Le parti, l’organisation des prolétaires en classe

lundi 25 janvier 2010
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« Les nouvelles générations, souvent déçues par une sorte de monopole étouffant de quelques idéologies officialisées, cherchent volontiers leurs racines dans ce socialisme d’avant 1848, à la fois réformiste et libertaire, réaliste et utopique, radical et modéré.

« Dans ce socialisme s’enracine toute l’histoire du mouvement d’émancipation sociale.

« Redécouvrir nos propres racines, c’est nous réinventer un avenir . »

Fabien Doyennel évoque ici Flora Tristan, « femme et révoltée », qui a 15 ans à la naissance de Marx, et ne saura jamais rien de lui.

ET POURTANT !

Evoquant les relations de Flora Tristan avec Fourier, Fabien Doyennel constate dans son héritage spirituel cet environnement temporel, bien que « Flora Tristan ne prétend pas aux mêmes productions intellectuelles. 

« Son rôle est pratique, concret.

« La souffrance du prolétaire, l’oppression de la femme, elle la ressent dans sa chair : c’est à partir de cette expérience qu’elle agit et s’exprime.

« Socialiste et féministe, elle ne peut être l’un à côté de l’autre, comme une collection de jolies idées, elle est les deux en même temps, dans le même temps. »

Après son séjour en Angleterre et son évocation de la féministe Mary Wollstonecraft, dans l’esprit de Flora, le féminisme est un socialisme et inversement.

Elle articule, dit Doyennel, la « mégère » et le prolétaire : comment de telles femmes peuvent-elles permettre une quelconque émancipation ?

« La femme est tout dans la vie de l’ouvrier, car comme mère, comme amante, comme épouse, comme fille, elle a action sur lui de sa naissance à sa mort !

L’issue infernale de ce cercle de misère, une fois posée, est facile à trouver : « Elevez la femme et vous élèverez l’ouvrier. »

L’UNION OUVRIERE

La solution à ces deux maux joints, elle l’expose dans « l’Union Ouvrière » en 1843.

Pour expliquer et défendre les vues de ce petit livre, elle entamera un tour de France où elle laissera ses dernières forces pour finalement décéder à Bordeaux.

Flora revient constamment sur cette pensée, c’est l’union de TOUS et de TOUTES qui constituera le prolétariat comme classe :

« Si le femme est la Rédemption de l’homme, celle-ci ne peut rien sans ce dernier.

« Aux ouvriers donc de commencer à traiter leurs femmes comme des êtres libres.

« On ne se libère pas soi sans libérer les autres, les considérer comme tels.

« On ne s’étonnera pas, alors, que l’Union Ouvrière s’entame par un : « Pourquoi je mentionne les femmes... »

L’OUTIL D’UNE AUTO-EMANCIPATION

« Bien entendu, Flora ne parle pas de conscience de classe mais parle bien effectivement de constitution des prolétaires en classe, au sens matériel, dans l’union et aussi au sens moral, un sens dont elle s’est toujours montrée soucieuse...

« Son problème n’est pas d’apporter aux ouvriers une vérité préfabriquée, et surtout étrangère à leur expérience réelle et vécue mais bien de leur apprendre à tirer cette vérité d’eux-mêmes.

« Et c’est peut-être là que serait la grande oeuvre de l’Union, être l’outil d’une auto-émancipation :

« Le jour est venu, il faut agir, et c’est à vous seuls qu’il appartient d’agir dans l’intérêt de votre propre cause... »

CE SERA BIENTOT LE MANIFESTE

Ainsi, par bien des aspects, précède-t-elle Marx et ce qu’il ne manquera pas bientôt de dire dans le Manifeste du parti communiste.

Pour Maximilien Rubel, dont nous avons parlé récemment et qui énonce également pour sa part des idées bien intéressantes, « il est étrange de voir qu’un problème à ses yeux essentiel pour Marx, celui des partis politiques, soit généralement négligé par les sociologues et exégètes, marxistes ou non.

