Le « bouclier » anti-missile abandonné ?

dimanche 6 septembre 2009
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Un pas dans le bon sens dans un monde de brutes ?

Varsovie et Washington avaient conclu l’an dernier un accord prévoyant le déploiement d’ici à 2013 en Pologne de dix intercepteurs de missiles balistiques de longue portée – des batteries couplées avec un puissant radar installé en République tchèque.

Dès son entrée en fonction, le président Barack Obama a manifesté d’intention de passer en revue le dispositif anti-missile américain, qui comporte notamment deux sites d’une vingtaine d’intercepteurs en service en Alaska et en Californie, en territoire américain, mais devait être complété par un troisième site, en Europe de l’Est, sur la trajectoire supposée d’engins expédiés par des Etats hostiles comme l’Iran ou la Corée du Nord.

Depuis le début, Moscou est opposé à ce « bouclier », considéré comme une menace pour sa propre sécurité, et demande à l’exécutif américain d’y renoncer. Dans ce but, le principal dirigeant russe – l’ex-président et actuel premier ministre Vladimir Poutine – semble avoir marqué un nouveau point : en visite mardi Ier septembre à Westerplatte, près de Gdansk, pour les cérémonies commémorant les débuts de la seconde guerre mondiale, il a donné des gages à la Pologne (en prenant ses distances avec l’ancien pacte germano-soviétique, reconnu comme une « erreur » parmi d’autres), et appelé Varsovie à « tourner la page », à l’exemple de Berlin [1].

Dans l’esprit du numéro un russe, cette « page tournée » devrait conduire Varsovie à renoncer à son alignement inconditionnel sur les Etats-Unis version Bush et sur l’OTAN. Le correspondant à Washington du Gazeta Wyborcza, Marcin Bosacki, envisageait, le 27 août dernier, « une Pologne sans défense antimissile ». Il se référait notamment aux propos de Riki Ellison, le président de la Missile Defense Advocacy Alliance, pour qui "les signaux que les généraux du Pentagone sont absolument clairs : en matière de défense antimissile, la nouvelle administration américaine cherche d’autres solutions que les bases prévues en Pologne et en République tchèque".

Rupture stratégique ?

Cette ancienne vedette de foot-ball américain, proche de l’industrie de l’armement et favorable à la politique lancée par l’ex-président George W. Bush, se désole de ce que le projet de déploiement en Pologne et en République tchèque n’ait même pas été évoqué – selon lui – dans le cadre de la foire annuelle sur la défense spatiale et les missiles, organisée à la mi-août à Huntsville-Alabama, sous le patronage d’industriels et de responsables du secteur missilier, en présence du numéro deux de la hiérarchie militaire. Ellison y voit même « la plus importante rupture stratégique (du président Barack Obama) par rapport à son prédécesseur ».

A Huntsville, la firme Boeing – qui a déjà construit les vingt-quatre intercepteurs déployés à Fort Greely (Alaska) et à la base Us Air Force de Vandenberg (Californie) – a d’ailleurs proposé d’installer les futurs intercepteurs « européens » sur des plate-formes mobiles, qui pourraient être acheminées par avion. Autre solution évoquée : l’installation de silos de lancement dans des pays moins exposés ou rétifs que la Pologne et la République tchèque, comme la Turquie, Israël ou un Etat des Balkans [2] ; ou encore le lancement depuis la haute-mer, à partir de destroyers … Le volet européen du « bouclier » aurait donc du plomb dans l’aile, comme le fait remarquer un papier du New York Times.

A moitié efficace

Parmi les raisons qui peuvent influer côté américain en faveur d’un éventuel abandon de la solution polono-tchèque, il y aurait :

- le souci du président Obama, en difficulté sur la plupart des fronts diplomatiques, de retrouver un partenariat solide auprès des dirigeants russes ;
- la volonté américaine de préserver les chances d’un accord sur le désarmement nucléaire que Moscou a menacé de ne pas conclure s’il se sentait menacé par un dispositif antimissile américain installé à proximité de ses frontières ;
- l’hostilité des opinions publiques des deux pays concernées (qui craignent de devenir des cibles potentielles), et de l’ensemble des pays européens (opposés à ce genre d’initiative bilatérale) ;
- le coût de ce programme (4 milliards de dollars d’ici 2015), jugé trop lourd alors que le budget annuel de défense antimissile sous l’administration Bush (10 milliards de dollars par an) vient d’être revu à la baisse ;
- l’efficacité technique du dispositif, qui n’est pas prouvée (sur treize tests conduits en neuf ans, sept interceptions réussies seulement).

