Polpotisme et dictature du prolétariat

dimanche 20 septembre 2009
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Bouleversé !

J’ai été bouleversé et je le suis encore !

Une horrible tragédie ! Je savais l’essentiel ! A peu près comme tout le monde !

L’objet de mon émoi : une déposition ! Une déposition devant un tribunal .

Pas n’importe quel tribunal !

Il s’agit de la Chambre de première instance des Chambres extraordinaires dans les tribunaux cambodgiens.

Cette juridiction spéciale est née d’un accord entre l’ONU et le gouvernement du Cambodge pour juger les dirigeants Khmers rouges. C’est vrai , ce n’est pas ordinaire !

Ce n’était pas non plus un illustre inconnu qui déposait . Son nom évoque bien des luttes et combats . C’est aussi un bon connaisseur du Cambodge ! Raoul Marc Jennar . Nous y reviendrons !

Et l’accusé lui-même n’était pas un criminel ordinaire , même s’il en est d’autres de ce genre !

Kaing Guek Eav , dit Duch , « membre d’un petit groupe d’hommes et de femmes , d’une conspiration criminelle inspirée pour asservir tout un peuple à une organisation décidée à imposer la plus totale forme d’aliénation qu’une société humaine ait jamais eu à subir » , dit Raoul Marc Jennar qui ajoute :

« Cette conspiration a pris naissance dans l’adhésion de ce petit groupe, qui a fourni les futurs dirigeants du Kampuchea Démocratique , à une idéologie qui au nom de l’émancipation des peuples s’est traduite par une des formes les plus implacables de la servitude. »

Tout cela ne m’amène pas à oublier les tout aussi ignobles crimes du capitalisme et de l’impérialisme, par exemple les Etats-Unis bombardant les forêts du Vietnam , où sont réfugiés populations et combattants , au napalm et aux défoliants après avoir utilisé , pour la seule et unique fois au monde , l’arme atomique contre les populations civiles d’Hiroshima et de Nagasaki. Mais si je veux être crédible, les crimes des uns ne doivent pas me faire oublier les crimes des autres, crimes non à l’encontre de l’agresseur mais de leur propre peuple !

LES KHMERS ROUGES

Selon un article de Wikipédia que je consulte et auquel j’invite mes lecteurs à se reporter :

« les Khmers rouges , dont le nom officiel fut successivement Parti communiste du Cambodge et Parti du Kampuchea démocratique ( autres noms : Parti communiste du Kampuchea , PCK , Parti communiste khmer , Armée nationale du Kampuchea démocratique , PDK ) étaient membres d’une organisation communiste, fondée en 1954 dans l’ombre du Parti communiste français :

« Ses principaux dirigeants ( Pol Pot , Kieu Sampan , Son Sen...) furent formés à Paris dans les années 1950 au Cercle des Etudes Marxistes fondé par le Bureau Politique du PCF en 1930, avant de rejoindre les communistes vietnamiens qui leur permettent de prendre le pouvoir au Cambodge en 1975 au moment où eux-mêmes s’emparent de l’ensemble du Vietnam. Ils le garderont jusqu’au 7 janvier 1979 , date à laquelle l’ancien allié vietnamien envahira le pays pour mettre fin « à une série de litiges frontaliers. »

LA PRISE DE POUVOIR

D’abord clandestin au Cambodge, ce n’est qu’après 1970 que le mouvement prend de l’ampleur grâce surtout à l’extension de la guerre du Vietnam au Cambodge qui leur apporta des soutiens prodigieux.

L’article de Wikipédia cite :
- Norodom Sihanouk , qui avait été chassé du pouvoir par un coup d’Etat et qui depuis Pékin lance un appel à prendre le maquis pour combattre l’impérialisme américain,
- le Nord-Vietnam,
- la Chine...

Les forces « rebelles » forment le FUNK ( Front uni national du Kampuchéa présidé par SAR Norodom Sihanouk et regroupe toutes les forces de libération nationale, dont les Khmers rouges et les Khmers romdoh de Sihanouk ).

Finalement , le 17 avril 1975 , ces forces investissent Phom Penh, chassent les habitants des villes sous prétexte des bombardements américains... et éliminent petit à petit opposants et sihanoukistes.

Des élections, auxquelles ne participent que des paysans et les membres du parti, sont organisées , et permettent l’instauration d’une dictature particulièrement dure et extrême sous le nom de « Kampuchéa démocratique ».

En fait, c’est le parti , représenté par une organisation quasi-mystique, l’Angkar , qui devient la seule référence toute puissante et est dirigée principalement par Pol Pot, Nuon Chea, Sau Pheum, Ta Mok, Ieng Sary, Son Sen et une poignée de lieutenants.

LE REGIME

L’Angkar ordonne également l’exécution de tous les intellectuels, de tous les militaires de l’ancien régime, de défroquer les moines... Le peuple est divisé en deux catégories : le peuple ancien, c’est-à-dire la population de base essentiellement paysanne, et le peuple nouveau, principalement anciens citadins qu’il convient de rééduquer, l’idée de propriété devant notamment être abandonnée .

