250 personnes. Seuls 23 migrants ont pu être sauvés. Selon l’association Fortress Europe, au moins 13.770 personnes sont mortes aux frontières de l’UE, en mer ou dans le désert du Sahara, depuis la fin des années 1980. Selon le HCR, plus de 67.000 personnes sont arrivées sur les côtes européennes en 2008 après avoir traversé la mer, parmi lesquelles 38.000 ont débarqué en Italie et Malte.

Selon l’agence onusienne, « la grande majorité de ces personnes ont demandé l’asile, et plus de la moitié de celles qui l’ont fait ont été considérées comme ayant besoin de protection internationale. Les possibilités d’entrer en Europe par des moyens légaux étant rares, des milliers de personnes menacées de persécutions et de violations graves des droits humains dans leur pays d’origine n’ont pas d’autre choix que d’emprunter ce dangereux itinéraire maritime ».

« On observe une très forte hausse des arrivées au cours des quatre premiers mois de 2009 en Italie », indique Gabriele del Grande, journaliste et écrivain, fondateur de Fortress Europe. « Habituellement, ajoute-t-il, les traversées sont plus nombreuses l’été lorsque la mer est plus calme. Mais les déclarations de Roberto Maroni et la perspective des patrouilles mixtes ont pu en pousser certains à tenter le départ avant. Par ailleurs, le passage via l’Algérie et l’Espagne étant de plus en plus difficile, les migrants d’Afrique de l’Ouest ont modifié leur parcours en passant par le Niger et la Libye. »

La Grèce, Malte, l’Italie et l’Espagne sont, pour des raisons géographiques, directement confrontées aux arrivées sur leurs côtes, mais la plupart des pays membres s’organisent, en amont, pour tenter de limiter les départs et de faciliter les retours forcés. C’est dans ce contexte qu’ont été adoptés, le 14 mai à l’Assemblée nationale, des accords bilatéraux signés entre la France et quatre pays du continent africain : la Tunisie, le Congo-Brazzaville, le Bénin et le Sénégal. Chacune de ces conventions prévoit des projets de développement solidaires en contrepartie de l’engagement des pays d’émigration à réadmettre sur leur sol leurs ressortissants en situation irrégulière.

Carine Fouteau pour Mediapart.fr



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