Choses vues à Caracas (et tues à Paris)

jeudi 12 novembre 2009
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Dimanche 8 novembre 2009, aéroport Simon Bolivar, Caracas, Venezuela. Ciel chargé. La saison des pluies n’est pas terminée. Il est 16 H (21H30 « en France).Température :35 °. Il faisait 6° à 6 heures au départ de Toulouse.

Thierry Deronne, qui représente la puissance invitante (Vive TV) est venue m’accueillir. Ceux qui ont lu mon livre « La face cachée de Reporters sans frontières. De la CIA aux faucons du Pentagone » (Editions Aden) n’ont pas oublié qu’il l’a préfacé.

Il a prévu de m’emmener assister à un vote de « consejo comunal » dans un « barrio » (quartier pauvre). On fonce sur Caracas en 4X4 (oui, je sais...). Sur le bord de l’autoroute, et parfois sur les voies, au moindre bouchon, des vendeurs de beignets.

On traverse Caracas, ville dont je dirai seulement, pour ne vexer personne, qu’elle est moins belle que La Havane et que Toulouse.
On arrive à destination : une rue en pente raide, bordée de baraques faites de bric et de broc. Des petits terrains vagues se sont déguisés en dépotoirs. En haut de la rue, un bar à bière improvisé dans une sorte de garage peu reluisant et bas de plafond. La bière est fraîche et pas chère : 2,5 bolivares (en arrondissant, un euro vaut trois bolivares). Un orchestre est installé dans la rue, sous un abri de plastique. Une télé aussi, à écran plat, dont le son est amplifié par des hauts-parleurs. Elle diffuse un reportage de Vive TV sur le quartier, filmé le matin ou la veille. En bas, des tables pour le dépouillement du vote. Puis, la rue remonte vers les « ranchos », les bidonvilles qui ornent les collines de Caracas.

Il y a un monde fou. Le vote est une fête et tout le quartier est là. Beaucoup de jeunes, beaucoup de femmes. Les belles se mêlent à celles qui, si j’en juge aux volumes, ont échappé à la terrible anorexie et qui comptent sur leurs habits serrés pour le faire savoir.
Il y a eu 340 votants qui ont élu, non pas des conseillers qui se seraient portés candidats par ambition, mais des habitants pressentis par leurs voisins. Les conseillers sont appelés « voceros » (littéralement « porte-paroles ») pour bien montrer que l’élection en fait des obligés, pas des chefs.

Les bulletins de vote sont des feuilles A4 où figurent les noms et les photos couleur des candidats. Les votants les élisent mais, en même temps, leur attribuent des commissions. Il y en a 18 : urbanisme, école, santé, sport, alimentation, logement, transport, eau, énergie, communication, mères du quartier, finances, social, culture, légalité, égalité, sécurité, etc. (il en manque 1).

Le dépouillement prend un temps fou sous la haute surveillance de la foule tatillonne. On assiste à une protestation virulente pour une erreur d’un bulletin dans le décompte.

La nuit est tombée. Les tables sont éclairées par des ampoules à basses consommation.

Thierry Deronne, qui est très connu ici, me présente, et je suis chaleureusement accueilli dans ce quartier où je n’aurais pas mis les pieds seul, surtout la nuit. On boit (et on offre) des bières. Les vendeurs ne veulent pas que Thierry et son ami « el escritor francès » paient. On paie quand même. En France, le premier bistrot qui me dit : « Laisse, c’est pour moi », je lui obéis. Grégoire, un étudiant toulousain en stage à Vive TV questionne les gens et prend des notes. Il apprend que les élus peuvent être révoqués par les électeurs s’ils ne font pas le travail pour lequel ils ont été choisis.

On est abordé par une électrice entre deux âges qui s’alarme de voir deux touristes (Grégoire et moi) en danger de tomber dans le panneau de la propagande cháviste. Et pour nous sauver, elle nous récite le chapelet de la propagande des télés d’opposition. Rien ne nous est épargné. Chávez offre le pétrole à Castro, à Morales et aux autres. A Grégoire qui parle d’échanges internationalistes, elle réplique que, certes, mais le Venezuela d’abord. Poujade disait : « La Corrèze avant le Zambèze ».

L’opération Milagro (des dizaines de milliers de Vénézuéliens opérés des yeux par les médecins cubains qui vivent dans les « ranchos » (bidonvilles où ils ont ouverts des dispensaires) ? Pff, les gens deviennent aussitôt aveugles parce que les médecins cubains, en deux ans, hop, ils ont leur diplôme. Des charlatans ! Cependant, elle ne sait pas bien expliquer pourquoi la mortalité infantile à Cuba est la plus basse de toute l’Amérique latine et la longévité la plus longue.

