RFI ou le retour du poste colonial ?

mercredi 8 juillet 2009
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Sur le blog de Marie Bénilde (Monde diplomatique) le 03/07/2009

Transmis par Linsay

En s’attachant à supprimer plus de 20% des effectifs de Radio France International (RFI) sans apporter de projet alternatif, le gouvernement français montre à la fois son mépris d’une station qui est aujourd’hui reconnue et appréciée dans de nombreux pays d’Afrique et son incapacité à gérer un conflit social qui pénalise l’information francophone depuis huit semaines. Retour sur l’actualité d’une radio mondiale qui ne parvient plus à se faire entendre...

L’Etat sourd à une demande de médiation

Il faut lire les journaux africains ou écouter les revues de presse internationale du continent noir pour bien mesurer la portée de la grève qui paralyse depuis plus de cinquante jours tout ou partie des programmes de Radio France International. Lire par exemple Le Républicain, un quotidien de Bamako (Mali), quelques jours après le début du conflit, le 28 mai dernier. Dans un éditorial intitulé « Requiem pour une radio autrefois mondiale », Adam Thiam écrit : « La grève de RFI fait mal à l’Afrique d’expression française (...). Son silence meublé par une musique lugubre a plus d’effet sur le fidèle public que la crise financière internationale. »

Au Mali, RFI a sans doute plus d’importance que TF1 en France. Le nom de Juan Gomez, qui ouvre tous les jours l’antenne aux auditeurs dans son émission « Appels d’actualité », y est plus connu que celui de Laurence Ferrari ou de David Pujadas. C’est cette relation inestimable d’un média d’information multiculturel vis-à-vis de pays essentiellement francophones qui est en train d’être fragilisée par l’obstination du gouvernement français à supprimer 22% des effectifs à RFI, soit 206 postes sur près d’un millier. En procédant, comme n’importe quelle entreprise privée, à des licenciements secs.

Les motifs avancés par la présidence de RFI présentent toutes les apparences de la logique comptable : un bilan en 2008 marqué par un déficit de 8,7 millions d’euros, une audience globale qui aurait tendance à s’effriter, y compris en Afrique francophone, face à l’émergence des nouveaux canaux d’information (radios et télévisions locales privées, sites Internet, câble et satellite…), des émissions dans certaines langues étrangères de moins en moins suivies, etc. Pour opposer à ces maux les grands remèdes, Alain de Pouzilhac, par ailleurs président de France 24 et de TV5, a donc choisi de supprimer six antennes en langues allemande, turque, polonaise, serbo-croate, albanaise, laotienne et moldave. Les journalistes y travaillant, pour la plupart issus des pays vers lesquels ils émettent, sont considérés comme déconnectés des réalités locales nées de l’après-guerre froide. Ce qui expliquerait la faible audience de leurs antennes dans les pays concernés. La direction de RFI affirme donc sa volonté de réinvestir dans des « langues prioritaires », de créer une rédaction en swahili et de développer de nouveaux vecteurs de diffusion sur Internet ou sur téléphone mobile.

Comptes et légendes du déficit

La réalité est cependant assez différente. Commençons par le déficit de 8,7 millions d’euros. Selon un rapport d’expertise comptable INA (lire « RFI en grève contre les menaces de grande braderie », Acrimed, 12 mai 2009), commandé par le comité d’entreprise en 2009, 93% de ce déficit s’expliquent par des éléments exceptionnels qui se répartissent comme suit :

1,9 millions d’euros de redressement URSSAF suite à une erreur de la DRH en 2003.
2,4 millions d’euros dans la filiale en langue arabe Monte Carlo Doualiya (MCD). La direction impute le déficit au précédent directeur Philippe Beauvillard.
2,8 millions d’euros de charges de personnel incluant le coût des licenciements et des limogeages de membres de la direction précédente.
1 millions d’euros de provisions pour contentieux.

S’agissant des dernières audiences communiquées par la direction de RFI, elles montrent que le nombre d’auditeurs dans le monde est de 46,1 millions en 2007 [1] contre 43,3 millions un an plus tôt. Mais, pour Alain de Pouzilhac et sa directrice générale Christine Ockrent, la troisième radio internationale de la planète – après la BBC et Voice of America – a des « parts de marché qui s’effondrent partout dans le monde ». Même si elle occupe souvent les premières places des sondages dans les capitales d’Afrique francophone.

Enfin, le choix de restreindre le nombre de langues diffusées va à l’encontre du multilinguisme prôné par toutes les grands médias d’information (y compris en Chine et en Russie). Si RFI renonce par exemple à émettre en langue allemande, la Deutsche Welle, elle, va continuer à diffuser des bulletins d’information en langue française (lire « RFI, en version française uniquement ? », La Valise diplomatique, 2 décembre 2008)...