Rendant compte de cette réunion annuelle du lobby missilier et spatial militaire de Huntsville sur le site spécialisé Danger Room, Nathan Hodg relève qu’après plusieurs années d’investissement soutenu dans les systèmes de missiles, on enregistre aux Etats-Unis un recul très net des lignes budgétaires consacrées à cette activité, avec l’abandon de plusieurs projets à technologie ambitieuse.

Patriots en consolation

Le Pentagone devra se contenter de « nos systèmes de missiles de théâtre les plus efficaces », a indiqué le secrétaire à la défense Robert Gates : le Terminal High Altitude Area Defense de l’Us Army ; et le Standard Missile-3 de la Navy. Ce dernier, selon Rayton, son constructeur, pourrait très bien être décliné en version terrestre, et être affecté au volet européen mobile du « bouclier » antimissile américain : une alternative supplémentaire…

Officiellement, la « revue » du programme anti-missile est toujours en cours. Mais les officiels polonais eux-mêmes semblent douter de son avenir. Pour Piotr Paszkowski, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, « les chances que cela se passe en Pologne sont à 50-50 » (The New York Times, 28 août 2009). Pour Varsovie, l’essentiel maintenant est de sauver le second volet de l’accord passé en 2008 avec Washington : la promesse de déployer des batteries de missiles sol-air Patriot, qui marquerait l’engagement stratégique des Etats-Unis en Pologne. Mais, là encore, il semble urgent d’attendre : selon le Pentagone, il n’y aurait pas (ou plus) d’agenda précis ; ces batteries seraient installées dans un but seulement de formation et d’exercice ... Et pourquoi faudrait-il assurer directement la protection d’un pays qui n’accueille plus ce pourquoi il fallait le protéger ?

Les Américains espèrent y voir plus clair courant septembre, lorsque les présidents Obama et Medvedev se rencontreront en marge de l’assemblée générale des Nations unies. Les Russes aussi, comme l’a confié leur ambassadeur à l’OTAN, Dmitry Rogozin, qui croit en un nouveau cours des relations russe-américaines « à partir d’octobre ». Quant aux Polonais…

Général démissionné

A Varsovie, d’ailleurs, on a d’autres chats à fouetter : le général Skrzypczak, chef d’état-major de leur armée de terre, vient d’être démissionné, après une prise de bec sévère avec son ministre de la Défense, qu’il accuse de laisser les soldats – notamment ceux déployés en Afghanistan – dans un état de sous-équipement dramatique. Un capitaine a été tué début août par un sniper, en Afghanistan, portant à dix les pertes polonaises dans ce pays.

Eléments de contexte, par Nicolas Gros-Verdheyde, sur son site très fouillé Bruxelles2-Europe de la défense : « L’armée polonaise vit actuellement une période intense de réformes, avec la mise en place de la professionnalisation, l’abandon de la conscription, dans un contexte économique difficile (plusieurs décisions d’équipement ont été supprimées) et alors qu’il lui est demandé de plus en plus d’efforts pour l’Afghanistan (après celui requis en Irak). Après des années d’engagement, la grogne monte. Les soldats polonais, placés en zone à risque, ne sont pas vraiment bien équipés, et moins payés, que leurs voisins américains ou européens. La décision annoncée début août du Ministre de la Défense d’envoyer 200 hommes en renfort pour l’opération de l’OTAN a été un peu une goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Elle a d’ailleurs été vite démentie par le premier ministre, jugeant qu’une évaluation était d’abord nécessaire s’il fallait plus d’hommes ou davantage d’équipements plus performants ».

Sur le blog de Philippe Leymarie le 03/09/2009

Transmis par Linsay


[1Une démarche qui ne va pas de soi : les Soviétiques s’étaient vus en libérateurs, durant la seconde guerre mondiale, alors que les peuples de l’Est les considéraient le plus souvent comme des agresseurs.

[2Ce qui aurait pour avantage également d’étendre la couverture du système à l’Europe du Sud.



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