« Pour Marx, on le sait, le concept de parti n’est saisissable que dans le contexte de la société moderne et, comme tel, il est le corrélatif du concept de classe.

« Le fameux passage du Manifeste communiste, où il est question de « cette organisation des prolétaires en classe, et par là même en parti politique » demeure donc sibyllin. »

L’EMANCIPATION POLITIQUE N’EST PAS LA FIN DE L’ALIENATION

Aussi Maximilien Rubel, pour comprendre l’idée que Marx se faisait du parti prolétarien, reprend-il le cheminement de sa pensée politique.

« L’émancipation politique ne met pas fin à l’aliénation, les droits de l’homme n’excluant pas les privilèges de la propriété privée.

« Elle ne fait que réduire l’homme à l’individu égoïste d’une part, et au citoyen abstrait et moral de l’autre.

« Marx exige donc l’absorption du citoyen abstrait par l’individu dans sa vie empirique, dans son activité, dans ses rapports avec autrui.

« C’est l’émancipation humaine qui permet à l’homme, en tant qu’espèce, d’organiser « ses forces propres » comme force sociale, en rejetant le pouvoir politique qui lui est extérieur.

Rubel précise que ce fut pensé et écrit avant que Marx ne fut devenu communiste.

Il précisera aussi en conséquence qu’en vertu de sa vocation universelle la révolution prolétarienne est aussi différente des révolutions antérieures que la classe prolétarienne l’est des autres classes.

LE ROLE ET LA PRAXIS DU PARTI PROLETARIEN

Une question se pose alors, poursuit Rubel : « Puisque cette vocation universelle découle naturellement des conditions mêmes dans lesquelles la société se transforme au cours des phases successives, en fonction des « forces productives », quels pourraient être le rôle et la praxis du parti prolétarien qui ne peut échapper à ce déterminisme social ? »

« En même temps se pose la question du rôle des « communistes », que Marx ne considère pas comme un parti ouvrier différent des autres, mais comme une sorte d’élite intellectuelle ayant acquis la connaissance et la conscience de l’autonomie et du mouvement réel de la classe ouvrière.

« La disparition du capitalisme étant aussi inévitable que l’apparition du communisme, la révolution prolétarienne étant aussi nécessaire historiquement que ses agents, les classes ouvrières, que reste-t-il à faire, pour des hommes communistes conscients, à partir de cette théorie, de cette vision du « processus naturel » du développement historique ?

LA MATURATION DE LA CONSCIENCE REVOLUTIONNAIRE

« Marx semble n’y voir aucune ambiguïté », constate Rubel.

« Ce rôle consiste à accélérer le processus de maturation de la conscience révolutionnaire des ouvriers et donc des partis ouvriers.
« On comprend dès lors la distinction constamment accentuée par Marx, du mouvement de classe et la praxis politique, et du rapport de subordination qu’il établit en affirmant que le mouvement politique des partis ouvriers n’est que le moyen par lequel le prolétariat réalisera son émancipation, et par là-même la libération de toute la société...

« Pour qui connait la « loi économique du mouvement de la société bourgeoise », les tâches politiques des partis ouvriers sont nettement circonscrites.

« Dès lors, le concept du parti prolétarien s’éclaire aussi bien à la lumière de la théorie que du mouvement réel. »

LA TACHE HISTORIQUE DE LA CLASSE

« Aucun parti ne saurait donc accomplir en son nom propre ce qui est la tâche « historique » de la classe...

« De là encore l’affirmation selon laquelle la paysannerie ne saurait être une classe et mener une lutte politique propre.

« Et de là finalement la formule fréquemment répétée de la « constitution du prolétariat en classe... »

« De même on comprend sa préférence sans cesse affirmée pour les mouvements spontanés de la classe ouvrière plutôt que pour les tactiques et les programmes des partis ouvriers.