C’est en même temps la collectivisation forcée et brutale, l’alimentation en commun pour assurer l’égalité des rations, les réunions de critique pour chasser l’individualisme, se reconstruire, se soumettre à l’Angkar... avec contrôle policier des comportements et des pensées .

Dans un tel contexte, la situation économique ne peut que se dégrader. De plus, des objectifs irréalistes comme multiplier les rendements à l’hectare par trois et la conviction que le premier pas vers l’industrialisation était l’exportation de riz amenèrent, Pol Pot à affamer la population cambodgienne pour parvenir à cet objectif .

Dès lors la recherche de « boucs émissaires » dans le parti pour leur faire porter la responsabilité des échecs du système déclencha des purges meurtrières, lesquelles alimentèrent le sinistre centre d’interrogation et d’exécution S-21.

Au total, selon les estimations, entre 1,5 et 2,5 millions de Cambodgiens ont été victimes, de ce que l’ONU a considéré comme un génocide ce qui l’a amené à créer un tribunal Spécial pour les Khmers rouges ( TKR ), non sans retards et incidents de fonctionnement qui ont permis à la plupart des responsables de mourir sans être inquiétés .

LA DEPOSITION DE RAOUL MARC JENNAR

La déposition de Raoul Marc Jennar, proposé comme témoin par la défense, met en évidence le fait que l’histoire n’est pas close.

Comment pourrait-elle l’être d’ailleurs , au moins dans la mémoire d’un peuple qui a vécu cette tragédie ?

On consultera avec intérêt l’article de Wikipédia qui présente sa biographie , et qui fait état entre autres de sa connaissance du Cambodge.

Pour ma part, si je partage un certain nombre de ses idées sur un plan plus général, j’ai eu aussi l’occasion de polémiquer avec lui à plusieurs reprises, mais la démocratie implique le débat, la confrontation, voire l’affrontement des idées.

Ici, bien évidemment, je prends en compte qu’il s’agit d’une déposition devant un tribunal et au nom de la défense.

L’ensemble de sa déposition est consultable sur son site.

LE CHOIX DE CONTRAINDRE PLUTOT QUE DE CONVAINCRE

Que dit Raoul Marc Jennar ?

« Je ne suis pas de ceux qui confondent les idéologies et les renvoient dos à dos. Les racines du communisme n’ont rien de commun avec celles du fascisme ou du militarisme. Mais lorsque les porteurs d’une idéologie font le choix de contraindre plutôt que de convaincre, ils se retrouvent dans le recours à des méthodes identiques et dans une commune aptitude à détruire la volonté des individus et la dignité qui est en chaque être humain.

« Il s’agit donc ici et maintenant de juger ce qu’il conviendrait à mes yeux d’appeler le polpotisme et de vérifier en quoi la mise en oeuvre de cette variante cambodgienne de l’idéologie communiste a conduit à une barbarie qui justifie les qualifications de crimes contre l’humanité et de violations graves des Conventions de Genève. »

Convaincre plutôt que contraindre, je partage ce que dit Raoul Marc Jennar, cependant qu’en parlant là d’idéologie communiste, il n’innove pas, il n’est pas le premier ni ne sera le dernier à le faire .

LA PREUVE PAR MARX

Je n’innove pas moi non plus. Je soutiens avec d’autres que jamais encore le communisme n’a été expérimenté. En conséquence, il ne peut avoir échoué ni avoir commis les crimes que l’on lui reproche.

La preuve de ce que j’avance ?

Mais la preuve par Marx !

Car pour Marx, ce sont les « masses », c’est-à-dire les peuples, qui font l’histoire et les peuples sont par définition majoritaires et, en conséquence, en mesure de créer les rapports de force nécessaires pour mettre en oeuvre les changements de société indispensables pour mettre fin au capitalisme !

Selon ma conception et ma conviction, la condition nécessaire pour construire le communisme, c’est de donner le pouvoir au peuple, ou bien plutôt c’est à lui de le prendre, ce qui n’a jamais été fait nulle part, a fortiori au Cambodge où je ne peux distinguer nulle part et en aucune façon que le pouvoir ait appartenu au peuple cambodgien.

Ce qui apparaît au contraire très clairement, c’est que la grande masse du peuple cambodgien, de la ville ou de la campagne, a été soumise à des contraintes multiples - qui se sont traduites par des morts, et par centaines de milliers - contraintes à l’encontre de ceux qui pouvaient émettre des désaccords relatifs aux politiques poursuivies, mais aussi à l’encontre d’autres simplement parce qu’ils étaient intellectuels ou d’origine urbaine !

Je le dis à nouveau , ceci n’a rien à connaître avec le communisme et en est même la négation !

LA SURDETERMINATION IDEOLOGIQUE PAR LA DICTATURE DU PROLETARIAT !

J’ai déjà évoqué la formation des principaux responsables du PCK à Paris par les soins du Parti communiste français .

