Cadarache : ce que l’on ne vous a pas dit

mercredi 28 octobre 2009
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Après l’incident survenu au CEA une explication technique de l’ARCEA (association des retraités du groupe CEA) qui tranche avec le discours ambiant et une déclaration de la CGT Cadarache qui pointe les causes.

LA GESTION DU PLUTONIUM A L’ATELIER DE TRAITEMENT DU PLUTONIUM DE CADARACHE

« 35 kg de plutonium égarés » titrait « La Provence » au matin du 16 octobre 2009, en pleine période des cérémonies du 50e anniversaire de la création du Centre de Cadarache.
Comment un incident administratif peut-il dégénérer en attaques virulentes destinées à déstabiliser la population par des peurs irraison-nées ?

1. LE LANCEMENT MEDIATIQUE DE L’AFFAIRE

L’affaire a démarré avec la publication de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (www.ASN.fr), le 14 octobre 2009, juste avant les cérémonies des 50 ans de Cadarache, d’un événement relatif à l’Atelier de Traitement du Plutonium (ATPu), avec un classement au niveau 2, assorti d’un arrêt de l’installation et d’un procès verbal qui ouvre une enquête du parquet d’Aix en Provence.

2. PRESENTATION DE L’INSTALLATION

L’ATPu fonctionne depuis 1964 ; il a fabriqué notamment les combustibles des réacteurs rapides Rapsodie, Phénix, Super Phénix, SNR-300 en Allemagne. Depuis 1986, il a traité 345 tonnes de MOX (oxyde mixte d’uranium et de plutonium) soit environ 50 tonnes de Pu). Le combustible nucléaire est fabriqué sous forme de pastilles de céramique, à partir de poudres d’oxydes qui sont pressées puis frittées à haute température sous atmosphère réductrice. L’atelier est arrêté depuis 2003, car désormais tout le MOX est fabriqué à Mélox (usine du groupe Areva, sur le site de Marcoule).

3. LES FAITS

L’ATPu représente 450 boîtes à gants (BAG) dont 150 avaient été démantelées à mi-2009. L’évaluation initiale des rétentions de poussières était de 8 kg, mais dès 2008 l’ASN avait été prévenue que cette valeur serait dépassée. Un bilan précis du réalisé a été fait en juin 2009 ; c’est alors que la valeur de 22 kg a été établie, et qu’une nouvelle estimation de 35 kg a été faite pour l’ensemble de l’installation. Les BAG concernées sont principalement celles où le MOX était manipulé sous forme de poudre, soit une quarantaine de BAG. Il s’est trouvé que de la poudre MOX s’est logée dans des endroits totalement inaccessibles en fonctionnement normal, et qu’elle a été découverte, en quantité 3 fois plus grande que prévue, à l’occasion du démontage complet de la BAG. [1]

4. L’ANALYSE DE LA SURETE

Les marges par rapport à un accident de criticité étaient très importantes : la rétention maximale calculée dans une BAG était de 1,8 kg (*), alors que la masse autorisée en exploitation était de 12 kg. (Cette valeur intègre le risque de double chargement à un poste.) Ceci a été validé à l’occasion d’une inspection réalisée par l’IRSN début octobre, et qui conclut à l’absence de risque de criticité. [2]
A noter que l’ATPu a fait l’objet de 20 inspections de l’ASN en 3 ans, et que la dernière inspection inopinée a eu lieu à 2 heures du matin.

5. LA GESTION DES MATIERES NUCLEAIRES

Les déclarations font l’objet d’une validation par le Haut Fonctionnaire de Défense (HFD) relevant du Ministre de l’Energie (Jean-Louis BORLOO). Les bilans de campagne de production font l’objet d’une analyse des écarts, qui doivent être compatibles avec la précision des mesures (comptages radiométriques directs, mesures de concentration après mises en solution, pesées, etc). En l’occurrence, aucune perte n’a été déclarée. [3]

6. LA RELATION AVEC L’AUTORITE DE SURETE

En définitive, le reproche qui est fait et qui sert de base à l’évaluation de l’incident au niveau 2 est le retard à la déclaration : une information téléphonique avait été faite le 11 juin à l’ASN de Marseille, mais ce n’est que le 6 octobre que le centre a procédé à une déclaration d’incident, en la classant au niveau 1 de l’échelle INES (le communiqué a été diffusé à la presse le 7 octobre).