Un père de famille accompagné de trois enfants lui raconte comment il peut les faire soigner désormais. Il ne théorise pas, il rapporte du vécu. Du vécu vital, de liberté, donc. Celle de survivre aux maladies.
Elle vocifère dans la foule pour nous persuader que Chávez a tué la liberté d’expression. Il veut faire de ce pays un autre Cuba où les gens ont peur de parler. Je lui réplique que, dans ce pays où elle n’est jamais allé et qu’elle connaît donc moins bien que je ne connais le Venezuela, j’ai eu avec une Cubaine la même discussion qu’avec elle. Même véhémence, même volume sonore. Et c’était d’ailleurs dans la bibliothèque de la maison Victor Hugo, à La Havane.

Le plus beau dans son discours, que j’avais entendu, mot pour mot, dans un débat à la télé vénézuélienne il y a deux ans, a été : « Maintenant, Chávez, il veut décider aussi de ce qu’on met dans notre assiette ». La raison de cette indignation gastronomique est la suivante : le gouvernement distribue des repas gratuits aux pauvres. Je raconte à cette victime du bourrage de crâne des médias vénézuéliens qu’en France, pays riche, pays connu pour être la patrie des droits de l’homme, on distribue aussi des repas aux pauvres et que cette opération fait l’objet d’un consensus national.

Thierry lui énumère tout ce que les prédécesseurs de Chávez ne faisaient pas avec l’argent du pétrole et qu’ils ne feront pas s’ils reviennent au pouvoir parce que des pauvres comme elle regardent trop la télé des riches.

Autour de nous, les gens mènent leurs propres discussions, en général moins tranchées. La rue sait que son pays fait une révolution d’un type nouveau et qu’elle y participe.

J’ai repensé aux rues de Paris en mai 68. Nostalgie.

J’ai remis à Thierry trois exemplaires de mon dernier livre :« Victor Hugo à La Havane » qu’il fera envoyer au Palais (présidentiel) de Miraflores le lendemain matin. Chávez est un amoureux de Hugo (et de La Havane). Il a fait éditer en masse « Les Misérables », vendus à un prix dérisoire. Moi qui croyais, pour avoir été attentif aux médias français (qui lisent les journaux vénézuéliens), que le président du Venezuela était un « singe bolivarien » inculte, contrairement au nôtre dont le livre de chevet est « La princesse de Clèves » !

Ah oui, dernière chose ! Le vote et le dépouillement ont attiré une télé : Vive TV, bien sûr.

Ils ont des moyens techniques modernes. Le documentaire est envoyé directement de la caméra aux studios. Ainsi, le Vénézuéliens pourront apprendre presque en temps direct quel type de démocratie participative se construit pour et avec le peuple.
Mais le répétez pas à nos médias afin qu’ils puissent continuer à expliquer que le Venezuela est en marche vers la dictature derrière « un gorille en chemise rouge ».

Lundi 9, 14H30, avec une équipe de Vive TV : rendez-vous devant Fama de America, une usine de torréfaction et d’emballage de café que les travailleurs veulent faire nationaliser sous des prétextes futiles comme répression, détournements de stocks, ruptures volontaires des approvisionnements afin que la population soit mécontente et se révolte contre le « macaque » (c’est ainsi que les bourgeois blonds parlent ici des basanés. Un dirigeant politique a même écrit : « Chávez doit mourir comme un chien ». En d’autres temps, l’industriel Ford soutenait que les ouvriers qui soulèvent des « gueuses » de fonte sont semblables aux animaux).

La bourgeoisie vénézuélienne, plus forte que les états-uniens avec leur blocus contre Cuba, a inventé le « blocus de l’intérieur ».
J’aurai l’occasion de reparler de ces luttes si Internet, espace de liberté continue à m’accueillir. Elles laissent pantois un Français qui voit que, dans son pays, on privatise les services vitaux.

Serait-il possible de terminer ce billet par un cri de parti pris du genre : « Vive la Révolution bolivarienne ! » ? La brave opposante du barrio nous ramènerait à la réalité en faisant remarquer que, « Chávez, bientôt, il nous dira aussi ce qu’on doit avoir dans la tasse ! ».

Maxime VIVAS
Caracas



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