« En fait foi l’axiome transcrit dans les statuts de la Première Internationale : « L’émancipation de la classe ouvrière ne peut être que l’oeuvre de la classe ouvrière elle-même. »

L’AUTO-CONSTITUTION DE LA CLASSE

« Il y a donc, poursuit Rubel, dans le devenir de la classe pour « elle-même », ce double mouvement, syndical et politique, de l’auto-constitution dans lequel l’action spontanée des ouvriers est tenue pour le facteur décisif : « De tous les instruments de production, le plus grand pouvoir productif, c’est la classe révolutionnaire elle-même. »

« Et voici qui souligne le caractère évolutif du mouvement ouvrier : « L’organisation des éléments révolutionnaires comme classe suppose l’existence de toutes les forces productives qui pourraient s’engendrer dans le sein de la société ancienne... »

Rubel indique que cette attitude, Marx la maintiendra constamment au sein de l’Internationale. Elle explique les batailles contre Bakounine. Au Congrès de La Haye ( 1872 ), il ne dédaignera pas les manoeuvres de couloir pour obtenir l’expulsion du leader anarchiste.

UN MOUVEMENT OUVRIER INTERNATIONAL OUVERT

Un mouvement ouvrier international, ouvert, légal, organisé démocratiquement, donnant place à toutes les tendances, luttant pour l’existence et la survie quotidienne des ouvriers, c’est-à-dire pour des réformes sociales, voilà ce que voulait Marx.

Bakounine, lui, entendait faire de l’organisation officielle le paravent des activités toutes clandestines d’une conspiration où il jouerait le rôle de « spiritus rector ».

« Dès 1847, poursuit Rubel, en écrivant que la domination bourgeoise donnerait au prolétariat, non seulement des armes contre la bourgeoisie et la bureaucratie prussiennes, mais aussi « une position de parti reconnu », de parti communiste, il affirmait que le prolétariat se joindrait à lui pour conquérir les libertés nécessaires à son propre développement : libertés de la presse, de l’association, représentation réelle, etc...

LE PROLETARIAT A BESOIN DE SON COURAGE

« Plus que son pain, écrivait alors Marx, le prolétariat a besoin de son courage, de sa confiance en soi, de sa fierté et de son esprit d’indépendance. »

En même temps, Engels et Marx tirèrent la conséquence logique de leur conception de la démocratie : la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, grâce au suffrage universel, objectif qui n’avait rien de révolutionnaire, puisqu’il ne faisait qu’inaugurer le processus de la révolution entrevue.

CONQUETE DE LA DEMOCRATIE

« Dans tous les pays civilisés, poursuit Engels, la démocratie a pour résultat nécessaire la domination politique du prolétariat, et celle-ci est la première condition de toutes les mesures communistes. »

Nous tenons ici la clé de leur formule du Manifeste : « conquête de la démocratie. »

Se joignant à Engels, Marx précise que cette conquête sera passagère, « un moment au service de la révolution bourgeoise comme en 1794, tant que les conditions matérielles ne rendront pas nécessaire l’abolition de la domination bourgeoise. »

LE DESTIN DES HOMMES

La précision va beaucoup plus loin puisque Marx ne craint pas d’évoquer la fatalité historique qui contraint les hommes « de produire eux-mêmes, dans le cours de leur développement, les conditions matérielles d’une nouvelle société » (….) aucun effort de l’esprit ou de volonté ne peut les libérer de ce destin. »

Il convient cependant, poursuit Rubel, de considérer quelques-uns des problèmes qui sont demeurés chez Karl Marx sans réponse d’ensemble : parti ouvrier, prise et exercice du pouvoir, pouvoir, légalité, violence, parti « marxiste ».

« Sur le premier point, si nous nous en tenons aux seules sources, nous disons que les problèmes politiques ( préparation à la prise du pouvoir et prise du pouvoir ) ne pouvaient trouver d’autre solution que « démocratique » dans l’environnement des institutions bourgeoises, aussi longtemps, du moins, que ces institutions ont un fonctionnement normal.