Ajoutons que les six langues menacées ne seront pas les seules à subir le plan de restructuration. Techniciens, réalisateurs mais aussi journalistes d’autres éditions, comme la rédaction en langue espagnole, devront également contribuer à l’effort de réduction des effectifs. Sont donc aujourd’hui menacés ces mêmes salariés qui avaient été chaudement félicités par Ingrid Betancourt, en visite à la rédaction de RFI après sa libération il y a un an, pour le lien qu’ils avaient su entretenir entre les deux rives de l’Atlantique durant sa captivité...

Reconfiguration-dissolution dans l’AEF

Mais qui se soucie vraiment de RFI ? Qui se préoccupe de cette radio que l’ancien publicitaire Alain de Pouzilhac, ex-président du groupe Havas (lire « Des chaînes “tout info” bien peu dérangeantes », par Marc Endeweld, Le Monde diplomatique, juin 2007), voudrait principalement réserver aux élites africaines, aux « leaders d’opinion », comme il dit – quitte à renouer avec la vocation originelle d’une radio née de l’Exposition universelle de 1931 sous le nom de « poste colonial » ? En tout cas, le sort de RFI ne provoque généralement qu’une grande apathie en France. Lors de la manifestation du 16 juin, qui a réuni modestement quelque 300 personnes, rares étaient les salariés de Radio France ou de France Télévisions à s’être déplacés pour soutenir leurs camarades ou confrères. Et il a fallu que le conflit s’enlise pour que la presse française commence à répercuter ce mouvement social. On imagine aisément quelle caisse de résonance auraient trouvé les salariés de Radio France si un plan social avait affecté plus de 20% de leurs effectifs alors même que l’actionnaire public, par la voix du chef de l’Etat, demande aux entreprises de ne pas licencier en période de crise...

Pourtant, à travers le périmètre de Radio France International, c’est bien la reconfiguration de l’ensemble de l’audiovisuel extérieur de la France qui se profile. En confiant au président-créateur de France 24 la responsabilité de RFI comme du holding de l’audiovisuel extérieur de la France (AEF), l’Etat a pris le risque de desservir les intérêts de la radio au profit du développement de sa télévision internationale (France 24 ne voit d’ailleurs sans doute pas d’un si mauvais œil la grève à RFI...). Economies d’échelle, synergies, mutualisation, professe Pouzilhac à la demande des conseillers ministériels. En réalité, si des moyens peuvent être mis en commun à la diffusion ou dans les services administratifs et commerciaux, on sait, depuis le cocasse rapport Benamou de 2007, que de telles synergies ne sont pas si simples à dégager. Difficile, par exemple, de demander à un journaliste radio d’alimenter l’antenne de France 24 via une salle de rédaction unique. En revanche, oui, la question est posée du statut des personnels dans une maison hautement syndiquée où les luttes de pouvoir syndicales portent à l’affrontement permanent et, pour reprendre les termes de la direction, au « conservatisme ». Il n’est peut-être pas interdit de se demander si une chaîne formée de jeunes journalistes multitâches et dotés d’une culture syndicale encore embryonnaire n’est pas jugée préférable à une radio constituée en très large part de reporters aguerris qui sont aussi des salariés beaucoup moins malléables...

En cette période de refonte des conventions de l’audiovisuel public, la direction rêve sans doute d’un climat social apaisé dans la perspective de l’après-grève. On en est loin. L’intersyndicale de RFI (FO, SNJ, SNJ-CGT et SNRT-CGT) n’a-t-elle pas été jusqu’à dévoiler le salaire de ses deux dirigeants, Alain de Pouzilhac et Christine Ockrent, qui toucheraient chacun 310 000 euros annuels fixes auxquels il faut ajouter 70 000 euros de part variable ? Soit près de trois fois le salaire de l’ancien PDG Antoine Schwartz et deux fois celui du PDG de Radio France...

Le nouveau règne de Christine Ockrent

La relation de RFI avec sa nouvelle directrice générale Christine Ockrent est en soi un cas d’espèce.

Femme de l’actuel ministre français des affaires étrangères Bernard Kouchner, l’ancienne présentatrice de « France Europe Express », sur France 3, incarne aujourd’hui une forme de remise au pas de cette radio qui s’est pourtant efforcée d’échapper ces dernières années au rôle de « voix de la France » (lire « Christine Ockrent, la voix de la France », La Valise diplomatique, 21 février 2008). Un signe ? Citons d’abord le licenciement en juillet 2008 de Richard Labévière, rédacteur en chef international à RFI, coupable d’avoir diffusé une interview du président syrien Bachar Al-Assad sur TV5 puis sur RFI sans en référer à sa directrice générale (lire « Licenciement politique à RFI », La Valise diplomatique, 4 septembre 2008). A l’évidence, Richard Labévière a été victime d’un règlement de compte en interne pour n’être soutenu que par la seule CFDT – syndicat minoritaire – et alors que ses positions ouvertement pro-arabes lui avaient attiré des ennemis tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de RFI. Christine Ockrent, en tout cas, s’est empressée de marquer son pouvoir en se débarrassant d’un homme faiblement défendu et sans doute en dissonance avec Bernard Kouchner dans sa politique au Moyen-Orient (en décembre 2008, la France fera d’Israël le partenaire privilégié de l’Union européenne).

