Accusé FNAEG levez vous !

lundi 19 octobre 2009
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Le 29 septembre avait lieu à Bayonne le procès de Jean-Michel Ayçaguer, agriculteur à Ossès qui, ayant été condamné une première fois suite à une manifestation syndicale, était cette fois ci convoqué pour refus de fichage ADN. Au-delà des circonstances précises de ce nouveau procès pour refus de fichage, de la réquisition du parquet (40 jours amende ou 1000€) et sans attendre le délibéré du 27 octobre prochain, ce procès nous semble intéressant à plus d’un titre. En effet, la personnalité de l’accusé, les soutiens qu’il a reçus, l’engagement d’un certain nombre d’organisations à ses côtés, le contexte politique actuel, mais aussi la ligne de défense suivie, ont transformé cette audience en procès du FNAEG.

Au départ il y a, le 17 janvier 2008, 200 adhérent-e-s et sympathisants d’ELB-Confédération paysanne du Pays Basque, qui manifestent à l’occasion d’une réunion de la SAFER [1]. Au cœur de leur combat il y a la volonté de petits paysans de rester sur leur terre et d’en vivre, la lutte contre la pression foncière des spéculateurs, la volonté de promouvoir une agriculture saine et respectueuse des gens et de leur environnement [2]. La décision prise par la SAFER ce jour là, provoque la colère des syndicalistes et une bousculade avec les gendarmes s’ensuit. Jean Michel est l’un des manifestants avec la particularité que sa tête et son béret dépassent de la troupe sur une photo parue dans la presse. De passage au pays basque au lendemain des faits, Sarkozy parlera des « coupables » (déjà !) à poursuivre et emploiera même le terme de « terroristes » pour désigner les paysans syndicalistes ! En mars 2008, Jean Michel écope de 2 mois de prison avec sursis [3].

On aurait pu en rester là d’autant que Jean Michel, bien que clamant son innocence, décide de ne pas faire appel.
Oui mais voilà on n’en reste pas là et Jean Michel est convoqué (le 24 décembre !) pour se soumettre au test ADN (bien que lors de sa garde à vue son béret lui avait été confisqué à ces fins) ce qu’il refuse.

Se soumettre ou ne pas se soumettre, telle est la question

Jean-Michel Ayçaguer a fait valoir deux raisons pour son refus :

-  Sur un plan philosophique, il a expliqué au tribunal avoir été « choqué par l’acharnement mis pour cette recherche ADN. J’ai grandi avec l’idée que l’Homme a une âme qui lui appartient en propre…Je ne conteste pas la nécessité du fichage dans des cas d’extrême violence faite à la société et dans certaines limites, mais je combats le principe de sa généralisation à tout type de délits, comme je combats la généralisation de la notion de délinquance ».
-  Sur un plan personnel en faisant valoir que cette procédure portait atteinte à son intimité.

Trois témoins de la défense à la barre

Beñat Inschauspé, Conseiller général du canton d’Hasparren, membre du comité agricole technique SAFER et présent au moment des faits, a expliqué à la barre que, d’un point de vue agricole et humain, l’affaire étant terminée, de nouvelles poursuites contre le syndicaliste étaient de fait vaines. En effet par la suite l’affaire a été tranchée dans le sens demandé par les manifestants leur donnant ainsi raison a posteriori.

Michel Esteban, historien spécialisé dans la déportation des juifs pendant la seconde guerre mondiale, a fait un historique succinct des listes de fichages à partir de 1930 d’individus considérés comme "subversifs".
Listes qui ne cesseront de s’ouvrir à de nouvelles catégories, pour finalement intégrer les refugiés espagnols à partir de 1936, les syndicalistes "rouges" à partir du 11 septembre 1939, pour arriver aux "israélites" vivant sur le sol français.
L’historien a estimé que la mémoire collective ne devait pas se contenter de la commémoration des anniversaires douloureux liés à cette période, mais aussi en tirer les leçons pour aujourd’hui et ne pas accepter de voir "se banaliser la généralisation de ces fichiers".
Il a rappelé que seul le gouvernement de Vichy avait institué le fichage obligatoire pour une personne condamnée.
A la remarque du procureur lui faisant part de l’aspect « désagréable » de la démonstration d’un lien historique, Michel Esteban expliqua qu’il n’était pas le seul historien à trouver que le fichage jusqu’aux personnes jugées suspectes l’était également.

