Au Crédit municipal de Paris, on vient déposer ses bijoux et sa misère

jeudi 10 décembre 2009
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Au moment où le nombre de dossiers de sur-endettement s’envole (+16% en un an pour un total de plus de 212 000 sur un an) un autre révélateur de l’aggravation des inégalités sociales...

Bien mis, l’air digne et résigné, il se tient là, droit comme un I, dans la grande salle bondée du Crédit municipal de Paris. Attendant son tour. Entre ses mains serrées, un petit papier portant le numéro 424.

« Pourquoi je suis là ?, répète-t-il en détachant une à une les syllabes, le regard fixé sur un horizon imaginaire, comme pour éviter le vôtre. Pour déposer en gage la bague que m’a léguée mon père à la mort de ma mère. Une chevalière en or qui va me permettre d’emprunter 130 euros pour régler mes mensualités de crédits à la consommation. »

Puis, après un lourd silence : « Je viens de me déclarer en faillite personnelle à la Banque de France. Ça a commencé par des difficultés pour régler une prothèse dentaire. Ma retraite n’a pas suffi. J’ai pris des crédits pour rembourser ma dette, puis des crédits pour rembourser mes crédits. J’ai fini par vendre tout ce que j’avais. Il me reste quelques livres. Et cette chevalière... »

Comme 423 autres personnes avant lui, ce lundi 7 décembre, Denis M., 68 ans, ancien ingénieur informaticien, est venu chercher une solution d’urgence à ses problèmes d’argent, auprès de la plus vieille institution financière de Paris. L’ancien Mont de Piété avait été créé en 1777 pour protéger les Français des usuriers. Il n’a jamais autant fonctionné que depuis la crise. Entre 500 et 600 clients s’y pressent chaque jour, 30 % de plus qu’en 2008, de toutes nationalités, de tous âges. Et désormais, de toutes catégories sociales ; classes moyennes et familles bourgeoises, locataires et propriétaires.

Certains ont été évincés de leur banque après trop d’impayés. D’autres n’osent plus en passer la porte. La plupart sont surendettés. Ils se sont laissés asphyxier à petit feu par des crédits revolving vite souscrits dans des magasins ou sur Internet, auprès de « marchands de crédit » peu scrupuleux.

La crise, avec son lot de chômage et de précarité, de proches à aider, aiguise leurs difficultés. « J’apporte des bijoux contre 750 euros. Je rembourserai dès que je toucherai les Assedic début janvier », assure Mélissa L., vive jeune femme de 24 ans, « guadeloupéenne de métropole », venue avec sa copine grâce au « bouche à oreille ». « C’est juste une passade, poursuit-elle avec un sourire en coin, pour payer mon loyer (de 200 euros, à Sarcelles) et les cadeaux de Noël pour la famille ». A-t-elle contacté une banque avant le Crédit municipal ? « Ah ça non ! Je me méfie, et puis je pourrais pas payer tous les mois. Ici, c’est simple et pas très cher, on paie un petit intérêt et on rembourse quand on peut. »

Le « mal endettement »

A côté d’elle, une jolie jeune femme blonde esquisse un sourire gêné. L’anonymat qu’on lui garantit en échange de son témoignage la rassure. Alice S., 31 ans, dit doucement : « C’est pas évident d’être là. Je suis venue apporter des bijoux que je voudrais bien récupérer ensuite. C’est à cause de difficultés financières en général. Les impôts locaux ont augmenté. J’ai des gens à rembourser dans ma famille. Et des crédits à la consommation. Je gagne 1 000 euros par mois, mon mari 1 500. C’est juste, surtout avec un enfant... » L’accueil respectueux du Crédit municipal et la discrétion qu’il lui assure lui vont bien : « Ici, on doit rien à personne, ou presque. Les banques ne sont pas très honnêtes quand elles facturent 8,50 euros pour un courrier vous indiquant que vous êtes à découvert. »

Dans la grande pièce qui continue à se remplir à mesure que l’après-midi avance, les langues, finalement, se délient. La pudeur, la honte parfois « d’en être arrivé là... », une expression récurrente, se dissipent devant l’envie de raconter, de partager son fardeau le temps d’une rencontre, fût-elle fugace. Si les clients arrivent l’estomac noué, ils en repartent visiblement soulagés, leur bien gagé, avec en poche les billets qui leur permettront de tenir un mois ou deux, plus si l’objet a de la valeur.

« Ici, vous avez quotidiennement votre dose d’émotions fortes, témoigne Céline Burel, responsable de l’agence du siège, en charge des prêts sociaux proposés en marge de l’activité traditionnelle de prêts sur gage. Certaines histoires sont dures. On y répond par un traitement humain adapté à chaque cas. On trouve des solutions pour soulager la vie des gens. » La restructuration de crédits a le vent en poupe : « Depuis un an et demi, on voit des personnes avec plus de crédits - cinq, six -, des dettes de loyer, de crèche et de cantine, familiales. On les remplace par un prêt à dix ans à taux fixe, on les aide à gérer leur budget... »

De fait, pour Jean-Pierre Rochette, directeur général de CMP Banque, et son adjoint Emmanuel Bouriez, le mal social de l’époque se nomme le « mal endettement ». « Nous payons toutes ces années de crédit facile, disent-ils de concert. La crise ne fait que révéler ces problèmes et accentuer les difficultés. La relation à l’argent peut compter autant que la perte de revenus. »

Par Anne Michel dans Le Monde du 09/12/2009

Transmis par Linsay

Création Le Crédit municipal de Paris est né sous Louis XVI, en 1777, pour mettre fin au règne des usuriers. Les Parisiens y déposaient leur matelas le matin, repartaient avec un pécule pour acheter des marchandises et les revendre, avant de revenir le soir récupérer leur bien avec un profit en poche.

Activité. Cet établissement à capitaux 100 % publics, adossé à la mairie de Paris, propose, en marge des prêts sur gage (85 millions d’euros d’encours, 55 000 clients actifs), des prêts sociaux, dont des micro-crédits.

Il a une clientèle de fonctionnaires, de salariés de droit privé et d’exclus sociaux.


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