Christine Ockrent a encore montré son sens du dialogue social à l’occasion du Festival de Cannes en 2009. Dans un tract intitulé « La reine du mépris à RFI », le 9 mai, le Syndicat national des journalistes (SNJ) relève qu’elle n’a pas hésité à s’en prendre aux reporters envoyés sur place pour fustiger leur « inélégance » : « Evidemment, certains salariés, non grévistes mais qui soutiennent le mouvement, ne se sont pas privés des descendre au Festival de Cannes, de réaliser des reportages, d’enregistrer des débats en sachant pertinemment que tout ce travail ne serait jamais diffusé. Je ne trouve pas cela très élégant pour les invités qu’on a dérangés. » En sa qualité d’arbitre des élégances, Christine Ockrent a probablement omis de se renseigner sur le fonctionnement de son antenne, qui diffuse entretiens et reportages lors de la sortie des films en salles.

La voix de la Françafrique ?

Reste la question essentielle : la réorganisation de RFI sous la férule de sa directrice générale est-elle de nature à affaiblir l’indépendance de la « radio mondiale » ? Les esprits avertis diront que cette indépendance a toujours été toute relative. On se souvient que le président du Togo Gnassingbé Eyadema, par exemple, n’hésitait pas à appeler directement Jacques Chirac, alors à l’Elysée, pour empêcher la diffusion d’une interview de son principal opposant. Le patron de RFI, Jean-Paul Cluzel, s’arrangeait alors pour que l’entretien ne soit diffusé qu’une fois coupés les réémetteurs FM au Togo... La gestion de ce dossier typique de la Françafrique coûtera son poste au directeur de la rédaction de RFI, Jérôme Bouvier, qui avait montré peu d’empressement à se conformer aux ordres venus d’en haut...

Mais l’arrivée de Christine Ockrent est aussi une façon d’assurer à la Françafrique la possibilité de se survivre à elle-même. En cela, la mort d’Omar Bongo, le 8 juin (lire, dans Le Monde diplomatique de juillet, actuellement en kiosques, « Omar Bongo, une passion française », par Boubacar Boris Diop), fut un cas d’école. Malgré la grève, pas moins de deux heures et demie d’émission spéciale furent consacrées au décès du vieux chef d’Etat africain, suivies, le 16 juin, de trois heures de couverture sur l’antenne monde et Afrique de ses obsèques auxquelles assistaient Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac et, bien sûr, Bernard Kouchner. Que ce dernier ait été grassement rémunéré (816 000 euros) pour un maigre rapport sur le système de santé au Gabon et qu’il ait été encore président, en janvier dernier, de la société chargée de facturer ce service (lire « Kouchner, ministre des factures étrangères », par Xavier Monnier, Bakchich.info, 13 janvier 2009) n’a évidemment rien à voir avec tant de sollicitude... « Bongo, mieux que Jean-Paul II, Senghor ou Aimé Césaire qui n’ont eu droit, en leur temps, qu’à une heure ou deux de spéciale en direct », note le blog de salariés, RFI Riposte.

L’Etat sourd à une demande de médiation

Et maintenant, que faire ? L’intersyndicale de RFI continue de se battre devant la justice pour empêcher le plan social ; elle demande la « nullité » des licenciements exigés. Et la mobilisation s’est poursuivie, le 25 juin, avec l’émission sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris d’un programme éphémère de soutien aux grévistes. Mais, disons-le clairement, seule une solidarité massive exprimée avec les salariés peut encore convaincre Nicolas Sarkozy de nommer son conseiller social Raymond Soubie à la tête d’une médiation pour sortir de l’impasse. Par leur gestion désastreuse du conflit – consistant le plus souvent à s’abriter derrière leur directrice déléguée Geneviève Goetzinger –, Alain de Pouzilhac comme Christine Ockrent ont démontré leur inaptitude à sortir par le haut de cette grève qui s’avère aujourd’hui la plus longue de l’audiovisuel public. Combien d’habitués, combien de fidèles auditeurs la radio mondiale aura-t-elle perdus au terme de ce bras de fer entre RFI et son actionnaire public... auquel la directrice Christine Ockrent assure une sorte de compagnonnage ?


[1Dont 27,5 millions en Afrique 10,5 millions au Proche-Orient, Moyen-Orient et Maghreb, 4,2 millions en Amériques, 2,2 millions en Europe (dont près d’un million en Ile-de-France), 1,7 million en Asie et en Océanie. Source RFI.



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