Matthieu Pigasse : un saltimbanquier.

vendredi 19 février 2010
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Fou de rock et gorgé de bonus, l’associé-gérant de la banque Lazard se verrait bien à l’Elysée...

BANQUIER et socialiste.

Qui plus est passionné de punk-rock à tendance anarchiste.

Et pourquoi pas ?.

Un marchand d’armes n’aurait pas le droit d’être romantique ?.

Un procureur, humoriste ?.

Un SDF , ultralibéral ?.

Matthieu Pigasse, 42 ans, directeur général de la banque Lazard en France, membre du PS, tout récent patron des « Inrockuptibles », revendique toutes ces facettes.

Au prix de dédoublements souvent fascinants.

Ainsi, en juin dernier, il publie (avec Gilles Finchelstein) un ouvrage sur la crise dans lequel il dénonce la « gloutonnerie des banquiers ».

Huit mois plus tard, Lazard annonce la distribution de primes fastueuses et inégalées : 450 millions pour l’année 2009.

Alors que son activité s’effondre et que les pertes atteignent 100 millions au 4e trimestre.

Adolescent, déjà, Matthieu vit en double je.

Enfance plutôt paisible dans un village de la Manche, au bord de la mer, « avec, à l’horizon, Jersey et Guernesey » (paradis de banquiers, déjà).

Et, dans son garage, un groupe rock au nom guilleret, Les Mercenaires du désespoir.

Voilà qui, après de brillantes études, oriente tout droit notre desperado vers l’ENA.

Puis, vers la séditieuse Direction du Trésor.

Repéré par Strauss-Kahn puis Fabius (dont il dirige le cabinet) à Bercy, il épouse à merveille les contradictions de la gauche plurielle en privatisant à tour de bras.

C’est donc sans migraines existentielles qu’il rejoint, en 2002, la maison Lazard à Paris, ce temple du capitalisme, aussi ouaté qu’opulent.

A l’entendre, ce fut impitoyable.

Les bagarres internes fleurissent : « C’était Beyrouth (...), j’ai eu zéro aide, j’avais zéro client...Seul comme un chien... »

Des clients, il va finir par en décrocher, profitant du soutien d’Alain Minc et du carnet d’adresses qu’il s’est constitué à Bercy.

A l’exemple des Caisses d’épargne de son ami Charles Milhaud, qu’il avait réorganisées au cabinet de Strauss-Kahn.

En persuadant cette banque mutualiste d’acheter des actions Lazard (elle en possède aujourd’hui 7%), Pigasse réalise son plus beau coup.

En échange, lui et ses associés reçoivent des milliers d’actions gratuites qui leur feront gagner des millions de dollars.

Moins heureux, il contribuera aussi à la création de Natixis, banque d’investissement des Caisses d’épargne.

L’un des plus grands naufrages de la finance française.

Chez Lazard, son style décalé, son amour des projecteurs, ses postures rebelles ne lui valent pas que des alliés.

Une intense bagarre l’oppose à Erik Maris, discret, pondéré - son antithèse -, pour la direction de la structure française.

Bruce Wasserstein, président du groupe, récemment disparu, leur impose une cohabitation houleuse à la direction générale.

Est-ce la déception d’un pouvoir partagé ?.

La médiatisation de son livre et de son ascension ?.

Le banquier casanier, qui affirme une « forme de rigueur protestante » (sic), décide de soigner sa cotation personnelle et laisse place, de plus en plus, au rockeur mondain, tout en Dior, avions privés pour Venise, nuits à l’hôtel Costes (de 600 à 1 400 euros la nuit), apparitions dans les hebdos pipoles.

Sa carte PS lui vaut aussi , grâce à son ami Delanoë, un fauteuil d’administrateur du Théâtre du Châtelet.

Il en occupe un autre au groupe des casinos Barrière.

Il se (re)découvre aussi une vocation de patron de presse.

Son père a dirigé « La Manche libre », son oncle, L’Express« , et son frère, le magazine paparazzo »Public",.

En 2004, il a contribué à recapitaliser « Libération » en y faisant entrer Rothschild.

Deux ans plus tard, il a tenté, en vain, de succéder à son ami Minc au conseil de surveillance du « Monde ».

Après avoir lorgné, selon « Le Point », sur le trash « Entrevue », il rachète, en juillet 2009, l’hebdo « Les Inrockuptibles ».

Objectif : créer un « news culturel de référence, rebelle à l’ordre établi ».

Des pages « investigation » pourraient apparaître.

Au menu : le pantouflage, les clients de Lazard, DSK ?.

On plaisante.

Le but principal est de concurrencer « Télérama » et le « Nouvel Obs ».

Il y a du boulot : hors abonnements, les ventes des ’Inrocks" atteignent péniblement 15 000 exemplaires.

Quand au « regard subversif, libre et indépendant » qu’il revendique, il rappelle cette anecdote vécue par un journaliste lors d’un rendez-vous à Bercy, fin 2001.

Pigasse, alors dircab’ de Fabius, lui propose tout de go de s’associer : « Je veux faire des coups », assène-t-il.

Lui fournira la matière, l’autre répercutera.

Conception audacieuse mais un rien capitaliste de la presse.

Peut-être trop sensible à « l’ordre établi », la rédaction des « Inrocks » s’est un peu alarmée, il y a quelques jours, lorsque notre saltimbanquier a voulu réorganiser la rédaction en mettant sur la touche les fondateurs du groupe.

Mobilisation de la Société des rédacteurs, préparation d’une charte d’indépendance, Pigasse a finalement insufflé l’esprit de rébellion souhaité.

L’autre objectif, analyse un de ses proches, est de « se bâtir un instrument d’influence ».

Pour quoi faire ?.

« Je veux rendre à la société ce qu’elle m’a donné, déclarait-il, en décembre, au »Point« . Par exemple en faisant de la politique. »

Jusque-là, ses contributions ont été timides - conseils à Ségolène Royal, contribution aux Gracques, ce club mou qui veut bâtir un pont PS-Bayrou.

Cette fois, Pigasse rêve d’un ministère, et même confient ses amis, de la présidence de la République.

En attendant, il devrait tenter de se faire élire, avec l’aide des « Inrocks » et de la banque Lazard, à une cantonale partielle...

Par Jean-François Julliard dans Le Canard enchaîné du 10/02/2010

Transmis par Linsay.



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