Charles Hoareau, syndicaliste CGT à Marseille, qui avait lui aussi refusé un fichage ADN pour en être finalement dispensé sans passer par la case jugement, exposa les raisons de son refus d’alors que l’on pourrait étendre à Jean Michel. Avec un militant syndicaliste on n’est pas devant quelqu’un qui fuit la justice. Tout le monde sait où habite et travaille Jean Michel il n’y a donc pas besoin de fichage pour le retrouver. De plus quel message livre une société à ses citoyens si elle ne fait pas de différence dans le traitement entre un syndicaliste qui se bat pour une certaine conception du progrès social, un voleur de mobylette et un assassin ? On ne peut confondre les genres, en l’absence d’une hiérarchie des sanctions et des normes on aboutit automatiquement à l’absence de hiérarchie des valeurs. Une société qui recourt à la peine de mort contribue à abaisser le respect de la vie puisqu’elle-même juge qu’il y a des moments où ce respect passe après d’autres valeurs.

Un procureur défensif

Le Procureur commence alors un réquisitoire surprenant : reprenant l’historique du FNAEG de Jospin (qui avait voulu un fichier à destination unique des crimes sexuels) à Sarkozy qui l’a élargi à la quasi-totalité des délits [4] il déclare à plusieurs reprises que le débat autour de ce fichier est légitime…ailleurs que dans un tribunal qui n’est là que pour appliquer la loi sans se poser de question ! Position dans laquelle il se contredira en parlant de "procès hors-normes" et en disant à deux reprises à Jean Michel que sa place n’est pas en prison, convenant donc, de manière implicite, qu’il y a une distinction à faire entre un syndicaliste et un assassin.

La défense et les termes du débat

Dans sa plaidoirie et ses conclusions Anne-Marie Mendiboure, aborda plusieurs points qui, au-delà des aspects juridiques, posent des questions de société :

Le FNAEG n’est pas conforme à l’article 8 de la CEDH et au code de procédure pénale. [5] informatique et liberté qui s’applique à tous les fichiers précise que le critère fondamental d’appréciation de la licéité d’un fichier est sa finalité.]]

En effet, le fichage de l’empreinte génétique constitue une intrusion dans le patrimoine personnel de l’individu et constitue une mesure de contrainte. Pour ce motif cette intrusion doit se justifier par des intérêts publics supérieurs ce n’est pas le cas pour des faits qui se sont produits dans le cadre d’un mouvement de solidarité. De plus ce fichage doit être entouré de garanties pour l’individu quant aux conditions d’utilisation et de conservation de cette empreinte

Sur ce sujet, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a estimé que cette conservation sur fichier automatisé constituait une violation de l’article 8 de la convention. Pour cela elle prend en compte plusieurs éléments : la finalité de la mesure litigieuse et sa nécessité, la proportionnalité de la mesure au regard du but légitime poursuivi, le juste équilibre entre l’intérêt général et l’intérêt particulier.

Le fichage sur le FNAEG, fichier d’essence essentiellement policière, présente un caractère disproportionné en regard du nombre d’infractions visées, de la durée de conservation des données et de l’absence de caractère discriminant entre les infractions retenues.

Pas moins de 137 infractions allant des auteurs de crimes contre l’humanité aux auteurs de vol ou les auteurs d’actes commis dans le cadre d’une action syndicale. Cela représente près d’un million de personnes en 2009 avec une moyenne de 30.000 fiches nouvelles par mois pour des personnes condamnées ou simplement soupçonnées d’avoir commis une infraction.

De plus la durée de conservation des informations est disproportionnée et également indifférenciée. Ainsi, quelle que soit l’importance de l’infraction et l’intérêt social lésé, la durée de conservation est identique. Cette durée est de 40 ans pour une personne condamnée et de 25 ans pour des personnes simplement soupçonnées. Pour Jean-Michel Aycaguer cela signifie qu’il figurerait sur le fichier FNAEG jusqu’à 90 ans.
"Dans un pays où le nombre de garde-à-vue a explosé depuis 2007, avec un système de fichage ADN généralisé et systématisé, il n’est pas acceptable qu’un acte de solidarité puisse être traité comme un acte de grande criminalité".