Raoul Marc Jennar est beaucoup plus explicite à ce sujet dans sa déposition :

« Je partage, dit-il, avec Steve Heder [1] la conviction que la source première du communisme cambodgien à la manière de Pol Pot, c’est la révolution bolchévique. Sans ignorer le rôle des communistes vietnamiens dans la formation idéologique et militaire des communistes cambodgiens, sans minimiser l’importance qu’a pu prendre le modèle chinois dans la politique agraire du Kampuchea démocratique (mis à part un degré de collectivisation et un démantèlement des familles rurales jamais atteint en Chine ), il n’est pas contestable que, pour ce qui concerne l’organisation politique et en particulier l’organisation du Parti communiste en ce que compris ses règles et pratiques dans le domaine de la sécurité , l’inspiration est clairement bolchévique... »

LE PCF SERAIT-IL RESPONSABLE ?

Raoul Marc Jennar rappelle que « le petit groupe qui va plus tard former la direction du Kampuchea démocratique, ce sont pour l’essentiel les membres du cercle marxiste des étudiants khmers de Paris, un groupe de discussion fondé en 1951. »

Il ajoute : « Plusieurs d’entre-eux étaient à l’époque membres du Parti communiste français ( PCF ). Or, on le sait, c’est notoire, de tous les Partis communistes actifs dans les pays occidentaux, le PCF fut le parti le plus inconditionnellement fidèle aux politiques décidées à Moscou. Il fut le plus fidèle à Staline. Et, à l’époque, plus d’un quart de l’électorat français lui faisait confiance... »

« Les cours de formation organisés par le PCF contenaient l’historique de la création de ce parti issu de la volonté d’une majorité de socialistes d’adhérer à la 3e Internationale , l’Internationale communiste .

« Or une telle adhésion impliquait le respect de 21 conditions édictées par Lénine lui-même. Et parmi ces 21 conditions, on trouve l’obligation d’appliquer au sein du Parti une « discipline de fer », de soumettre entièrement la presse et tous les services d’éditions au Comité Central du Parti, d’écarter systématiquement les éléments réformistes et centristes, de mettre en place une organisation clandestine avec la pratique du secret qu’elle implique. »

Raoul Marc Jennar indique encore que les éléments de l’enquête révèlent qu’au Cercle marxiste des étudiants khmers, parmi les livres de Marx, Lénine, Staline et Mao, deux ouvrages faisaient l’objet d’une lecture attentive et de débats passionnés :
- de Lénine, l’Etat et la Révolution ,
- de Staline, Principes du Léninisme .

De ce second ouvrage sont retenus :
- le Parti est l’avant-garde du prolétariat qu’il doit guider et conduire
- le Parti est un tout unique organisé. Sa tâche est d’organiser et encadrer le prolétariat. Il est l’instrument de la dictature du prolétariat
- le Parti doit être organisé de la façon la plus centralisée et il doit être régi par une « discipline de fer » touchant de près à la discipline militaire...

CONSULTANT POUR LE GROUPE GUE/NGL

A ce stade , je souhaiterais questionner Raoul Marc Jennar :

Savait-il ce qu’il dit là quand il accepte d’être consultant pour le groupe GUE/NGL au Parlement européen où il est amené à travailler avec des députés membres du PCF lequel, certes, a modifié profondément ses statuts et renoncé depuis 1976, Georges Marchais étant secrétaire général, au concept de dictature du prolétariat ?

Et ensuite je souhaite formuler ce qui est plus qu’une remarque : des centaines de milliers de communistes français ont adhéré au PCF lorsque les statuts de celui-ci faisaient encore référence aux 21 conditions édictées par l’Internationale et se sont-ils comportés dans leurs activités, y compris électives et gouvernementales à l’égal des dirigeants du PCK ?

Je pense que l’on peut considérer qu’une telle surdétermination par ces statuts - aurait-elle existé - n’aurait jamais pu conduire aux errements criminels, aux horreurs qui ont été ceux des dirigeants du Kampuchea démocratique !

En tout cas, que des concepts comme ceux de « dictature du prolétariat » puissent être évoqués pour leur donner la justification théorique et concrète rappelée justifie pleinement la décision qui a été prise il y a plus de 30ans par le PCF auquel j’appartenais alors .

Pour ma part, dans le cadre des Assises du communisme que je préconise avec d’autres communistes pour l’élaboration par tous les communistes qui le souhaitent le rester, d’un communisme du 21e siècle et de la formation que le peuple français se donnera pour ce faire, je continuerai à considérer le rôle très marginal que Marx réserve au concept de « dictature du prolétariat » pour donner toute leur place à deux notions pour lui essentielles afin que le peuple ait réellement le pouvoir, puisse se le donner : l’appropriation sociale ou collective contre toute étatisation et le dépérissement de l’Etat pour aller vers une auto-administration de la société par elle-même.

Je pense que c’est cela, et rien d’autre, qui permet de se dire révolutionnaire dans la France de notre temps !


[1chercheur londonien ayant réalisé nombre de travaux sur cette période et en particulier de multiples entretiens avec des réfugié-e-s



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