« Toutefois les partis ouvriers ont une vocation historique, donc des tâches particulières. On peut penser que les chances d’une politique révolutionnaire dans l’enceinte démocratique seraient faibles : les résistances seraient vaincues par la force.

« Le troisième problème est posé à Marx par l’apparition des partis « marxistes ».

« Il voit aussitôt que sa théorie révolutionnaire ne saurait servir de norme d’action pour la politique de chaque jour et de chaque pays.

« La France dogmatise la théorie ; l’Allemagne lassalienne sectarise le mouvement ouvrier : ce ne sont là que les premiers symptômes.

« Après la mort de Marx, Engels ne ménagera pas ses critiques aux marxistes de la secte française : il se sentira de plus en plus proche du mouvement de masse allemand, il entrevoit une victoire proche par des moyens électoraux ; les subversifs, dit-il, se trouvent fort bien de ce que leur apportent les moyens légaux. »

L’AUTO-EMANCIPATION OUVRIERE

De même, au moment de la constitution des partis ouvriers en Allemagne et en France, Marx et Engels eurent l’occasion d’opposer leurs vues à celles d’intellectuels qui sous-estimaient les capacités révolutionnaires du prolétariat, et s’efforçaient de transformer le socialisme en doctrine morale, pour gagner des partisans dans les « classes instruites et possédantes :

« Rappelant leur activité de presque quarante ans au service de la lutte des classes, levier de la révolution moderne, ils opposèrent la devise de l’auto-émancipation à l’attitude de ceux qui, venus des rangs de la bourgeoisie, prétendaient que la « classe ouvrière par elle-même est incapable de s’affranchir » et qu’elle doit passer sous la direction de bourgeois instruits et aisés qui seuls ont l’occasion et le temps de se familiariser avec les intérêts des ouvriers. »

LA SPONTANEITE DU PROLETARIAT

Un an plus tard, en formulant le programme du parti ouvrier, Marx énonça le dernier mot de toute sa pensée politique : « l’appropriation collective ( des moyens de production ) ne peut sortir que de l’action révolutionnaire de la classe productive – ou prolétariat – organisée en parti politique distinct » ; « qu’une pareille organisation doit être poursuivie par tous les moyens dont dispose le prolétariat, y compris le suffrage universel, transformé ainsi d’un instrument de duperie qu’il a été jusqu’ici, en un instrument d’émancipation. »

Si la spontanéité du prolétariat est soulignée avec tant d’énergie, que pouvaient penser les ouvriers en lutte du rôle de leur propre théorie dans cette prise de conscience ?

La réponse est donnée clairement par Engels, après la mort de Marx, au moment de l’apparition aux Etats-Unis du premier groupe « marxiste ».

Engels s’insurge contre la transformation de la théorie marxienne en dogme sectaire : « constitution des ouvriers en parti politique indépendant » certes, mais non pas sur la base d’un dogme théorique. »

LES MASSES ONT BESOIN DE TEMPS ET D’EXPERIENCES

« Les masses ont besoin de temps et d’expérience pour se développer, et elles en ont seulement l’occasion lorsqu’elles ont un mouvement à elles, quelle qu’en soit la forme, pourvu que ce soit leur mouvement propre et : « Il n’y a pas de meilleur chemin vers la claire intelligence théorique que de s’instruire de ses propres erreurs...

« L’important, c’est de faire que la classe ouvrière agisse en tant que classe.

« Ceci obtenu, elle trouvera bientôt la bonne direction. »

L’ABOLITION DE TOUT POUVOIR POLITIQUE

Aussi, résume Maximilien Rubel, « avec l’abolition du salariat, l’instauration de la Commune ( des producteurs ) et donc la disparition de tout pouvoir politique, naît « l’association où le libre épanouissement de l’individu est la condition du libre épanouissement de tous. » ( Manifeste communiste )



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