"Votre rôle est d’être la garante des libertés individuelles, Mme la Juge, il n’est pas possible de perdre de vue le choix de société induit par la généralisation de ce fichier",

Sur la proportionnalité de la mesure de contrainte en regard de l’intérêt social lésé.

Les faits reprochés à Jean-Michel Aycaguer pour un acte de solidarité dans le cadre d’un mouvement syndical avec un paysan menacé d’expulsion, apparaissent d’une gravité toute relative en comparaison d’actes de terrorisme, de torture ou de barbarie et de traite des êtres humains. Il y a une disproportion manifeste entre la mise en fichier de l’empreinte génétique et l’intérêt social protégé dans le cadre d’une mesure de contrainte portant atteinte au respect du droit à la vie privée et par conséquent à la dignité de l’être humain. [6]

Sur la proportionnalité de la sanction.

Le refus d’accepter le prélèvement de l’empreinte génétique pour une personne condamnée est sanctionné par un an d’emprisonnement et 15.000 € d’amende.
Cette peine d’une grande sévérité se cumule, sans possibilité de confusion avec celle prononcée pour l’infraction initiale ayant suscité le prélèvement et entraîne de plein droit le retrait de toutes les réductions de peine et interdit également l’octroi de nouvelles réductions de peine.
Cette peine est sans commune mesure avec les faits initiaux pour lesquels Monsieur Jean-Michel Aycaguer a été condamné à une simple peine d’emprisonnement avec sursis.
Au surplus, un tel arsenal répressif aboutit à un système de sanction automatique qui est contraire à l’article 6 de la CEDH et qui présente un caractère manifestement disproportionné jusque dans la répression de l’infraction commise.

Sur l’absence de respect de la finalité du fichier.

Le FNAEG « …est destiné à centraliser … les empreintes génétiques des personnes condamnées pour l’une des infractions mentionnées à l’article 706-55 en vue de faciliter l’identification et la recherche des auteurs de ces infractions … ».

Monsieur Jean-Michel Aycaguer n’a jamais caché sa participation au mouvement de solidarité à l’origine du jugement de condamnation du 13 mars 2009 Cette participation a même été revendiquée par lui et ses compagnons lors du procès ayant conduit à cette condamnation.
Ce sont les motifs pour lesquels, le prélèvement de l’empreinte génétique de Monsieur Jean-Michel Aycaguer en vue de son identification et de sa recherche est parfaitement inadéquat et ne se justifie pas.
De plus, le risque pour Monsieur Jean-Michel Aycaguer de réitérer un comportement délictueux s’avère nul dans la mesure où le litige relatif à la ferme « Kako » a trouvé un dénouement positif.

Pour en finir avec le fichage systématique.

Dans un moment où même celui qui a été un des artisans de l’extension du fichier considère que le fichage des sans papiers – population volatile et difficile à identifier par nature – est devenu inutile, le procès Aycaguer a eu le mérite de souligner la dangerosité pour nos libertés et l’absurdité du FNAEG. A chacun de nous de poursuivre ces débats dans et hors des prétoires pour permettre l’éradication de ce fichage liberticide. Un combat unitaire pour les libertés est nécessaire. Cette retransmission du procès de Bayonne veut modestement y contribuer.

Anne Marie Mendiboure, avocate au barreau de Bayonne
Charles Hoareau


[1Société d’aménagement foncier et d’établissement rural

[2un dossier complet sur cette affaire est paru sur www.eitb.com

[3pour des coups de parapluie qu’il aurait donnés….et que personne n’a reçus !

[4à l’exception de l’usage de stupéfiants, de personnages punies de simples contraventions, et de ceux punis d’abus de biens sociaux ce qui laisse dubitatif

[5Art 8 « 1 Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2 Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
L’article préliminaire du Code de Procédure Pénale dispose que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des parties.
Il est également posé comme principe directeur que les mesures de contrainte dont peut faire l’objet une personne poursuivie doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l’infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne. En outre, la loi [[78-17 du 6 janvier 1978

[6De plus dans le cas particulier de Jean Michel son béret lui avait été pris pour justement procéder au relevé d’empreintes ADN, relevé jugé non concluant par les policiers…ce dont on n’a aucune preuve et donc laisse planer le doute sur une volonté d’acharnement



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