Rappelons que le niveau 2 correspond à un incident sans conséquence hors site, mais ayant entraîné une contamination ou une surexposition de travailleur, et en matière de défense en profondeur, de défaillances importantes des dispositions de sûreté ; alors que le niveau 1 correspond à une anomalie sortant du régime de fonctionnement autorisé (www.irsn.fr).

On peut donc mesurer ainsi l’écart entre l’échelle internationale INES et l’application en France de la loi TSN (transparence et sûreté nucléaire) de 2006.

C’est d’ailleurs le sens de la déclaration de Jean-Louis Borloo.

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Déclaration de la CGT du CEA Cadarache

L’incident survenu à l’ATPU (Atelier de Technologie du Plutonium), déclaré par le CEA Cadarache (Exploitant nucléaire) le 6 octobre et reclassé au niveau 2 par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) le 14 octobre 2009, n’a pas surpris les salariés qui travaillent sur cette installation, qu’ils soient des entreprises extérieures (sous-traitantes) ou d’AREVA NC (Nuclear Cycle).

Ces salariés sont d’ailleurs sous le coup d’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi depuis 2003, AREVA NC étant l’opérateur industriel, depuis près de 2 décennies, de cet Installation.

En effet, ces salariés, notamment les représentants du personnel au CHSCT AREVA NC, en collaboration avec ceux au CHSCT CEA Cadarache, ont alerté les Directions AREVA NC et CEA Cadarache à maintes occasions (incidents nucléaires, accidents ou presque-accidents du travail) depuis quelques années.

Ces alertes portaient toujours sur l’organisation du travail dans cet Atelier quelles qu’en soient les activités :

- production de combustible, traitement des rebuts, assainissement ou démantèlement.

Les objectifs de production dictés par la rentabilité financière et fixés par la Direction AREVA NC sont souvent incompatibles avec ceux de sécurité et de sûreté qui doivent être respectés sur les Installations Nucléaires de Base (INB) telles que l’ATPU.

Le reclassement au niveau 2 a permis de porter à la connaissance du public l’incident ; il a été motivé par une non-maîtrise de la quantité de matière nucléaire contenue dans des boîtes à gants, en cours de démantèlement, et le retard important dans la déclaration officielle faite par l’Exploitant nucléaire (CEA Cadarache).

Pour la CGT, cet incident est la conséquence du fonctionnement imposé par AREVA NC, avec l’assentiment du CEA, qui, à grand renfort de sous-traitance, a imposé des cadences de production et des délais tendus qui ne laissaient pas la place à la mise en propreté et à l’estimation rigoureuse des rétentions de matière des boîtes à gants de cet Atelier.

La CGT soutient l’action des CHSCT AREVA NC et CEA Cadarache qui ont d’ores et déjà demandé la tenue d’une réunion extraordinaire des deux CHSCT concernés pour analyser les causes de cet incident.

Les représentants des personnels des deux entreprises émettent la volonté de participer à l’analyse des causes profondes pour proposer des améliorations dans l’organisation des opérations de démantèlement à venir et favoriser le développement de la culture de sûreté tant au CEA qu’à AREVA NC.

Enfin, la CGT, totalement opposée à toute privatisation du secteur énergétique, rappelle son attachement à la maîtrise publique du nucléaire : recherche, production et contrôle.


[1Imaginez que vous vouliez refaire votre cuisine à neuf. Vous savez que certains endroits inaccessibles n’ont jamais été nettoyés : derrière le four, le lave-vaisselle, le frigo encastré, entre les lames de parquet, etc. Vous avez prévu de récolter des poussières, pour un volume de 30 ml (un verre à vodka) ; dans certains cas vous récupérez 100 ml (un verre à eau) : cela correspond à 1 kg de poudre MOX.

[2Avis de l’IRSN sur l’événement significatif déclaré le 6 octobre 2009 concernant
l’Atelier de technologie du plutonium du centre de Cadarache (ATPu-INB 32), daté du 14 octobre 2009. http://www.irsn.fr/FR/expertise/avis/Documents/Avis_IRSN_ATPu_Cadarache_14102009.pdf

[3En effet, le plutonium est géré au milligramme. Mais les mesures, quelle que soit la précision des instruments, sont toutes entachées d’incertitudes, en particulier les mesures de concentration après dissolution. La rétention, évaluée à 35 kg par rapport aux 50 tonnes de plutonium qui ont transité dans l’installation, représente moins de 1 pour mille : l’installation a livré plus de 99,9% de la quantité entrée, ce qui constitue une performance pour des procédés chimiques.



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